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Batman v. Superman : le choc des héros n'arrivera pas

En ces temps troublés où Marvel nous inflige chaque année une bonne dose d’ironie à deux balles, de punchlines souvent miteuses et de plans iconiques foirés de Robert Downey Jr, les fans de superhéros guettent fébrilement chaque nouveau film en
Batman v. Superman : le choc des héros n'arrivera pas

En ces temps troublés où Marvel nous inflige chaque année une bonne dose d’ironie à deux balles, de punchlines souvent miteuses et de plans iconiques foirés de Robert Downey Jr, les fans de superhéros guettent fébrilement chaque nouveau film en provenance de la Distinguée Concurrence. Même quand ce film est à nouveau signé Zack Snyder, sympathique Monsieur Loyal de la castagne digitalisée, qui nous livre donc Batman v Superman : L’Aube de la Justice, suite directe de Man of Steel et bande-annonce grand format du futur Justice League.


La gestion de ce projet tumultueux est peut-être plus intéressante à analyser que le résultat final. Annoncé en grandes pompes à la San Diego Comic Con, le film devait réaliser un nombre incalculable de paris insensés: une suite réussie à un Man of Steel pour le moins controversé, le premier choc au cinéma des deux plus grands superhéros de tous les temps, l’arrivée d’un nouveau Batman, l’introduction de la Justice League et donc le lancement d’un univers DC étendu, une adaptation d’un des meilleurs comics de tous les temps (The Dark Knight Returns de Frank Miller) et enfin un bon film de Zack Snyder (même si l’homme a également ses fans). Comment, avec un cahier des charges aussi énorme, le film pouvait réussir ce qu’il tente d’accomplir ? Impossible, les dés étaient pipés.

Et très tôt, dès les premières images, les inquiétudes étaient légitimes: un trailer plein à craquer d’effets spéciaux inachevés, un Doomsday affreux, un Batffleck avec une M16... Pourtant le potentiel était là. Au moment où Marvel gâche un catalogue merveilleux avec des films qui semblent taillés dans le même moule - gris – d’où s’extraient quelques rares pépites, DC avait un boulevard pour développer des films à l’identité distincte. Perdu. Si BvS a effectivement une identité, elle est complètement torturée et monstrueuse. La volonté d’en faire trop, en 2h31 pourtant, pour un film paradoxalement vide.

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Zack Snyder est un gars marrant. Malgré le sérieux imperturbable de ses films, il n’hésite pas à commencer ce nouvel épisode des aventures de l’homme d’acier par non pas une, mais deux blagues ! D’abord, lorsqu’il débute son histoire par l’introduction habituelle du personnage de Bruce (le meurtre des époux Wayne, pardi !), le spectacle duquel sort le couple et leur fils n’est ni un vieux serial mettant en scène Zorro, ni un opéra italien, mais Excalibur de John Boorman. Le choix est intéressant – après tout le jeune Arthur était lui aussi un orphelin frêle et maladroit appelé à devenir une légende – mais a de quoi faire sourire: le film de Boorman était certes clinquant et éthéré comme peut l’être parfois le cinéma de Snyder, mais il y avait derrière cette façade une véritable réflexion sur les mythes fondateurs de notre civilisation, contrepartie qu’on a du mal à imaginer possible chez un type comme Snyder qui dans 300 ou Watchmen n’avait fait que copier l’esthétique et les cadrages des dessins de Miller ou Gibbons sans reprendre à son compte la substance thématique qui habitait dans les deux cas l’œuvre originale.


Seconde blague: lorsque le jeune Bruce Wayne se retrouve, comme à chaque fois, prisonnier au fond d’une grotte, à la merci de ces satanées chauve-souris, le jeune garçon finit par dompter sa peur et s’envole soudainement dans les airs au milieu du tourbillon noir et strident formé par ces centaines de petites créatures. L’espace d’un instant le spectateur vigilant peut friser l’apoplexie face à cette nouvelle hérésie signée Snyder: Bruce Wayne s’envolant dans les airs tel… Superman ! Bien sûr la séquence est un souvenir fantasmé par Wayne lui-même qui dès le plan suivant révèle la supercherie. Après cela, le film peut commencer, fini l’humour, place aux choses sérieuses.

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Astucieusement, nous retrouvons le personnage de Bruce Wayne, devenu adulte et grisonnant, lors du combat final de Man of Steel entre le dernier fils de Krypton et l’infâme Général Zod. L’homme d’affaire débarque à Metropolis pour venir en aide à ses employés et assiste impuissant à la destruction de sa filiale tandis que dans le ciel s’affrontent les deux extra-terrestres. Wayne, pas plus que Batman, ne fait le poids face aux proportions bibliques de ce combat à mort qui se joue là-haut. Lui n’est qu’un simple humain aidant comme il le peut les blessés et observant le massacre avec perplexité.


