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Pop poster - L'Étrange Créature du lac noir

Bien plus qu'un visuel vintage, l'affiche mythique de L'Étrange Créature du lac noir est une plongée au cœur d'un certain cinéma – celui que l'on vénère. Sa place est dans un musée.
Pop poster - L'Étrange Créature du lac noir

Bien plus qu'un visuel vintage, l'affiche mythique de L'Étrange Créature du lac noir est une plongée au cœur d'un certain cinéma – celui que l'on vénère. Sa place est dans un musée.


Article initialement paru dans le Rockyrama 25 : Série B, toujours disponible sur notre shop

Écrit par Clément Arbrun.

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Même sans l'avoir vue, cette étrange créature du lac noir vous est forcément familière. L'entité sous-marine fait partie du bestiaire des « Universal monsters ». Elle y côtoie Dracula, la Momie, l’Homme invisible, Frankenstein et sa fiancée. On ne compte plus les œuvres qui l'invoquent depuis sa création en 1954. Il faut dire que cette histoire d'expédition amazonienne sur fond de révolution scientifique fait toujours son petit effet. On adore embarquer aux côtés de Carl Maia et du Dr Reed vers ce territoire évoquant par son seul nom l'inconnu et la menace qu'il inspire : le lagon noir. Un lagon à l’eau d'encre, épaisse comme le rideau de la nuit, sublimée par un somptueux noir et blanc...


Vous vous en doutez, rien de très amazonien cependant dans ce lointain décalque du King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack : la plupart des séquences ont été tournées dans des studios californiens. Mais, la magie du cinéma aidant, l'illusion fonctionne à fond. Et l'affiche, élément fondamental du cinéma de genre, de contribuer à l'édification du mythe. S'y retrouve ce parfum d'exotisme, à mi-chemin entre Tarzan et les serials. Puis il y a la dimension aquatique, graphiquement scindée en deux (entre surface et abysses), comme s'il s'agissait de séparer deux mondes, le réel et le fantastique. S'immiscent ensuite les petits éléments « à la King Kong » – bateau, fusil, chapeau d'explorateur. Et bien sûr, au cœur même du visuel, la magnifique créature, dont la conception a coûté pas moins de quinze mille dollars à l'époque. Cet être préhistorique et amphibie soutient le corps de sa proie – la captive et hurlante Kay Lawrence. Tout comme le singe géant portait du bout de sa patte celui de la tout aussi charmante Ann Darrow... Plaquées dans un film populaire, ces images sont si naturellement évocatrices qu'on a l'impression de les redécouvrir avec des yeux d'enfants. Ces mêmes gamins qui, en octobre 1982, ont pour la première fois plongé dans le lagon noir grâce à la Dernière Séance d’Eddy Mitchell.


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Une bonne affiche de film (comprendre : une affiche que l'on retient), c'est avant tout une posture. Une gestuelle ou une silhouette qui, à l'instar d'un logo, marque au fer rouge nos mirettes. Et dans le genre, le gimmick du monstre portant sa victime à bouts de bras fera date. Ici, la position de la bête en imite une autre : celle de l’extraterrestre au centre de l'affiche du Jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise. Et le succès de la Créature du lac noir d'engendrer la prolifération de ce marqueur visuel. De Tobor the Great (1954) à Planète interdite (1956), de The Creature Walks Among Us (1956) à Invasion of the Saucer Men (1957), en passant par les inénarrables Bride of the Monster (du grand Ed Wood) et Curse of the Faceless Man (1958), le cinéma « à frissons » de l'âge atomique déborde de posters spectaculaires où robots, aliens furibards et anomalies diverses soulèvent le corps de « demoiselles en détresse » évanouies. Cette « posture » se retrouve même sur l'affiche d'un autre classique de Jack Arnold ; Tarantula, sorti l'année suivante. Sauf que cette fois, la demoiselle est coincée entre les mandibules d'un arachnide. Preuve en est que ce motif est inépuisable. Admirer le poster de la Créature du lac noir revient donc à parcourir de longs couloirs recouverts d'affiches saisissantes, aux couleurs criardes et aux baselines outrancières. Celle qui trône au sommet du « Black Lagoon » ne démérite pas : « Depuis la nuit des temps, le monde n’a jamais connu une telle terreur ! ». Rien que ça ?


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Mais loin de se limiter à une grammaire « rétro », cette affiche retranscrit à merveille la mélancolie du film. On pense à ce ballet aquatique où homme-poisson et femme-naïade nagent à l'unisson – l'un observant l'autre dans ses profondeurs (des plans subjectifs qui ont inspiré un certain Steven Spielberg et ses Dents de la mer) –, ou encore à cette image d'une main palmée quêtant à l'aveugle la jambe nue de Kay Lawrence. En creux s’énonce l'union entre la Belle et la Bête, forcément impossible. Le lagon est un paradis perdu, mais leur love story s'achève en enfer : le corps du « Gill man » (l'homme aux branchies) sera soumis au feu destructeur des envahisseurs venus l'exterminer. De fait, qui de la créature ou de ces agresseurs est un « monstre » ? Quel regard porter sur ceux qui cherchent à détruire une merveille de la nature ? Ces questionnements écolos se retrouvent griffés en deux esquisses. En arrière-plan, les silhouettes lointaines des protagonistes « humains », encombrées de tenues de plongée, ne sont que des ombres menaçantes et totalement dépersonnalisées. À l'inverse, véritable « vedette » du spectacle, la très charismatique créature fascine par son anthropomorphisme. Loin du démon assoiffé de sang, l'homme-poisson surprend par la délicatesse de ses traits et le mystère de ses intentions. Il se tient debout et fier. Et l'enlèvement de sa « sirène » pourrait tout aussi bien être...un sauvetage.


Sur ce lagon noir, décrit comme un « territoire vierge », s'inscrivent tous les fantasmes. Il suffit pour s’en assurer de voir l’interprétation qu’en tire le grand Drew Struzan. Oui oui, le génie à qui l'on doit les affiches de E.T., Retour vers le futur, Indiana Jones, Rambo et Risky Business a offert son propre poster-hommage, aisément trouvable sur le web. Sur cette affiche très « fanboy », les traits du monstre sont creusés par les eaux troubles. Vaste reflet, son visage d’homme-poisson constitue l'essentiel du lac. En superposant créature et lagon noir pour n'en faire qu'un tout, l'homme derrière l'affiche de The Thing nous rappelle que le « Black Lagoon » est une entité à part entière du récit. Un personnage majeur. Comme la jungle dans Predator, la mélasse noire du lagon est, tel du sang qui coule dans les veines de l’œuvre, un décor organique, qui volontiers se confond avec le monstre qui l'habite et au sein duquel on aime tant s'égarer et s'effrayer, à l'image d'une forêt de conte de fées.


Article initialement paru dans le Rockyrama 25 : Série B, toujours disponible sur notre shop

Écrit par Clément Arbrun.

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