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La légende de Dreamworks, le rêve brisé de Spielberg

DreamWorks fut créé par trois pontes de l’industrie américaine du divertissement, trois hommes désabusés par les rachats successifs, les tractations en coulisse et les poignées de main molles et moites de leurs interlocuteurs en costumes. Ces trois h
La légende de Dreamworks, le rêve brisé de Spielberg

DreamWorks fut créé par trois pontes de l’industrie américaine du divertissement, trois hommes désabusés par les rachats successifs, les tractations en coulisses et les poignées de main molles et moites de leurs interlocuteurs en costumes. Ces trois hommes rêvaient d’indépendance et de donner leur chance aux artistes, aux créatifs.


L’idée était belle (et vieille comme Hollywood, de United Artists à Lucasfilm en passant par Zoetrope), mais très vite les rêves ont laissé la place à la (dure) réalité : demain sort le nouveau film du studio et ce n’est pas vraiment une œuvre d’art, mais plutôt l’énième suite calibrée d’une franchise animée à succès certifiée « geek approved ». Un film de plus, un film de trop, au fond peu importe, aujourd’hui, DreamWorks ne fait plus rêver grand monde.

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Lorsque Steven Spieberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen s’associèrent en 1994 pour donner naissance à DreamWorks SKG, il y avait l’idée simple de s’affranchir des studios et des multinationales qui les contrôlent en créant un nouveau studio indépendant capable de rivaliser avec Disney, Paramount, Universal ou Warner. Spielberg venait enfin de décrocher l’Oscar qu’il convoitait depuis toujours (pour La Liste de Schindler) et sentait l’orage venir chez Universal, contrôlé à l’époque par MCA. Il accédait enfin à la reconnaissance de la critique et de ses pairs et était déjà, grâce au succès d’Amblin, en train de devenir l’un des hommes les plus riches du pays. Katzenberg, lui, venait tout juste de voir passer sous son nez le poste suprême de président de Disney. Quant à Geffen, il venait de vendre (à MCA) la maison de disque qui porte son nom et se demandait quoi faire pour gagner quelques millions de plus.

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La légende dit que c’est Robert Zemeckis qui eut l’idée, durant des vacances bien méritées partagées avec Spielberg à la Jamaïque,  de cette association diabolique entre les trois hommes. L’histoire retiendra que c’est en sortant d’un diner officiel donné en l’honneur de Boris Eltsine à la Maison Blanche que l’affaire fut conclue ! On est puissant ou on ne l’est pas. Le projet était le suivant : construire sur le terrain d’une ancienne usine d'Howard Hughes un studio géant digne de ce nom avec en prime restaurants et parc d’attractions, et viser les trois marchés les plus porteurs de l’industrie du divertissement : le cinéma, la musique et les jeux-vidéos.

Pour la concurrence, c’est un coup de tonnerre et les rumeurs les plus folles circulent à Hollywood sur les projets du monstre à trois têtes : racheter Universal, s’associer à George Lucas pour sortir une nouvelle trilogie Star Wars, etc. En fait, DreamWorks ne fera que s’associer avec le studio attitré du réalisateur d’E.T. et Lucas démentira l’information par voie de presse. Et lorsqu’en 1997 sort enfin sur les écrans du monde entier la première production estampillée DreamWorks, l’évènement est un brin décevant tant Le Pacificateur a tout du produit formaté : une star (George Clooney, pas encore engagé au Darfour) et une réalisatrice (Mimi Leder) venues de la télé (Urgences, une série produite par… Amblin et Spielberg, tiens donc) ; une vedette féminine (Nicole Kidman) habituée à la une des magazines mais pas encore tout à fait reconnue comme la grande actrice qu’elle est pourtant déjà (Prête à Tout et Portrait de Femme sont passés par là, Eyes Wide Shut ne va pas tarder) ; et surtout un sujet un peu réchauffé (la menace nucléaire !) en cette fin des années 90.

Pour ne pas améliorer les affaires de nos trois apprentis-moguls, le film flope timidement au box-office et tombe aussitôt dans les oubliettes de l’Histoire – quelques rares chaînes de télé aventureuses se risquant tout de même à repêcher le film de temps en temps pour l’accoupler avec malice à un match de football féminin ou à une enquête au cordeau sur les coulisses de la police marseillaise les soirs de match au Vélodrome, en vue d’obtenir l’un de ces double-programmes dont seule la TNT à le secret. Dans la foulée sort le premier film de Spielberg sous étendard DreamWorks : Amistad.

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Malheureusement, comme pour La Couleur Pourpre dix ans auparavant, la sortie du film suscite polémiques et débats enflammés sur la légitimité d’un cinéaste blanc à traiter l’histoire de noirs américains ; et comme pour La Couleur Pourpre, ce faux débat ne cache pas la piètre qualité du film en question. Bref, des débuts difficiles. Mais de meilleures années sont à venir…


Dès 1998, la machine s’emballe : durant l’été, Deep Impact (toujours réalisé par Mimi Leder) bouscule le roi du box-office, Michael Bay, sur son propre terrain de jeu, même si au final c’est Armageddon, et son budget presque deux fois supérieur, qui dominent les débats, tandis que Spielberg sort son Soldat Ryan, premier grand film signé DreamWorks (en collaboration avec Paramount). Enfin, à l’approche des fêtes de Noël, le studio livre son premier film d’animation traditionnel : Le Prince d’Égypte, gros succès en salle qui l’espace d’un instant semble annoncer la contestation de l’hégémonie de Disney (l’ancien employeur de Katzenberg, pour ceux qui ne suivent pas) dans le domaine de l’animation.


