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Michael Bay, le plus sous estimé d'entre tous

Cela pourrait devenir une habitude : entre deux épisodes de Transformers (le cinquième est en route), le génial et (ou ?) diabolique Michael Bay s’offre des vacances en réalisant un petit film à seulement vingt millions de dollars de budget (un peu p
Michael Bay, le plus sous estimé d'entre tous

Cela pourrait devenir une habitude : entre deux épisodes de Transformers (le cinquième est en route), le génial et (ou ?) diabolique Michael Bay s’offre des vacances en réalisant un petit film à seulement vingt millions de dollars de budget (un peu plus ici après une rallonge accordée par Paramount en cours de tournage). « Un pour eux, un pour moi », pour reprendre la fameuse maxime de Martin Scorsese qui régit depuis quarante ans sa carrière et son rapport aux studios. Pour Bay cela a donné Pain & Gain en 2014, grand film défouloir par lequel il exorcisa six années passées à jouer avec des robots transformistes ; et aujourd’hui 13 Hours, film de guerre tourné du point de vue de ceux qui agissent avant de réfléchir.


Ce n’est pas un spoiler, le nouveau film de Michael Bay se termine sur un drapeau américain déchiqueté flottant au milieu d’une piscine jonchée de débris, preuves multiples d’une nuit apocalyptique. Le symbole n’est pas franchement discret mais après tout le réalisateur de Pearl Harbor n’est pas connu pour sa finesse. Cette ultime image clôturant 13 Hours pourrait surprendre, tant depuis vingt ans ses films sont critiqués pour les valeurs qu’ils véhiculent supposément : militarisme, impérialisme américain, toute-puissance du capitalisme, la famille comme valeur refuge, etc. Le célèbre « famille, travail, patrie » cher à nos ancêtres n’est pas loin. Pourtant la filmographie de l’homme qui tourne en survêtement est, à bien y regarder, un poil plus complexe que cela : dans The Rock, l’armée était vertement critiquée pour avoir abandonné ses hommes ; dans Armageddon, la NASA et les plus hautes autorités du pays avaient du mal à accepter que le sort de la planète repose entre les mains de brutes tatouées au casier judiciaire accablant et bien trop long pour être relaté ici ; dans Pearl Harbor, on trouvait à nouveau, derrière le drame historique tourné à la manière d’un clip d’Aerosmith, une remise en cause des gouvernants et des généraux qui n’avaient pas réagi assez vite… Bref, sans refaire toute la filmographie de Bay, il convient de reconnaître que ceux qui furent surpris avec Pain & Gain de l’énorme coup de pompe que le bonhomme mettait en plein bide du rêve américain avaient omis, aveuglés par leur hargne facile (celle-là même dont fut longtemps gratifié feu Tony Scott), les signes avant-coureurs parsemant les films précédents de l’ancien collègue de David Fincher.


Loin de nous l’idée de tordre la vérité en faisant de Michael Bay un anti-américain doublé d’un communiste convaincu, mais seulement de rappeler que l’Amérique célébrée par Bay est moins celle des puissants (politiques, milliardaires, chefs militaires, ils en prennent en général tous pour leur grade !) que celle des laissés pour compte. Dans Transformers 4, par exemple, Marky Mark et les siens n’étaient rien d’autre que des victimes de la crise rusant de mille façons pour joindre les deux bouts. Abandonnés par le pouvoir fédéral et hors de la vue des médias élitistes, ils symbolisaient cette large frange de l’Amérique qui constitue sans doute une bonne partie du public fidèle à Bay et à ses films pétaradants.

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On pourra accuser le réalisateur de Bad Boys de cynisme ou d’être un fieffé opportuniste n’hésitant pas à sortir les spectateurs modernes de leur torpeur en faisant appel à leurs plus bas instincts, mais nul doute qu’il aime ce qu’il fait au point de toujours vouloir le faire le mieux possible.

