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Rencontre avec Paul Verhoeven, le hollandais violent

Avec Basic Instinct, tous les éléments de son cinéma sont au rendez-vous. En réalisant un nouveau genre de film noir, Verhoeven va signer un film unique et mettre en avant un personnage fascinant ainsi qu’une actrice formidable.
Rencontre avec Paul Verhoeven, le hollandais violent

À l'occasion de la ressortie en salles et en vidéo de Basic Instinct dès le 16 juin par Carlotta et STUDIO CANAL, retour sur notre rencontre avec Paul Verhoeven, le hollandais violent.


Paul Verhoeven aime filmer la violence et le sexe, mais par-dessus tout, il aime filmer et mettre en scène des femmes fortes et fatales à plus d’un titre, des femmes qui prennent le contrôle et dominent les hommes.


Avec Basic Instinct, tous les éléments de son cinéma sont au rendez-vous. En réalisant un nouveau genre de film noir, Verhoeven va signer un film unique et mettre en avant un personnage fascinant ainsi qu’une actrice formidable.


Entretien par Jacinto Carvalho paru dans le Rockyrama 30, toujours dispo sur notre shop.

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Jacinto Carvalho : Comment décririez-vous vos débuts en tant que réalisateur aux Pays-Bas ? Comment avez-vous commencé à rencontrer des problèmes avec la censure ?


Paul Verhoeven : Au début de ma carrière aux Pays-Bas, les choses étaient très simples. J’ai commencé dans les années soixante-dix à la télévision, j’y ai rencontré Rutger Hauer. Puis les producteurs m’ont proposé une comédie, Business is Business, à propos de deux prostituées à Amsterdam et ce fut un gros succès. Puis j’ai réalisé Turkish Delight, encore un succès... À cette époque, une partie du budget venait du gouvernement et le reste des producteurs. Mais les gens du gouvernement étaient plutôt des libéraux, des démocrates si l’on peut dire les choses ainsi, mais pas vraiment de gauche, plutôt centristes. Leur unique attente était que les films parlent au plus grand nombre. Il n’y avait pas d’obligation de faire du cinéma artistique ou d’auteur. Il fallait faire des films et que le public réponde présent, et comme mes films étaient très populaires, je pouvais faire ce que je voulais. 


Ce fut le cas durant les dix premières années de ma carrière, puis petit à petit les décideurs ont été remplacés par des gens plus à gauche, que je définirais comme du fascisme de gauche. J’avais fait Turkish Delight avec beaucoup de sexe, de nudité et de choses jugées immorales, ce fut pareil avec Katie Tieppel, mais il n’y avait pas d’organisme de censure comme aux États-Unis. La censure arriva avec ces personnes en charge des financements qui approuvaient ou non les scripts. C’était une censure gouvernementale qui m’a forcé à quitter le pays. Le ton a changé : « Les films doivent être comme ça ! Ceci est artistique, ceci ne l’est pas ! »


À partir de ce moment, vous ne pouviez plus faire simplement une comédie, il fallait que le sujet soit important, que le film soit engagé, qu’il critique la société… C’est devenu très difficile de travailler, car je n’envisageais pas le cinéma ainsi. J’ai toujours voulu m’adresser au plus grand nombre, je ne voulais pas faire ces films très spécifiques qui n'attiraient en fait que quelques milliers de spectateurs. Beaucoup l’ont fait et sont devenus les coqueluches de ce nouveau gouvernement. Mais moi, on ne finançait plus mes films. Ils étaient populaires et avaient du succès et à l’époque le succès engendrait la suspicion. Cela impliquait que vous n’étiez pas un artiste. Le pays a été de plus en plus dans cette direction, dans les années quatre-vingt-dix, et ça m’est devenu impossible de travailler. Je ne pense pas qu’en tant qu’artiste vous devez faire quelque chose « d’important », vous devez faire ce que vous avez envie, ce que vous aimez, vous exprimer à votre façon et créer des choses qui ont de l’importance à vos yeux, même si cela n’en a pas pour les autres. Je voulais faire des choses que je comprenais, que j’avais envie de faire partage, mais je ne pouvais pas envisager de faire des films que je n’aimerais pas moi-même. À cause de mes succès, je me retrouvais dans l’incapacité de financer mes films, cela a mis un terme à ma carrière aux Pays-Bas.


Je recevais déjà souvent des propositions de la part d’Hollywood. Après la sortie de Soldier of Orange aux États-Unis, Spielberg m’a appelé et m’a dit : « Comment arrives-tu à faire ces films aux Pays-Bas ? C’est un petit pays. Viens en Amérique, je vais te présenter aux studios, tu dois faire des films américains. » Alors ma femme, Martine, m’a dit :« pourquoi devrait-on rester ici ? Je peux m’occuper des enfants, faisons-le ! » Finalement quand j’ai reçu le script de Robocop, j’ai accepté. En réalité, j’ai d’abord rejeté Robocop, je trouvais ce film stupide. Son titre original était quelque chose comme Futur of Law Enforcement et quand j’ai vu que c’était à propos d’un robot, j’ai dit non. Mais Martine l’a lu et m’a dit que j’avais peut-être rejeté ce script trop vite. Elle m’a persuadé que même si c’était totalement différent de ce que je faisais alors – car je n’avais jamais fait de science-fiction –, il y avait des thématiques qui devraient me parler. J’ai donc relu le script et je me suis rendu compte qu’elle avait raison.


