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L’Étrange Festival 2023 : Rencontre avec le réalisateur Gareth Evans

Gareth Evans revient pour nous sur sa carte blanche à l’Étrange Festival, son empreinte au sein du cinéma indonésien et enfin, sur la nouvelle version 4K de The Raid en cours de préparation.
L’Étrange Festival 2023 : Rencontre avec le réalisateur Gareth Evans

Invité de la vingt-neuvième édition de L’Étrange Festival, le réalisateur Gareth Evans a fait découvrir le Pencak Silat, art martial indonésien ancestral, dans son brutal et définitif doublet d’action The Raid/The Raid 2 (2011-2014). Après une escale horrifique avec Le Bon Apôtre (2018), distribué sur Netflix, le cinéaste attend de mettre la touche finale à son très attendu Havoc, qui aura Tom Hardy en vedette principale. Pour patienter, Gareth Evans revient pour nous sur sa carte blanche à l’Étrange Festival, son empreinte au sein du cinéma indonésien et enfin, sur la nouvelle version 4K de The Raid en cours de préparation.


Entretien par Fabien Mauro.

Fabien Mauro : Cette année, L’Étrange Festival vous attribue une carte blanche. Pouvez-vous nous dire pourquoi les films choisis par vos soins comptent pour vous ?


Gareth Evans : Je suis nerveux quand je présente mes propres films en festival. Vu le temps passé dessus, on se demande si le public va aimer. Mais concernant cette carte blanche, je me sentais libéré de cette pression, même si j’espérais que le public allait apprécier les films choisis. Par exemple, dans le cas de A Colt is My Passport (Takashi Nomura, 1967), si le public adhère au film et tient jusqu’à la scène finale, alors le pari sera réussi. Mais je suis plutôt éclectique en matière de goûts cinématographiques. Il arrive que les gens se basent uniquement sur les films que j’ai réalisés et pensent que je ne vais sélectionner que des films d’action ou d’arts martiaux. J’ai voulu éviter cela pour cette carte blanche. Cependant, je voulais retourner aux origines mêmes du cinéma d’action en proposant ces courts-métrages avec Buster Keaton (Buster et les flics, La Maison démontable de Malec). Mais cette sélection ne contient pas du tout mes « films préférés de tous les temps » car ce classement-là peut changer d’une année à l’autre. J’aurais pu sélectionner Retour vers le futur, Raging Bull, Taxi Driver ou un film de Takeshi Kitano. Quand on m’a demandé de contribuer au Festival, je l’ai d’abord vécu comme un véritable honneur. Ensuite, je me suis renseigné sur les cartes blanches des éditions précédentes, afin de ne pas proposer les mêmes films. Il fallait éviter de répéter les sélections des précédents invités. J’ai été surpris de constater qu’Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987) n’avait jamais été proposé donc je me suis empressé de le sélectionner. Pour moi, Evil Dead 2 était le film parfait pour apprendre les méthodes artisanales de mise en scène. 


F.M. : Sam Raimi est-il déjà entré en contact avec vous pour produire l’un de vos films ou l’un de ses projets ? Je vous pose la question car Lee Cronin, le réalisateur d’Evil Dead Rise, est irlandais.


G.E. : Non, jamais ! Je n’ai jamais échangé avec lui. Mais j’espère que ça arrivera un jour car c’est un de mes héros ! Je suis avant tout un grand fan. J’ai toujours adoré le premier Evil Dead. Mais Evil Dead 2 est pour moi l’opus qui possède le ton parfait. Si je devais sélectionner trois films de Sam Raimi, il s’agirait de Evil Dead 2, Darkman et Un plan simple. Je pense que ce dernier est un authentique chef-d'œuvre. 


F.M. : Avec Merantau, The Raid et The Raid 2, vous avez contribué à lancer un tout nouveau cinéma d’action indonésien en mettant en avant le Pencak Silat. Quel est votre point de vue sur ce genre et cette industrie locale aujourd’hui ?


