Midnight Special : premier chef-d'oeuvre de 2016 ?
On a beau s’attendre à une claque, nul n’est jamais vraiment prêt à la recevoir.On a beau s’attendre à une claque, nul n’est jamais vraiment prêt à la recevoir.
L’annonce ici : le quatrième film de Jeff Nichols, réalisateur des incroyables Take Shelter (2011) et Mud (2012), sur un pitch purement SF, lorgnant allégrement du côté du meilleur Spielberg, celui d’ET (1982) et de Rencontres du 3ème Type (1977). Avec à la clé, un film qui s’appuie non seulement sur ce merveilleux héritage, mais aussi sur un Eastwood mésestimé, A Perfect World (1993), et étonnamment, sur le plus grand mythe américain, Superman, pour fournir un très sérieux prétendant au titre de plus beau film de l'année (oui, déjà).
Nichols prouve, à 37 ans, qu’il n’a pas d’égal pour décrire l’Amérique d’aujourd’hui. Un pays en crise, en proie au doute, terriblement désenchanté, prêt à aller très loin, trop loin pour relancer la dynamique d’un passé fantasmé. Que ce soit sa population, capable de tout, même d'exploiter un enfant, ou son Etat plus puissant qu’Orwell ne l’aurait jamais cauchemardé. C’est dans ce décor qu’évoluent Roy (Michael Shannon), père en plein doute, Lucas (Joel Edgerton), son ami d’enfance flic, et Alton (Jaeden Lieberher), fils du premier qui semble détenir des pouvoirs étranges. Ils veulent échapper aux griffes d’une secte, tout en évitant les forces de l’ordre à leurs trousses – ce qui ressemble donc trait pour trait au scénario du Perfect World de Clint Eastwood -, pour accomplir une mission plus grande à laquelle Alton serait destiné. Ce dernier, adopté, semble venir d’une autre planète, et tirer ses pouvoirs surhumains du soleil terrestre. Il marche parmi nous, mais il n’est pas l’un des nôtres. Oui, on tient bien ici l'histoire à peine dissimulée de Superman. Un héros américain, peut-être le plus grand.
Et c'est justement cette figure de héros que Nichols porte à l'écran dans un film moderne, qui parle de problèmes terriblement actuels. Le modèle de la famille américaine est chamboulé, les familles peuvent se décomposer et se recomposer. Nichols prend ceci en considération pour parler du thème de prédilection de Spielberg, à savoir la paternité. Être père, ce n’est pas inné, il faut le devenir. C’est une quête, celle que tente d’accomplir Roy, à tout prix.
Michael Shannon, le vrai héros du film, n’en est pas à son coup d’essai. On savait, depuis qu’il avait volé la vedette à DiCap sur Revolutionnary Road (2008) grâce à une seule scène, puis en étant ce personnage tourmenté de Take Shelter, à quel point il faisait partie de la catégorie des très grands. Il récidive ici. De nouveau dans un long-métrage de Jeff Nichols - il a joué dans tous ses films -. Magnétique, quasi-mutique et aussi habité que son personnage de père paumé. Il dégage pourtant une force folle, qui nous fait nous attacher au film dès les premières secondes.
Ce n’est pas pour rien que la distribution s’appuie sur des acteurs qui ont déjà joué des rôles forts dans des œuvres de pop-culture (Kirsten Durst était la Mary-Jane de Sam Raimi, Adam Driver est Kylo Ren, et Michael Shannon sauvait presque Man of Steel avec son Zod habité). Mieux, le penchant sombre de cette culture dans le cas de l'héritier de Vador et de l'ennemi juré de Superman. On visite ici le revers du monde imaginaire, celui caché à nos yeux, pour révéler une vérité enfouie. C’est un travail sur la mythologie de l’Amérique qui cherche à montrer combien celle-ci nous fascine et nous façonne. Une fuite en avant vers un avenir que l’on rêve meilleur, mais qu’on porte pourtant en chacun de nous. Le dernier plan est à cet égard particulièrement révélateur.
Les bons films, ce sont ceux qu’on aurait aimé pouvoir faire. Les grands films sont ceux qu’on aurait aimé pouvoir imaginer.
Midnight Special est un chef-d'oeuvre.
Boris Biron
Midnight Special - Au cinéma