Drew Struzan, l’homme aux 1001 affiches
Si son visage ne vous dit rien, ses affiches, elles, sont ancrées dans vos rétines depuis tout petits.Quand le Skype s’allume, Drew s’affiche, grand sourire aux lèvres, dans son atelier. Derrière lui, on voit des peintures personnelles, et un poster : celui de Hook. Le visage de Dustin Hoffman, le sourire de Robin Williams, l’ambiance années soixante-dix/quatre-vingt très colorée, des personnages partout... Une œuvre représentative de la carrière du bonhomme, on ne sera donc que très peu étonnés quand il nous expliquera qu’il s’agit là d’une des plus importantes pour lui.
Si son visage ne vous dit rien, ses affiches, elles, sont ancrées dans vos rétines depuis tout petits. Les affiches d’Indiana Jones, The Thing, de la prélogie de Star Wars, de la trilogie Retour vers le futur, sont toutes signées de la main du même homme : Drew Struzan. Un style caractéristique de peinture à l’huile, où l’on voit le trait, où le photoréalisme reste la clé de l’entreprise mais toujours en mettant en avant les qualités des personnages. L’assurance d’un Indiana Jones, la surprise d’un Marty McFly, la malice candide d’un Peter Pan…
Non, ce n’est pas pour rien que Michael J. Fox est son plus grand fan, qu’il est proche de Steven Spielberg, de George Lucas, de Guillermo Del Toro, ou encore que Harrison Ford clame à qui veut l’entendre qu’il lui doit beaucoup. « Il m’a vraiment fait très beau » s’amuse à répéter l’acteur américain dans le documentaire Drew Struzan, the man behind the posters. Aujourd’hui à la retraite, l’homme a essayé de retracer sa carrière, de se souvenir de ces moments clés et rares d’une époque où les posters peints à la main n’étaient pas une denrée rare. Une époque où le marketing entourant la sortie d’un film était encore un art.
Rencontre et texte par Arthur Vandenbroucke
Arthur Vandenbroucke : Vous avez raconté dans une interview que vous n’avez jamais vraiment appris à dessiner car vous avez toujours su. Vous souvenez-vous du moment où vous avez réalisé que vous vouliez faire de votre passion votre métier ?
Drew Struzan : Vous serez surpris d’apprendre que j’avais deux ans quand c’est arrivé. Ma mère m’a dit que quand je voulais un verre d’eau, je dessinais un verre avec de l’eau qui coulait dedans, puis lui donnait le dessin. Elle a tout de suite su que je voulais dessiner... et boire [rires].
Je dessinais ce qui était autour de moi, la vie. En tant qu’Américain, je regardais la télé et, à l’époque, il y avait beaucoup de série sur les cow-boys : Lone Ranger, Cassidy… Je dessinais beaucoup ces personnages. D’ailleurs, ça me fait penser qu’un jour Dylan [sa femme, ndlr] et moi marchions dans le centre de Los Angeles. Nous sommes passés devant une boutique d’œuvres d’art qui était fermée, mais dont on voyait les œuvres en vitrine. Et j’ai tiqué : « Attends deux secondes ». On a fait marche arrière et on a vu un dessin de cow-boy signé de mon nom ! C’est quand même très bizarre qu’il ait été là, mais on a continué notre chemin. J’aurais du l’acheter [rires].
A : Avant que cela devienne le centre de votre carrière, avez-vous déjà été amoureux d’une affiche de films ?
D : Non pas du tout [rires] ! J’aimais les films, mais les affiches ne m’on jamais frappé. Je n’y ai, mais littéralement, jamais pensé. Jamais jusqu’à ce qu’on me propose d’en faire en tout cas. Tout part d’un directeur artistique [Barry Shereshevsky, ndlr] qui, un jour en 1975, roulait sur Sunset Boulevard. Au volant de sa voiture, il voit une pub immense de presque 20 mètres que j’avais dessinée pour l’album Welcome to my Nightmare d’Alice Cooper. Il a immédiatement fait demi-tour et est allé acheter l’album pour savoir qui avait fait cette pochette, avant d’aller voir son boss et de la lui montrer. Ils m’ont appelé pour un rendez-vous, et tout a commencé. C’est aussi simple que ça [rires].
Vous savez, pendant longtemps, je n’avais vraiment pas beaucoup d’argent, pas de voiture, rien – à part ma femme et ma famille, en gros. Réussir à vivre de son art est déjà difficile. Quand j’étais ado, je vendais des portraits pour deux dollars. Je peignais mes profs et d’autres personnes comme ça. J’essayais de me débrouiller. Donc quand j’ai réussi à me faire payer pour peindre des pochettes d’albums, j’étais aux anges. Là, on me demandait de peindre des posters de film : c’était pareil pour moi. Au départ tout du moins ! Je n’ai jamais eu de plans de carrière. Je voulais juste peindre, et peindre, et peindre. Si je pouvais en vivre, c’était parfait.
