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Point Limite Zéro : le film fétiche de George Miller et Quentin Tarantino

Film fétiche de George Miller ou de Quentin Tarantino qui lui ont tous deux largement rendu hommage, Point Limite Zéro (Vanishing Point en vo) est l’une de ces délicieuses « faces B » du Nouvel Hollywood qui quarante ans plus tard obsèdent les cinéph
Point Limite Zéro : le film fétiche de George Miller et Quentin Tarantino

Film fétiche de George Miller ou de Quentin Tarantino qui lui ont tous deux largement rendu hommage, Point Limite Zéro (Vanishing Point en VO) est l’une de ces délicieuses « faces B » du Nouvel Hollywood qui quarante ans plus tard obsèdent les cinéphiles plus que bon nombre d’œuvres consacrées à l’époque. Sauvage, kitch et rocambolesque, le film de Richard C. Sarafian n’en est pas moins le testament déchirant d’une époque, d’un pays, d’un homme brisé fonçant au volant d’une Dodge Challenger blanche appelée à devenir mythique et que personne ne peut arrêter.


Avant Max Rockatansky, avant Mickey et Mallory le couple barré de Tueurs Nés, avant le gang de filles revêches de Boulevard de la Mort, il y eut donc Kowalski, le « dernier héros américain » comme il sera surnommé au cours de son périple fou à travers le Grand Ouest américain. Kowalski est à première vue un mec lambda comme nous en livrera tant le Nouvel Hollywood tout au long de la décennie qui débute alors (le film date de ’71).

À première vue seulement car à bien y regarder son lourd passif en fait le symbole d’un pays où les rêveurs – certes trop défoncés pour s’en rendre compte – ont perdu plus qu’une bataille mais carrément la guerre, une guerre que ces freaks et autres contestataires hirsutes et/ou dénudés avaient déclarée aux idéaux vérolés de l’Amérique. En 1971, la fête est terminée ou presque : Nixon est plus que jamais au pouvoir – même si ça ne va pas durer –, les Beatles ont plié boutique, Lou Reed a arrêté la musique mais tout le monde s’en fout puisqu’il n’est pas encore une star, les Stones ont disparu dans le sud de la France pour échapper au fisc anglais et oublier Altamont, Bob Dylan se moque de ses fans avec un album en forme d’autoportrait lourdingue… Inutile de continuer, la liste est longue comme un solo de batterie de John Bonham – batteur ogresque d’un énième groupe anglais s’apprêtant à mettre à genoux l’Amérique et tout ce qu’elle compte de groupies même pas majeures.

Côté cinéma le message semble être arrivé beaucoup plus lentement au cerveau (lui aussi bien évidemment enfumé) des jeunes décadents formés à la télévision ou à l’université et rêvant eux aussi d’en découdre avec les institutions – ici les grands studios –, la faute sans doute au côté moins immédiat de l’art cinématographique… (Eh oui on ne produit pas un grand film – ni un mauvais d’ailleurs, quoique ça peut aider – en seulement quinze petits  jours).

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Au cinéma donc, sur les traces de Bonnie & Clyde et des motards pépères d’Easy Rider qui connurent tous un destin tragique, débarque Kowalski au volant d’une Dodge qui n’est même pas la sienne. Il n’est qu’un convoyeur devant amener l’engin stationné au Colorado jusqu’en Californie. En fait Kowalski est l’un de ces paumés qui peuplaient les westerns et qui, à la recherche de quelques dollars ou d’une impossible rédemption, partaient sur leur cheval pour mener un troupeau à un nouveau propriétaire ou un convoi humain vers une nouvelle terre à exploiter. Kowalski est un cowboy et Point Limite Zéro un western mettant en scène sa dernière aventure, en quelque sorte.

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Mais avant d’en arriver là, Kowalski a tout connu: vétéran précoce du Viêt Nam, flic intègre à la Serpico, pilote de course casse-cou, participant déçu du Summer of Love. Le bougre a traversé les sixties comme une météorite lancée à toute allure que même Bruce Willis ne saurait arrêter. Désormais livide et perdu dans ses souvenirs il n’est plus qu’un ectoplasme, une présence élimée jusqu’à l’os à force de gober du speed pour tenir. Il ne lui reste plus que ses yeux rouges pour pleurer et tout le reste pour conduire. Conduire jusqu’à la mort.

Sa propre mort, donc, mais aussi celle d’un rêve brisé à peu près au même moment, quand le pays qui en était porteur envoyait quelques-uns de ses fils chéris marcher sur le sol lunaire alors même que des centaines d’autres crevaient à l’autre bout du monde dans une guerre inutile. Kowalski y a cru, c’est certain ; il s’est vautré dans le rêve hippie après avoir joué au petit soldat et au justicier au service de la nation et de ses idéaux. Mais ce qu’il a vu n’était pas très ragoûtant : le mensonge d’une époque vendant à la fois le rêve de puissance et son envers : le rêve de paix intérieure. Seulement les deux n’étaient que faux espoirs et beaux discours partis depuis en fumée.

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Au volant de son bolide qui arpente sans répit la Vallée de la Mort, jadis terrain de jeu favori des cowboys luxueux d’Hollywood, Kowalski semble vouloir quitter ce monde et cette époque dont il rencontre néanmoins quelques  curieux témoins, du vieux charmeur de serpents au couple gay prêt à lui faire la peau, lui le dernier des bons samaritains. C’est à se demander si bien avant Mad Max, qui lui empruntera tant quelques années plus tard, Point Limite Zéro ne nous offrait pas déjà la vision d’un monde post-apocalyptique. Un monde qui serait peut-être le notre un jour, la vision d’un futur possible autant qu’un témoignage de l’Amérique de l’époque, perdue et chancelante. Seul Super Soul, le formidable personnage du DJ aveugle qui plus que quiconque voit les choses, connait la réponse à cette question, lui l’ultime conteur, le grand témoin de l’odyssée de Kowalski. Il s’adresse directement au héros, lui indiquant les pièges à éviter, et à nous spectateurs, choisissant pour nos oreilles abimées les chansons qui composent en fin de compte cette bande son faisant du film une sorte de dernier grand bal avant la fin du monde.


Et qu’importe si après lui le déluge sera remplacé par une pluie d’héritiers prestigieux qui ne cesseront encore aujourd’hui de lui rendre grâce. Kowalski est parti en fumée. Et avec lui les rêves et les espoirs d’antan.


Aubry Salmon


Point Limite Zéro ressort ce mercredi en salles.