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L’année suivante, tout commence bien avec le succès de Ryan aux Oscars et dans les autres cérémonies. En fin d’année sortira American Beauty, le film phénomène de Sam Mendes qui triomphera aux Oscars l’année suivante. Suivront Gladiator de Ridley Scott, en 2000, et Un Homme d’Exception de Ron Howard, en 2001. Cette belle série dans la plus prestigieuse cérémonie du monde signera « l’âge d’or » du studio dans le cinéma traditionnel. Mais DreamWorks, ce n’est pas que du cinéma.


En parallèle sont développées deux autres branches : DreamWorks Interactive et DreamWorks Records, la première pour le jeu vidéo et la seconde pour la musique. DWI commence par sortir quelques jeux pour PC (dont le fameux Steven Spielberg’s Director’s Chair, jeux de simulation dans lequel le joueur se retrouve projeté dans la peau d’un… cinéaste !) puis à partir de 1997, pour la Playstation. Quelques jeux anecdotiques souvent adaptés de film DreamWorks (Small Soldiers ou Jurassic Park) paraissent avant que ne débarque le futur hit Medal of Honor. Là, trop heureux d’enfin obtenir un succès inespéré, le studio se débarrasse illico de sa branche vidéoludique en la revendant à Electronic Arts. Fin de l’histoire.


Concernant le label de musique, dirigé comme il se doit par David Geffen, les choses n’iront guère mieux. Tout commence par un mauvais présage lorsque l’artiste américain Roy Lichtenstein meurt quelques mois à peine après avoir conçu le logo du label – qui demeurera sa dernière « œuvre ». Côté musique, l’affaire démarre bien avec Beautiful Freak, premier album d’un petit groupe californien appelé à devenir (un peu plus) grand : Eels. Dans la foulée, on signe un artiste émergeant qui vient de rencontrer le succès grâce à sa participation à la bande-son de Good Will Hunting, pour laquelle il a été nommé à l’Oscar de la meilleure chanson face à Céline Dion. Elliott Smith a tout du futur grand, mais très vite les dirigeants du label peinent à soutenir l’artiste de plus en plus ingérable et dépressif. Vous connaissez la suite… Smith sortira tout de même deux albums sublimes (XO et Figure 8) pour DreamWorks Records avant de tirer sa révérence. Et c’est à peu près tout. En 2003, le label sera revendu à Universal, qui finira par le dissoudre en l’intégrant à Geffen Records. La boucle est bouclée


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Mais revenons au cinéma. Si les rêves de construire un studio aux proportions bibliques tombent rapidement à l’eau, la production de films continue à porter le studio qui ne cesse de soutenir des cinéastes prestigieux tout en lançant quelques petits nouveaux. Ainsi Woody Allen, Michael Mann, Clint Eastwood, Robert Zemeckis, Adam McKay, Cameron Crowe, Robert Redford, Michael Bay et d’autres seront de la partie tandis que chaque nouveau film de Steven Spielberg se verra coproduit par le studio. Si le succès est souvent au rendez-vous, les attentes démesurées qu’avait soulevé le projet à sa naissance restent à reconsidérer.


En effet, en dehors des films de Spielberg, qu’il aurait cependant sans doute pu produire ailleurs sans trop de difficultés, le tableau d’honneur de DreamWorks reste modeste. On peut citer Presque Célèbre, la perle pop de Crowe ; La Légende de Ron Burgundy, le meilleur Will Ferrell encore à ce jour ; le diptyque d’Eastwood sur la bataille d’Iwo Jima, qui n’est malgré tout pas ce que l’ancien Inspecteur Harry a fait de mieux dans les années 2000 ; Collateral de Mann ; Match Point de Woody ; et quelques autres… Mais rien d’incroyable quand on se souvient des ambitions affichées au départ de l’aventure.

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Pis, à partir du début des années 2000 et le succès d’un gros ogre vert qui fait rire parents et enfants, DreamWorks Animation, la branche animation du studio (comme son nom l’indique), commence petit à petit à prendre le pas sur les films du studio en prise de vue réelle. À tel point que par le jeu des accords et désaccords de distribution (Universal, puis Paramount, puis Disney, puis Universal à nouveau) – sans parler du rachat par Paramount qui ne contrôlera la compagnie que trois années avant que celle-ci ne retrouve son indépendance, provisoirement, bien sûr… – la branche dirigée à l’expérience par un Katzenberg qui rêve toujours d’écraser Disney finira par prendre son envol, devenant même indépendante dès 2004.


Au fil des ans et des sagas à succès (Shrek, Madagascar, Kung Fu Panda, Dragons, etc.), DreamWorks est devenu synonyme d’animation – mais pas forcément de bonne animation. La branche film n’a plus rien du studio rêvant de faire trembler la concurrence. Elle n’est aujourd’hui qu’une coquille vide, une compagnie fantôme qui ne (co)produit plus à de rares exceptions que les films de Spielberg, ce que faisait déjà fort bien Amblin. En 2013, la compagnie passe même très près de la faillite, l’obligeant à se serrer la ceinture. Dans les médias Spielberg se plaint d’avoir du mal à financer ses films trop éloignés des préoccupations du jeune public et  prédit une crise du blockbuster dans les années à venir… Pourtant DreamWorks lui assure toujours une partie du financement de chacun de ses films.


Aujourd’hui, tout ce qu’il reste des rêves d’antan c’est un petit garçon qui pêche sous une lune croissante en ouverture des films du maître et de quelques autres. Mais pour pouvoir utiliser le nom DreamWorks et le logo qui va avec, Spielberg paye des royalties à… Katzenberg et à DreamWorks Animation, seuls propriétaires désormais de la marque ! Tout un symbole.


Aubry Salmon


Kung Fu Panda 3 - Demain au cinéma