9 théories du complot au cinéma
Moonwalkers d’Antoine Bardou-Jacquet est sorti mercredi dernier en salle. Le film nous invite à suivre un agent de la CIA qui doit trouver Stanley Kubrick pour tourner un faux alunissage. L’occasion de se pencher sur les figures du complot sur grandMoonwalkers d’Antoine Bardou-Jacquet est sorti mercredi dernier en salle. Le film nous invite à suivre un agent de la CIA qui doit trouver Stanley Kubrick pour tourner un faux alunissage. L’occasion de se pencher sur les figures du complot sur grand écran.
L’histoire du complot au cinéma répond à l’Histoire avec un grand H. Pendant la guerre froide, Hollywood a produit nombre de films dans lesquels une conspiration internationale communiste menaçait la patrie (The Red Menace, I Married a Communist, The Manchurian Candidate…). Après la guerre du Vietnam, la crise de confiance croissante dans les représentants politiques et les médias traditionnels a imprégné en profondeur le cinéma. L’image du complot est devenue un vecteur de critique sociale.
Il n’est guère étonnant que le Septième Art ait puisé dans ces mythes modernes. La machination est un ressort narratif puissant qui tient en haleine le spectateur. On peut même avancer que le complot est entré dans l’ADN du film d’action. Combien d’histoires se résument à un héros esseulé luttant contre une organisation puissante et malveillante dont il contrarie, volontairement ou non, les plans ?
Tirez les rideaux, vérifiez qu’il n’y a pas de micros dans la pièce, activez vos pare-feux…
Rockyrama vous propose un plongeon dans la spirale du complot, des conspirations et des théories alternatives au cinéma à travers neuf films.
Complots, de Richard Donner (1997)
Pour commencer, quoi de mieux qu’un film (le seul film ?) dont le complotiste est le héros ? Dans Complots, Mel Gibson joue un chauffeur de taxi paranoïaque hanté par de mystérieuses visions. Il déballe ses fumeuses théories conspirationnistes à ses clients à longueur de journée jusqu’au jour où il est enlevé par la CIA qui tente de lui faire avouer ce qu’il sait. Ce qui donne l’une des scènes de torture les plus ridicules du grand écran. Gibson en fait trop dans la démonstration de tics et l’intrigue part vite en quenouille. Mais ce qui fait l’intérêt du film, c’est l’ambiguïté du personnage, funambule entre hyper-rationalité et folie pure. Il représente la quintessence de ce qui fascine chez les complotistes : une logique vertigineusement poussée jusqu’à l’absurde. Difficile de ne pas voir dans ce personnage le père spirituel de la complosphère d’aujourd’hui.
Alerte, de Wolgang Petersen (1995)
Selon l’historien de la santé Patrick Zylberman, une pop culture du drame sanitaire s’est créée autour des virus. La peur collective des armes chimiques et de la mondialisation des pandémies s’est immiscée dans les scenarii. Contagion, Millenium, l’Armée des douze singes… Les exemples sont nombreux. Le cas d’Alerte est particulièrement intéressant parce que, cette fois, ce n’est pas le film qui s’inspire d’une théorie du complot. C’est lui qui a nourri les spéculations des sceptiques. La maladie est toujours source de légendes et de mythes. Chercher une intention derrière ce phénomène est anthropologiquement universel. La peste était considérée au Moyen-âge comme une punition divine. Ebola a été, elle, désignée par des conspirationnistes comme une invention américaine pour affaiblir l’Afrique et créer un marché pour leur industrie pharmaceutique.
Le film décrit l’épidémie d’un virus hémorragique venu du Zaïre appelé Motaba, aux effets semblables à Ebola. Il se propage d'abord en Afrique puis aux Etats-Unis via un singe de laboratoire. On apprend par la suite que ce virus avait été stocké comme arme biologique pendant plus de trente ans au laboratoire de recherche américain de Fort Detrick dans le Maryland (USAMRIID). Dans la réalité, à la fin des années 1980, des singes de laboratoire importés aux Etats-Unis se sont trouvés porteurs des symptômes d’Ebola. L’USAMRIID, cité dans le film, a développé un traitement expérimental contre Ebola avec Mapp Biopharmaceutical tandis que le CDC détient le brevet d’une souche d’Ebola. Enfin, une crise d’infection d’Ebola s’est déclarée au Zaïre au moment de la sortie du film en 1995. L’ensemble de ces éléments a suffi à convaincre les théoriciens du complot que le scénario du film était une prédiction. Ou quand la réalité devient le remake du film.