Le temps de quelques plans, la scène évoque l’horreur des attentats du World Trade Center, l’impuissance et la colère du héros le poussant, telle l’Amérique blessée au lendemain du carnage, à trouver un responsable tout désigné. On avait reproché en son temps à Nolan le sérieux qui se dégageait des sous-textes de sa trilogie, autant dire que Snyder ne prend lui aucun gant lorsqu’il s’agit de donner dans la fable post-11 septembre. Suivront les hommages, les commissions d’enquête et tout le décorum habituel. Dans cette sinistre danse institutionnelle entre politiques inflexibles, presse moribonde et enjeux passablement flous se dégage de justesse une intrigue: a-t-on vraiment besoin d’un Dieu sur terre ? La question n’est ici pas allégorique, Superman est un dieu qu’on aime, qu’on déteste, qu’on craint, qu’on appelle au secours ; bref, un vrai de vrai. Et là réside l’intérêt de ce nouvel opus: voir l’humanité meurtrie représentée par une galerie de personnages qui tentent d’exister à l’écran en se définissant par opposition à un personnage central qui finalement brille par sa fadeur (si Henry Cavill livre toujours une honnête version de Superman, son interprétation du bigleux Clark Kent laisse clairement à désirer).

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Puis, on passe d’un foreshadowing pas très subtil à une franche arrivée à coups de pieds de biche. Là, le film se prend les pieds dans le tapis. Pas seulement à cause de massacres d’icônes – alors que l’approche de Snyder se base sur les mythes – via une introduction faite sur un coin de table (le premier Flash au cinéma ne s’en remettra peut-être jamais), mais même sur l’idée de base du film. On pouvait aisément imaginer que la raison qui pousse Superman à affronter Batman serait bien débile, mais impossible d’anticiper ce niveau de bêtise. Pourtant, ce n’est rien à côté du dialogue risible qui les font arrêter. Batman v Superman ridiculise son enjeu principal, sacrifié sur l’autel d’une logique mercantile tellement pressée qu’elle risque de tuer la poule aux œufs d’or avant même qu’elle ne soit sortie du nid. Alors que trois longues années (une éternité en temps Marvel Studios) se sont écoulées depuis Man of Steel, BvS sent mauvais la précipitation. Si le projet de base semble avoir été fait pour de bonnes raisons, le produit final est, comme le Doomsday qu’il met en scène, un assemblage bâtard qui ne peut contenter personne. Même si vous venez pour voir un combat bas du front, vous serez déçu.


Dans ce marasme, il reste pourtant des choses à sauver: Ben Affleck s’en sort plutôt bien, autant dans le costume du milliardaire vieillissant que dans celui du chevalier noir. Et si l’on peut passer sur le cas de Wonder Woman, expédiée en quelques scènes en attendant de la retrouver bientôt dans ses propres aventures, et celui de Lois Lane (pauvre Amy Adams qui une fois de plus passe le film à lever la tête vers les nuages en contrechamp), on ne peut faire l’impasse sur le cas de Lex Luthor, interprété par ce petit margoulin de Jesse Eisenberg qui n’hésite pas à sortir sa partition habituelle de mec condescendant et bafouillant sensé nous bluffer tel Heath Ledger dans The Dark Knight. Malheureusement sa prestation n’ira pas au-delà de ce cabotinage certes délicieux mais un brin lassant au bout d’un moment. Et puisque comme le disait Hitchcock, les grands méchants font les grands films, difficile ici de crier à la franche réussite.

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2016 voit donc sortir le pire Batman depuis Batman Forever. On en est là, après vingt ans d’adaptation de qualité (ciné, TV – Gotham ne compte pas - comme JV) et une tonne de comics récents d’excellente facture. On aimerait prendre notre pied comme un gamin, et l’on pourrait, si le n’importe quoi ambiant ne faisait pas sortir du film, à cause de ce ratio bonne/mauvaise idée qui ferait pâlir un joueur de Call of Duty. On notera également au passage une 3D toujours aussi nulle, un étalonnage bloqué sur gris (peut-être une caméra spéciale super-héros), un montage étrange. Pire encore: ce film aura des conséquences. Il va marcher au box-office, et risque de valider une politique consistant à laisser les producteurs massacrer un script, qui devait déjà avoir des gros défauts, et des idées parfois nauséabondes – le message du film, certaines actions de Batman out of character -.

Reste le plaisir ténu mais réel d’assister enfin, pour la première fois sur grand écran, à la rencontre entre les deux rivaux de la DC, ou l’homme vs Dieu, pour reprendre la terminologie plutôt lourde développée par le film de Snyder. En effet, on nous assène à tout bout de champ des enjeux des plus pompeux autour de Dieu, la force suprême, l’arme ultime et la responsabilité morale qui entoure toutes ces notions. Et encore une fois, ceux qui ne pouvaient souffrir les dialogues grandiloquents que l’on retrouvait à l’occasion dans la trilogie de Nolan en seront ici pour leurs frais.

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À tel point que se dégage finalement de l’ensemble un esprit de sérieux plutôt raccord avec un style DC déjà présent sur papier ; le tout gardant une pointe de fun et quelques grosses incohérences pas déplaisantes que Snyder se plait à distiller lorsqu’il n’est pas occupé à détruire une nouvelle fois des pans entiers de Metropolis – en respectant cette fois-ci la tranquillité des habitants puisque les hostilités se déroulent dans une zone inhabitée de la ville. Ce combat final est d’ailleurs comme dans Man of Steel la partie la moins intéressante du métrage: débauche d’effets numériques accompagnée de l’habituelle artillerie zimmerienne (légèrement moins tambourinante que dans le premier opus).


Avant cela les deux superhéros auront eu le temps de se réconcilier en découvrant que leur mère avait le même prénom (comme quoi un armistice tient parfois à peu de choses) dans une scène proche d’être ridicule mais délivrant in extremis la morale du film: ah vraiment, qu’est-ce qu’on deviendrait sans nos mamans ?


Aubry Salmon & Boris Biron


Batman v Superman - Au cinéma