A : Comment vous avez atterri dans le monde de la musique ?
D : Par hasard. J’étais tellement pauvre qu’après la fac, quand nous vivions à Hollywood, je me suis dit que je pouvais aller voir des maisons de disques avec mon portfolio pour proposer de faire des pochettes d’albums. Je prenais des rendez-vous par téléphone, puis je marchais de studio en studio pour leur montrer ce que je faisais. Trouver un premier boulot dans ce secteur était assez facile. J’y suis resté quelques années, jusqu’à cette histoire avec Alice Cooper.
D’ailleurs, je ne me souviens que très peu de cette période. La seule pochette dont je me souvienne, c’est justement celle de Cooper. Il voulait quelques chose de classe pour casser avec l’image sombre qu’il avait jusque là. Il venait à l’atelier pour voir ce que je faisais, il s’asseyait derrière moi toute la journée à observer ce que je faisais. Des années plus tard, je lui ai demandé une citation pour un livre que je faisais. Il m’a dit qu’il s’amusait plus à me voir le peindre, à voir le processus de création à l’œuvre, qu’à être en studio sur ce disque. Je me suis beaucoup amusé, vous savez. Plus j’avançais dans ma carrière, et plus je m’amusais.
A : Du coup, la première affiche de film était pour…
D : The Black Bird ! Oh, c’était une grosse comédie de David Giler. Je m’en souviens très bien. Il faut savoir que l’agence qui s’occupait du marketing était l’une des plus prestigieuses de Hollywood à l’époque. C’était colossal. Et ils ont visiblement apprécié puisqu’ils m’ont rappelé pour en faire une autre, puis une autre, etc. C’est devenu mon quotidien assez rapidement, au point où les studios, Universal, Paramount, m’appelaient directement.
A : Concrètement, comment ça se passait ? Vous aviez des consignes, des contraintes, ou vous étiez libres ?
D : Au début, on me donnait des consignes mais assez rapidement, elles sont devenues de moins en moins strictes. Pour te donner un exemple, très rapidement, juste après The Black Bird, on m’a demandé de m’occuper du tout premier film sur les Muppets. On m’a envoyé à New York pour rencontrer Jim Henson — c’était la première fois que je voyageais ! Je vais au studio, et on a une grosse réunion avec Henson, Oz… Je leur demande : « qu’est-ce que vous voulez sur l’affiche ? » Après tout, c’était leur premier film. Jim me dit qu’il veut que Kermit et Peggy soient au centre, c’est tout. C’est tout ! Pas beaucoup de consignes tu vois. Je peins un premier jet que je peaufine, et quand je le montre à Henson, il me dit : « Tu retranscris les Muppets exactement comme je les imagine. À partir de maintenant, j’aimerais que tu sois la seule personne autorisée à dessiner mes Muppets ». Et jusqu’à sa mort, j’ai peint toutes les affiches. Puis sa famille a repris l’affaire et a arrêté de me commander des œuvres… Mais c’était vraiment incroyable. Je suis rentré à Los Angeles, et ça a explosé. C’est à partir de là que tous les studios m’ont appelé pour me demander si j’avais le temps de faire un poster pour tel ou tel film. « Bien sûr que j’ai le temps » [rires].
A : Justement, combien de temps cela vous prenait ? Pour celle des Muppets par exemple ?
D : Oh, deux semaines à peu près, parfois moins, mais dans ces eaux-là.
A : Ah oui, c’est peu…
D : Tu trouves que c’est court ? Une fois, on m’a appelé vers 21 heures pour faire l’affiche de The Thing. On me demande si je peux faire un poster, pour le lendemain matin ! Cela m’a pris 24 heures pour la concevoir, la peindre et l’envoyer. Et le pire, c’est que je n’avais aucune consigne ! On m’a demandé si j’avais vu la version des années cinquante, ce qui était le cas, et voilà. C’était en gros ma seule direction. Aucune idée du casting, des effets spéciaux, rien ! Du coup, j’avais une liberté incroyable, c’était une chance. J’ai peint une image ouverte, un corps dont le visage n’est que lumière.
C’est devenu par la suite l’une de mes marques de fabrique, c’est à dire que je ne peins pas de choses réelles, je peins ce que j’ai envie que vous pensiez être vrai. Et c’est sans doute pour ça que les gens aiment mon œuvre, parce qu’ils peuvent y voir ce qu’ils veulent. En convention, on vient souvent me dire « pour moi, cette œuvre, c’est ça, ça représente ceci ». Et c’est parfait. C’est exactement ce que je veux.