Capricorn One, de Peter Hyams (1977)
Le caractère extraordinaire du voyage sur la Lune et la dimension hautement politique de la conquête spatiale en ont laissé plus d’un perplexes. Selon la théorie du canular des programmes Apollo, aucun homme ne s'est posé sur la lune en 1969. Les images des équipes américaines sur le sol lunaire ne seraient que le fruit d'un savant travail de studio. La rumeur veut même que ce soit Stanley Kubrick, l’homme qui a réalisé 2001, L’Odyssée de l’espace un an plus tôt, qui ait mis en boîte les images. Cette hypothèse s’appuie en particulier sur des détails de la vidéo officielle parmi lesquels des éclairages suspects, la position du drapeau planté par les astronautes ou la profondeur de leurs empreintes sur le sol lunaire.
Capricorn One de Peter Hyams est l’aïeul direct de Moonwalkers. Sorti en 1977, au moment où les spéculations sur le canular lunaire battaient leur plein, il déplace l’intrigue dans un temps indéterminé où se prépare un vrai faux voyage sur Mars. La bande–annonce la couleur : une voix grave scande “Capricorn One : the mission that never get off the ground”. Bien que l’histoire accuse non seulement la NASA de truquer la conquête spatiale mais aussi d’assassiner des astronautes, le film obtient le soutien de l’institution. Elle prête du matériel à l’équipe, dont un module lunaire ! Le nombre de détails, de figurants et d’appareils est impressionnant. Ce réalisme crée un effet de mise en abîme prenant, même si les images ont vieilli. Le film nous montre une mise en scène dans le quartier général de la NASA. Le cinéma expose son propre pouvoir de suggestion. Hyams fait douter le spectateur qui en oublie presque que la mission est une escroquerie. Dommage que le reste de l’œuvre se perde dans une surenchère d’action dont une course poursuite entre deux hélicos et un biplan piloté par Kojak (Telly Savalas).
Ennemi d’état, de Tony Scott (1998)
Pas de théorie du complot sans un Etat omniscient et liberticide. Le cinéma n’est pas étranger à la diffusion de cette représentation. Les Hommes du Président ou Les Trois Jours du Condor reposaient sur des complots gouvernementaux. Après le scandale du Watergate, les réalisateurs ont investi tout particulièrement le sujet de la surveillance (Blow Out, The Conversation). Ennemi d’état propulse cette thématique dans l’univers des nouvelles technologies. Il reflète l’anxiété sur la valeur des images et donc du monde que nous connaissons au travers des médias visuels.
Le dixième film du frère de Ridley Scott prend une nouvelle dimension au regard de l’affaire Snowden. Une nouvelle loi sur les télécommunications est proposée aux citoyens américains visant à donner plus de pouvoir de surveillance aux autorités dans le but de garantir la sécurité de l'État. Un avocat, joué par Will Smith, se retrouve sans le vouloir ni le savoir en possession d’une cassette contenant l’enregistrement vidéo du meurtre d’un sénateur opposé à la loi. La NSA va tenter de le faire taire et de le déposséder de tout ce qu’il a (travail, réputation). Il doit compter sur l’aide d’un ancien employé de l’agence (Gene Hackman) devenu hacker, pour faire éclater la vérité. Par sa réalisation, Tony Scott imagine un thriller technologique. Vues satellites, caméras de surveillance, traceurs et manipulation de données numériques : il immerge littéralement le spectateur dans l’œil de Big Brother. Il sublime l’esthétique de la traque qui domine dans le cinéma d’action dans les années 80-90 (Le Fugitif, La Firme, Rambo même) et met en scène le conflit entre liberté et sécurité qui traverse les sociétés contemporaines.