Dans 13 Hours, nos six héros sont clairement perçus comme des mules sans cervelle par ceux qu’ils tentent d’aider, leur supérieur à la CIA les traitant même de bêtes à longueur de journée et les renvoyant régulièrement à leur condition d’ « intérimaire » n’ayant aucun rôle à jouer dans cette histoire. Ils sont barbus, baraqués et sentent probablement la sueur, et ils passent leur temps à jouer aux jeux vidéo dans l’attente d’une hypothétique mission d’escorte à se mettre sous la dent. Les journées sont longues, la reconnaissance inexistante. Ils sont en quelque sorte les nounous des espions très à la mode sur nos écrans depuis une quinzaine d’années (au choix Alias, Jason Bourne, 24, Homeland et on en passe). Ils sont l’envers du décor. Ceux que l’on aperçoit à l’occasion d’une fusillade ou d’une intervention secrète à l’autre bout du monde (cf. Zero Dark Thirty). Mais ils ne sont pas des héros de cinéma. Pas vraiment.

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Dans la première partie du film, on trouve tout ce qui fait les décors habituels des films de Bay : le soleil, les palmiers, les belles villas avec piscine et… l’humour graveleux. Sauf que nous ne sommes pas à Miami mais à Benghazi. Le contexte, qu’on prend soin de nous expliquer par la présence de moult cartons introductifs, fait toute la différence. Loin de chez eux ces hommes sont donc traités comme des moins que rien par des intellos qui les prennent de haut et leur font la leçon… Ça ne vous rappelle rien ? Ces mecs sont à l’image de Bay, lui qui n’a cessé depuis son premier film de se faire traiter par les critiques de réalisateur vulgaire, bas du front, idiot, raciste, misogyne, homophobe, n’en jetez plus. Ces gars sont ses frères d’armes, ses compagnons d’infortune ; il les comprend en plus de les côtoyer sur ses tournages où leurs semblables officient régulièrement comme conseillers techniques. Et pour couronner le tout ces mecs ne sont pas si cons : ils lisent des livres et plus particulièrement un livre, La Puissance du Mythe de Joseph Campbell, auteur fétiche des faiseurs de blockbusters depuis qu’un certain George Lucas s’est inspiré de ses théories pour écrire La Guerre des Étoiles. Le clin d’œil serait croquignolesque s’il n’était pas suivi tout au long du film de nombreux rappels semblant vouloir nous dire quelque chose... Habituellement les écrits de Campbell influencent les créateurs derrière l’œuvre et non pas les héros à l’œuvre dans le film. Luke Skywalker ne se baladait pas sur Tatooine avec un exemplaire du Héros aux Mille Visages en poche. Et pourtant il doit tant à Campbell. Ce que semble vouloir nous dire Bay (et son scénariste Chuck Hogan) c’est que leurs héros, eux, ne sont pas nés de l’imagination d’un frêle nerd à lunettes fantasmant des aventures incroyables dans la chaleur de sa chambre à coucher tapissée de posters à l’effigie de ses héros préférés, mais directement issus du réel. Ces mecs sont des mythes, semble-t-on nous dire, et ils en ont à peine conscience, trop occupés qu’ils sont à faire la guerre, leur occupation favorite, celle pour laquelle ils ont quitté femme et enfants.


Encore une fois Bay s’intéresse aux vrais héros, ceux oubliés par l’Histoire, ceux qui sont prêts  à donner leur vie pour leur pays quand les politiques et leurs supérieurs se réfugient dans les postures et les beaux discours. Comme si l’Amérique que célèbre Bay n’était pas l’idée vague d’un pays en soi, mais celui des hommes de l’ombre qui font in fine sa grandeur. En cela le film rejoint bien la lignée dont il se réclame à grand coup de citations : La Chute du Faucon Noir, Alamo et, même s’il n’est pas cité, Les Sacrifiés de John Ford. Il n’échappera d’ailleurs à personne qu’au cours de la nuit du 11 septembre 2012 durant laquelle se déroule une grande partie du film nos six héros opèreront leur mue petit à petit pour devenir de véritables cowboys fatigués. Et lorsqu’enfin les secours tant attendus débarqueront à l’aube, ils s’annonceront comme la cavalerie !