G.E. : Ma contribution au genre s’est arrêtée depuis bientôt dix ans. Mais j’ai de nombreux amis en Indonésie et je leur demande régulièrement quelles sont les nouvelles tendances auprès du public local. Je pense que Timo Tjahjanto fait un travail phénoménal. C’est super de le voir s’emparer de ce qu’on a démarré, prendre le relais pour transcender le genre avec Headshot, The Night Comes For us. Mais j’étais surtout chanceux de me trouver en Indonésie au bon moment. Je vivais là-bas à l’époque et je travaillais pour la télévision lorsque j’ai rencontré tous ces maîtres d’arts martiaux locaux. Et personne ne mettait en avant leurs talents ! Il y avait quelques programmes télévisés bon marché, mais c’était plutôt embarrassant. Ils comportaient des éléments mystiques avec des séquences de transformation sans traiter les arts martiaux avec beaucoup de respect. Quand nous avons fait Merantau, mettre en avant leurs techniques était une profession de foi. Il fallait impulser ce nouveau mouvement de cinéma d’action indonésien de manière frontale. Mais j’étais chanceux d’être en Indonésie au bon moment et ce fut une bénédiction pour ma carrière car cela m’a permis d’apprendre et d’évoluer. J’ai pu ensuite aller vers d’autres genres. Pour préparer Merantau, nous avons tourné quelques courts tests de combat pour voir si ces arts martiaux rendaient bien à la caméra. Et cela me permettait de savoir si je pouvais moi-même filmer les arts martiaux, chose que je n’avais jamais faite auparavant. Personne n’a vu ces tests car c’était une expérience douloureuse. Avec les monteurs, nous arrivions à déterminer ce qui était trop lent, ce qui ne fonctionnait pas. Et procéder ainsi me permettait de me créer un filet de sureté.

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F.M. : Cela vous a permis également d’établir votre méthode de travail avec ces « vidéos storyboards ».


G.E. : Je ne sais pas dessiner ! Il me fallait donc trouver un moyen de communiquer visuellement ce que je souhaitais auprès de tous les départements impliqués dans le film. C’était un moyen de préparer chaque plan et de se faire une première idée du montage. Une fois de plus, cela nous permettait de déterminer si une séquence allait fonctionner et si l’action allait être efficace. Lorsque je tournais ces tests, je n’avais aucune idée de l’aspect ou de la durée des séquences. Je devais d’abord voir les chorégraphies et tester les plans qui seraient susceptibles de fonctionner. Quand j’ai fait la prévisualisation pour Merantau, cela m’a permis de scruter chaque plan, chaque coupe et tout raffiner. C’était donc une partie importante du processus. Mais pour en revenir sur votre question initiale sur le cinéma d’action indonésien, je pense qu’une grande partie des œuvres actuellement produites sont destinées à Netflix. Mais aujourd’hui en Indonésie, c’est le film horrifique qui constitue le genre le plus lucratif en matière de box-office. Cela a toujours été le cas. Quand j’étais sur place, il y avait essentiellement des films d’horreur ou des films religieux. Ensuite, il y avait aussi des sex comedies qui n’avaient pas vraiment de sexe mais surtout des moments de flirt. Rien d’explicite. Mais l’horreur reste bien le genre dominant. Si vous prenez par exemple les films de Joko Anwar, les chiffres de box-office explosent. Quand j’y étais, les films de Joko était déjà à l’avant-poste et nous essayions d’atteindre son niveau. C’était déjà un artiste visuel puissant doublé d’un énorme fan de cinéma indonésien. Il voulait raconter des histoires implantées en Indonésie, qui racontent des choses pertinentes sur la culture indonésienne, aborder la religion et la politique et créer une œuvre qui dépasse le genre. Je suis heureux qu’il ait enfin le succès qu’il mérite dans son pays.