Paul, de Greg Mottola (2011)
L’existence des extraterrestres cachée au grand public est l’une des théories du complot les plus fameuses. Ils sont parmi nous ! Nous allons nous intéresser à un lieu précis de la culture complotiste : la zone 51, base militaire ultra-protégée au Nevada. Selon la légende, elle abriterait le vaisseau qui s’est écrasé à Roswell et même des spécimens extraterrestres. Elle est très présente dans la culture populaire : X-Files, Independence Day, Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, entre autres, y font référence…
Dans Paul, les rois des nerds, Simon Pegg et Nick Frost (le tandem de Shaun of the Dead et Hot Fuzz) nous emmènent en voyage avec deux fans de science-fiction en pèlerinage dans le coin. Ils vont rencontrer et aider un véritable alien à rentrer chez lui : ledit Paul. Malgré leur culture S-F, les deux dadais n’en reviennent pas. Pourtant, pendant leur road-trip en camping-car, Paul leur révèle que les productions culturelles sur la vie extraterrestre ont été conçues pour habituer les citoyens lambda à la vérité. Le film détourne ici l’hypothèse de la programmation prédictive, chère aux théoriciens du complot. La programmation prédictive serait l’utilisation de films de science-fiction, de livres et autres médias pour implanter par l'inconscient des idées, des croyances chez les individus.
A voir absolument en V.O, le doublage français de l’alien étant assuré par Philippe Manœuvre, sous peine d’évanouissement.
Black Dynamite, de Scott Sanders (2009)
Dans les années 90, quelques réalisateurs afro-américains ont dépeint des conspirations racistes fomentées par le gouvernement. Dans The Glass Shield de Charles Burnett (1995) et Gang in Blue de Mario et Melvin van Peebles (1996), il est question de l’infiltration des forces de police par des organisations suprématistes blanches. Dans Deep Cover, réalisé par Bill Duke en 1992, un policier découvre que la DEA (l’équivalent américain de la brigade des stupéfiants) est en cheville avec les gouvernements latino-américains pour inonder de drogues dures les rues des ghettos noirs.
La théorie selon laquelle la Maison Blanche est à l’origine de la diffusion de drogues dures dans les ghettos est apparue dans les années 80 dans le contexte de ce qu’on a appelé “l’épidémie du crack”. On la retrouve mise en scène de manière burlesque dans Black Dynamite. Ce pastiche des films blaxploitation qui mêle kung-fu et répliques badass, commence comme un film de vengeance. Black Dynamite, vétéran du Vietnam et ancien officier de la CIA, veut retrouver les responsables de la mort de son frère. Mais son enquête improbable va l’amener à découvrir un complot d’état qui vise à affaiblir sa communauté via le trafic d’héroïne. Une affaire qui se règlera mano a mano entre Nixon et lui lors d’un combat épique dans le bureau ovale.
Bubba Ho-Tep, de Don Coscarelli (2003)
Faisons une pause ludique hors du monde de Machiavel. Les théories du complot peuvent aussi concerner les stars. En témoignent les légendes selon lesquelles Paul McCartney est mort en 66 et a été remplacé par un sosie ou qu’Elvis est encore parmi nous. La rumeur, alimentée par le roman Orion de Gail Brewer-Giorgio, veut que l’icône à la banane ait mis en scène sa propre mort afin d’échapper aux tumultes de la vie de superstar.
Cette supercherie est le point de départ d’un nanar devenu culte, Bubba Ho-tep. Un Bruce Campbell (Evil Dead) bedonnant joue le King qui finit sa vie en maison de retraite en proie à un cancer du pénis. Ajoutez lui comme acolyte un vieux maboule afro-américain en fauteuil persuadé d’être JFK et mettez le face à une momie et vous obtenez les ingrédients pour une comédie d’horreur déjantée sur la vieillesse.