Nous avons pris la décision de nous lancer aux États-Unis. Si ton premier film aux États-Unis est un succès, c’est tout ce qu’ils demandent. Tu n’as pas à être « un artiste», on te demande juste de rapporter de l’argent ! Par contre, si ton premier film est un échec, alors ce sera très compliqué... Mais Robocop a rapporté beaucoup d’argent ! On a donc décidé de vendre la maison et on est partis s’installer là-bas. Ma carrière hollandaise est devenue une carrière américaine jusqu’en 2001, à peu près, et j’ai adoré faire des films américains.

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J : L’occupation allemande aux Pays-Bas semble avoir été déterminante dans votre façon de regarder et de montrer la violence au cinéma, non ?


P : À la fin de la guerre, j’avais six ou sept ans. Je vivais ici à La Haye durant les deux dernières années de la guerre et la ville a subi beaucoup de destructions. Pas une destruction opérée par les Allemands, mais par les alliés, par les avions américains et anglais et leurs bombardements. Je vivais dans un quartier de la ville qui a été pratiquement rasé par erreur... On grandit alors dans un contexte où on est en train de déjeuner et les fenêtres vous explosent au visage, car une bombe est tombée sur une maison à côté de chez vous. Les alliés bombardaient la ville à la fin de la guerre parce que le commandement allemand se trouvait ici. Je me rappelle aussi les Rockets V2 de Von Braun qui étaient lancés à 2 kilomètres de chez nous. Elles faisaient plusieurs fois la taille de notre maison et comme elles venaient de décoller, elles semblaient énormes. Je me souviens qu’on devait enjamber ou contourner des cadavres dans la rue sur le chemin de l’école, car des rebelles avaient été tués par les Allemands. En grandissant dans cet environnement, on se dit que c’est la normalité, on n’a pas de point de comparaison... Je pense que c’est pour cela que je n’ai pas peur d’utiliser la violence dans mes films. La violence est omniprésente, la vie est faite de guerres, de mal et de cruauté, alors utiliser la violence dans mes films me paraît juste normal.


J : La violence et le sexe semblent omniprésents dans vos films...


P : Je n’ajoute pas ces éléments dans les scénarios, mais s’ils comportent de la violence ou du sexe, je ne les contournerais pas ! Je pense que le sexe est l’une des choses les plus importantes qui soient dans la vie. Sans sexe, pas d’enfants et notre espèce dépérirait. Le sexe et la violence sont deux éléments prédominants au sein de l’univers... C’est pourquoi je suis toujours très étonné qu’on me demande, depuis le début de ma carrière, pourquoi je mets en images le sexe et la violence.


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J : Aux États-Unis aussi vous avez été confronté à la censure !


P : Oui, j’ai eu beaucoup de problèmes avec la censure aux États-Unis. Il fallait toujours couper des plans… Ils n’intervenaient pas sur le scénario, mais faisaient des retours une fois le film tourné. Ils me disaient : « C’est trop violent ! Il y a trop de nudité ! Il peut y avoir de nudité, mais pas en mouvement ! » Ce qui est stupide puisque lors de rapports sexuels, on bouge ! On pouvait voir des rapports mais il fallait qu’ils soient immobiles. Du moment où les corps se frottaient, on coupait ! 


J’ai été censuré pour ultra violence, comme dans Basic Instinct, avec la scène du meurtre qui ouvre le film et le crime sanglant du personnage interprété par George Dzundza qui joue le partenaire de Michael Douglas. J’ai dû altérer ces scènes.


Pour Basic Instinct, on a fait deux versions : une version américaine qui est passée sous les fourches caudines de la censure, dans laquelle j’ai dû faire un remontage après plus de huit allers-retours avec la censure. Heureusement, j’avais une certaine expérience avec la censure, je connaissais les méthodes américaines... J’avais donc anticipé ces problèmes en préparant tous les plans alternatifs qui m’ont permis d’arriver à une version censurée qui soit « ok ». Mais la version originale du film est plus élégante et bien plus esthétique que celle qui a été projetée dans les cinémas américains. La version américaine a été projetée aux États-Unis, en Australie et en Corée du Sud, et dans le reste du monde c’était ma version. En France, c’est ma version du film qui a été projetée...et en France tout le monde se fout de la censure, surtout concernant le sexe ! Aux États-Unis, le problème venait en partie de la violence, mais surtout du sexe ! 


J : Sharon Stone, qui interprète Catherine Tramell, semble être habitée par le rôle !


P : Je savais dès le départ que je voulais Sharon Stone pour le rôle à cause d’une scène dans Total Recall dans laquelle elle passe de la haine à l’amour en une fraction de seconde. Au début, elle n’arrivait pas à se mettre dans la peau de Catherine Tramell, cela ne fonctionnait pas. Mais bien sûr, elle a fait un travail remarquable. Je la trouvais si proche du personnage ! Pas qu’elle commettrait des crimes, évidemment, mais elle comprenait si bien ce personnage que Joe Eszterhas avait créé qu’elle en avait peur au début du tournage. Je lui ai dit : « Tu dois laisser ce démon en toi jaillir, tu dois accepter cette partie sombre de ton être et devenir cette personne. Tu ne le veux peut-être pas, car tu as peur, mais tu dois le faire. » Nous avons eu une conversation intéressante la première semaine de tournage, sur la plage, sous les étoiles. Je lui ai dit combien elle était talentueuse, mais que cela ne fonctionnerait que si elle acceptait de laisser sortir ce personnage démoniaque ! Le lendemain, avec Jan de Bont, on n’en croyait pas nos yeux. Dès le premier plan qui a suivi cette conversation, c’était là, sous nos yeux, elle s’identifiait enfin au personnage ! C’était là depuis le début, caché en elle et cela ne l’a plus jamais quittée !


Entretien par Jacinto Carvalho paru dans le Rockyrama 30, toujours dispo sur notre shop.