F.M. : Iko Uwais, Joe Taslim, Yayan Ruhian, Cecep Arif Rahman continuent de faire des films indonésiens tout en étant appelés à Hollywood et en continuant à exercer localement leurs arts martiaux. Comment gèrent-ils ce statut ?


G.E. : J’échange avec Iko tout le temps. Je suis heureux de les voir dans de nombreux films et programmes télévisés. Joe est dans Warrior, Iko est dans Wu Assassins, Yayan était aussi dans Who is Erin Carter ? C’est une belle chose que de voir leur carrière s’épanouir. On saisit les occasions de se retrouver et j’espère que nous aurons une nouvelle opportunité de collaborer. J’ai travaillé avec Iko pour la dernière fois sur The Raid 2 et c’était en 2013. Dix ans déjà. Récemment, nous avons parlé du fait que nous prenons de l’âge que nous pourrions faire un baroud d’honneur où Iko serait encore capable de balancer quelques coups de poing avec la vélocité qu’on lui connait. Et de mon côté, il me faut encore la bonne énergie pour déplacer la caméra correctement [rires].

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F.M. : Sur votre compte Instagram, vous avez posté quelques visuels de la nouvelle version 4K de The Raid, qui proposera un étalonnage différent. Pouvez-vous nous en parler ?


G.E. : Pour moi, The Raid n’était réussi que dans sa copie 35 mm. Elle était superbe et j’en étais fier. Mais quand il s’agissait du DCP et des versions vidéo, donc la version que vous avez vue en DVD et Blu-ray, le résultat m’a toujours semblé bleu, magenta ou trop désaturé. Nous voulions arranger ça, mais nous n’y sommes jamais parvenus. Il faut savoir que nous avons fait la post-production en Thaïlande, avec une excellente compagnie. Mais l’étalonneur ne parlait que le thaïlandais et par conséquent, nous avions des interactions assez limitées. C’était « plus sombre », « plus clair », « plus de couleur », « moins de couleur ». Ce genre de choses… Cela devient compliqué quand vous devez élaborer l’identité visuelle de votre film. Du coup, quand je suis retourné en Indonésie il y a deux ans environ, j’ai pu retrouver tous les disques durs avec le matériau source du premier film. Tous les rushes étaient là. Nous avions tourné le film avec une Panasonic AG-AF100. Nous avons tout enregistré sur des cartes SD dont le contenu a été transféré sur des disques durs. J’ai donc pu retrouver tous mes masters et nous avons pu reconstruire l’intégralité du film en récupérant la matière et les effets visuels d’origine. Et pour les plans aux effets visuels manquants, nous avons fait revenir les techniciens qui ont travaillé sur le film pour leur demander de refaire ces effets. Nous avons donc remonté le film à l’identique en partant de zéro. Mais nous n’avons rien modifié ou altéré. Nous n’avons pas remplacé les armes à feu par des talkies-walkies [rires]. Mais cela nous permettait de retrouver les couleurs d’origine élaborées par mon chef opérateur Matt Flannery et Dimas Imam Subhono. Depuis, nous avons gagné en expérience grâce à l’étalonneur avec lequel nous travaillons à Cinematic, une société de post-production basée au Pays de Galles. The Raid ressemble enfin à ce qu’il devait être à l’origine. Il est prévu que nous montrions cette nouvelle version 4K dans quelques festivals. Ce n’est pas encore tout à fait prêt. La semaine prochaine (semaine du 11 septembre 2023), je vais vérifier le DCP final. J’espère organiser quelques projections dans des festivals projetant des œuvres de patrimoine. Le but est de le sortir en UHD 4K. Nous sommes en discussion avec les distributeurs de plusieurs territoires et je suis très heureux de pouvoir enfin montrer le film dans ces conditions.


F.M. : Havoc doit arriver prochainement sur Netflix. Que pouvez-vous nous dire à ce stade pour nous faire saliver ?