From Hell, d’Albert Hughes & Allen Hughes (2001)
Les sociétés secrètes sont au cœur de la plupart des théories conspirationnistes qui circulent. Constituées de membres influents, elles auraient pour but la domination du monde. Bah oui, quoi d’autre ? L’aura de mystère, l’initiation et les rituels se prêtent bien au spectacle sur grand écran. Les groupes occultes hantent de nombreuses fictions. Quelques sociétés secrètes qui existent ou ont existé ont été représentées au cinéma. Le terriblement nul Skulls avec Paul Walker et Joshua “Pacey” Jackson s’inspire de la société étudiante Skulls and Bones de l’université de Yale, dont les George Bush ont fait partie. Les complotistes les lient aux Illuminati. Malgré leur durée de vie très brève (moins de dix ans à la fin du XVIIIème siècle), les Illuminati de Bavière se sont profondément inscrits dans l’histoire populaire. Ces derniers sont présents dans Anges et démons, tiré de l’œuvre de Dan Brown qui est devenu célèbre pour recycler les théories du complot pour vendre ses livres. Autre groupe favori des conspirationnistes et des magazines en mal de tirage: la franc-maçonnerie. La société masquée dépravée dans le Eyes Wide Shut de Kubrick s’en inspire librement.
Les francs-maçons sont reliés par les paranos de tout poil à différents faits historiques. Le mystère de l’identité de Jack l’éventreur a amené certains esprits en mal d’explications à accuser un réseau franc-maçonnique qui serait derrière les disparitions afin de purifier la cité londonienne. C’est l’auteur Stephen Knight en 1976 qui le premier a échafaudé cette théorie. From Hell d’Albert et Allen Hughes est basé sur le roman graphique d’Alan Moore. Le dessinateur, qui aime mêler mysticisme et politique, s’est approprié la thèse de Knight pour son récit. On suit l’enquête sur la série de meurtres perpétrés dans le quartier mal famé de Whitechapel. Johnny Depp y joue un médium junkie aidant la police et Heather Graham occupe le rôle de la prostituée Mary Kelly (dans la réalité, l’ultime victime du tueur). Ce film lugubre nous enfonce avec délectation dans le fog londonien jusqu’à la révélation finale.
JFK, d’Oliver Stone (1991)
La mort de Kennedy est spectaculaire et les rebondissements de l’affaire sont rocambolesques. Le président américain en visite à Dallas le 22 novembre 1963 est touché par deux coups de feu alors qu’il paradait dans une limousine décapotable. Transporté à l’hôpital, il décède dans la demi-heure. Les enquêtes officielles aboutissent à l’arrestation de Lee Harvey Oswald. Ce dernier sera abattu lors de son transfert 48 heures plus tard par Jack Ruby, le propriétaire d’une boîte de nuit. Jim Garrison, procureur de la Nouvelle-Orléans, monte sa propre enquête et fait arrêter Clay Shaw et l’accuse d’être un membre de la CIA. Ce dernier sera acquitté en 1967. Les théories du complot se basent sur le postulat que la CIA a orchestré toute l’histoire. L’événement a bien évidemment profondément marqué la psyché yankee. Avec le meurtre de Lincoln, il contribue à faire des menaces sur le Président un poncif de l’imaginaire collectif. De nombreux films traitent de complot contre des présidents réels ou fictionnels : The Parallax View, Winter Kills ou First Target pour ne citer que les années 70.
Au dixième anniversaire de l’affaire, Complot à Dallas (Executive Action en V.O) est le premier long-métrage à mettre en scène la fin tragique de JFK et à remettre en cause la version officielle. Dans l’œuvre de David Miller, c’est un groupe d’hommes d’affaires et de politiciens texans d’extrême droite qui commandite l’assassinat. Leur but ? Réduire la population mondiale en exterminant tous les gens de couleur. Charmant… Mais c’est le JFK d’Oliver Stone qui est la forme la plus aboutie de la mise en image d’une théorie du complot. Le sulfureux cinéaste a construit son scénario à partir du livre de Garrison et des investigations du journaliste indépendant Jim Marrs. Le réalisateur brouille les cartes en mélangeant images d’archives et images de fiction tournées dans le même format 4:3 afin qu’elles se fondent avec les vidéos d’époque.
Le film est avant tout une vision personnelle de Stone qui instille l’idée que la raison derrière la conspiration est le business de la guerre. Le réalisateur a injecté son expérience personnelle. Il intègre au récit son entretien avec le Colonel Prouty en préparation du film, incarné par le personnage de l’informateur à Washington qui achève d’exposer la théorie du complot à Kevin Costner (Garrison). Un subtil mélange de faits, de suppositions et de dramaturgie. Captivant. Grand.
Felix Lemaître
Moonwalkers - Au cinéma