Le sacrifice, cette belle idée à laquelle adhèrent malgré eux ces hommes qui ne se rendent peut-être pas compte de ce qu’elle signifie jusqu’au moment ultime du rappel des élus pour leur dernier voyage… Une idée forte qui traverse évidemment le travail de Bay, des hommes trahis par leur pays menés par Ed Harris dans The Rock aux milliers de soldats anonymes de Pearl Harbor, sans oublier ce bon vieux Bruce Willis dans Armageddon. Cependant Bay n’en fait pas l’éloge : l’idée est belle, certes, mais elle est douloureuse. Et, comme c’est dans la douleur que l’on reconnait les justes, le sacrifice n’opère pas ici comme le prix à payer pour garantir la liberté (une idée de beau-parleur, un argument politique de plus) mais comme le révélateur des vrais héros, mythes en puissance à n’en pas douter.

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Une autre idée reçue à propos de Michael Bay concerne ses capacités de réalisateur. Comme les clichés ont la vie dure, ils sont les mêmes depuis vingt ans : montage épileptique, abus des ralentis et autres effets outranciers, non-respect de la grammaire cinématographique traditionnelle, partition musicale envahissante, etc. Bref, Bay serait un parfait idiot maniant la caméra comme un sagouin et usant des hordes de monteurs tels de vulgaires paquets de kleenex. Il y a du vrai dans ces reproches faits à celui que certains de ses pairs (et pas des moindres, Spielberg par exemple) considèrent néanmoins comme un des grands réalisateurs de notre temps et, encore plus, comme un technicien hors-pair. En fait tout ou presque est vrai. Mais une fois dit cela, restent les films qui constituent désormais une œuvre, qu’on le veuille ou non ; après tout pourquoi la politique des auteurs, jadis imaginée par les jeunes turcs des Cahiers du Cinéma notamment pour défendre des cinéastes de seconde zone ou au succès commercial forcément douteux, ne s’appliquerait-t-elle pas aux auteurs des blockbusters d’aujourd’hui ? Dans cette catégorie, Bay est celui qui a obtenu le plus de succès, reçu les pires critiques et subi les pires attaques. Cela en fait donc de toute évidence l’un des cas les plus intéressants. D’autant plus que malgré la mise en scène pleine de bruit et de fureur de ses films, malgré l’impression curieuse que rien ni personne n’a pensé les cadres, les coupes et tout ce qui fait la mise en scène, malgré tout cela, donc, se dégage comme une logique, voire même un ordre. Michael Bay n’est pas le Diable, c’est acquis, il est le Dieu de ses propres films (comme devrait l’être tout réalisateur qui se respecte), celui par lequel cette logique du chaos parvient jusqu’à nos rétines et nos tympans mis à rude épreuve.


Cet ordre du chaos vers lequel tendent de plus en plus les films de Bay semble trouver aujourd’hui tout son sens. Dans 13 Hours, la ville est un chaos et par-delà ses frontières le monde entier est un chaos de l’existence duquel ne semble subsister aucune preuve. Au détour d’un dialogue, un protagoniste apprend à l’un de nos six héros que les journaux télé  du monde entier relatent l’évènement en temps réel, mais lui n’en a cure, il vit l’évènement, loin de toutes les rédactions occidentales à l’affût de la moindre étincelle à l’autre bout du monde. Bay, comme il l’avait déjà fait avec Pain & Gain mais ici avec une certaine retenue, convoque tous ses effets de style pour filmer un lieu précis, un moment précis, une action précise illustrant la lente chute inexorable d’un monde à la dérive : dans Pain & Gain l’idiotie pure et simple du rêve américain pris à l’envers ; dans 13 Hours la lâcheté des gouvernants (absents du film comme ils le furent dans la réalité) qui, ivres de leurs bons sentiments, jouent avec le feu à la moindre occasion avant de s’en laver les mains.


La caméra tremble, l’adrénaline impressionne le disque dur remplaçant désormais l’antique pellicule, les blagues salaces fusent comme les balles perdues et, lors de quelques beaux moments de répit entre deux offensives ennemies, les hommes errent à la recherche d’un sens à leurs actes. Le chaos les entoure. Seule une vérité les guide : « Tous les dieux, tous les enfers, tous les paradis sont en nous. »


Aubry Salmon


13 Hours - Au cinéma