G.E. : Nous travaillons encore pour terminer le film. Nous avançons pas à pas. Nous l’avons tourné en pleine pandémie. Quand nous avons fini le film et l’avons présenté, nous avons pu bénéficier d’une semaine supplémentaire de photographie additionnelle afin de faire quelques remaniements. Actuellement, nous devons caler un créneau pour de nouveau réunir tout le monde. Entretemps, les acteurs et les techniciens ont travaillé sur plusieurs films dans des endroits différents donc c’est difficile de trouver un créneau commun. De plus, on parle d’un tournage de cinq ou six jours. Mais c’est bénéfique car cela permet de retoucher ou d’améliorer des éléments de votre film. On va trouver un créneau, mais il faut aussi tenir compte des grèves de la WGA et de la SAG-AFTRA. Je suis solidaire de ce mouvement et nous ne ferons rien avant que cette situation soit résolue. Mais j’ai hâte que le film sorte. Il comporte de fabuleuses séquences. Quand j’y repense, il a été élaboré il y a déjà plus de trois ans. C’est une situation inhabituelle, mais nous devons être solidaires des syndicats américains.


F.M. : Le lieu où nous sommes, le Forum des images, va bientôt proposer un cycle sur le cinéma de Hong Kong. Depuis quelques années, la ville et son industrie cinématographique se transforment de manière irréversible. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?


G.E. : Je ne peux m’exprimer sur la situation politique de Hong Kong, car je n’ai pas tous les tenants et aboutissants. Mais je sais que certaines choses se produisent là-bas et je souhaite qu’il en soit autrement. En termes de cinéma, en tant que spectateur, les sensations que le cinéma hongkongais procurait dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix me manquent. Je pense que tout a changé depuis une quinzaine d’années. Je me souviens être tombé amoureux de ce cinéma il y a une trentaine d’années. En grandissant, mes goûts ont bifurqué vers le cinéma français, puis vers le cinéma japonais, qui a dominé ma conception du cinéma vers la fin des années quatre-vingt-dix et début deux mille. Et ensuite, c’est devenu un peu plus mainstream avec la disparition progressive du V-Cinéma. Puis le cinéma sud-coréen s’est imposé pour devenir la nouvelle tendance. Cette époque me manque, mais je sais que certains cinéastes hongkongais luttent pour entretenir la flamme. D’ailleurs, je dois voir Limbo (Soi Cheang, 2021) qui se fait attendre au Royaume-Uni. Je me souviens du début des années deux mille où je débusquais les VCD pour découvrir le cinéma HK. Concernant le Japon, je me souviens avoir découvert Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001) sur un DVD import hongkongais et être totalement terrifié par le film. Il a fallu attendre un moment avant de l’avoir officiellement au Royaume-Uni grâce à Optimum Releasing (devenu StudioCanal UK).

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F.M. : Après la série Gangs of London souhaitez-vous suivre d’autres pistes pour relancer le cinéma d’action britannique ? 


G.E. : Je travaille actuellement sur un scénario avec l’un de mes associés. Il s’agit d’un retour au buddy movies des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix dans la lignée de 48 Heures ou du Dernier Samaritain. Ces films n’existent plus et il est plus que temps qu’ils fassent leur grand retour. J’ai une double personnalité, entre ce que je veux personnellement atteindre en matière de film et de narration, que ce soit au cinéma et à la télévision. Je sais que je veux faire des choses au Pays de Galles pour le public local. Mais pour être honnête, je suis en stand-by depuis le début des grèves. De fait, j’envisage et développe plusieurs projets différents et éclectiques, à des degrés commerciaux très différents. Mais vivement que tout cela s’arrange afin que nous puissions mettre la machine en route.


Remerciements à l’équipe de l’Étrange Festival, à Jean-Bernard Emery et Marie Cordier. Remerciements spéciaux à Frédéric Ambroisine.