Created by Richard Schumannfrom the Noun Projecteclair_rocky
Design, Article & Cream
superstylo

R.I.P. George A. Romero (1940-2017)

C’était le collaborateur préféré de Stephen King. Il a inventé les zombies que nous connaissons tous. Il a critiqué Nixon, Reagan et les deux Bush à travers ses longs-métrages.
R.I.P. George A. Romero (1940-2017)

C’était le collaborateur préféré de Stephen King. Il a inventé les zombies que nous connaissons tous. Il a critiqué Nixon, Reagan et les deux Bush à travers ses longs-métrages. Il a créé le film américain de minuit et n’a jamais épuisé ou compromis sa vision. Il s’appelait George Andrew Romero, et son héritage perdurera.


Tout au long de sa vie, Romero n’a jamais oublié le petit gars qu’il était dans les années 50 à New York où il tourna ses premiers films dès l’âge de 14 ans. Né dans le Bronx, il passe une grande partie de son enfance dans le métro de Manhattan. C’est à l’adolescence qu’il découvre Les Contes d’Hoffman de Michael Powell et Emeric Pressburger. Cette adaptation de l’opéra-homonyme d’Offenbach (1881), d’une beauté brute, restera gravé dans la mémoire de Romero et influencera toute une partie de son cinéma.

rip-george-a-romero-1940-2017

« C’était le cinéma, la fantaisie, le fait que c’était un fantasme et qu’il y avait quelques choses de bizarres - c’était tout cela » dira plus tard Romero*, franc et légèrement fou, dans sa manière de parler du film Les Contes d’Hoffman. « C’était vraiment un film pour moi. Cela m’a donné une appréciation précoce du pouvoir que pouvait avoir les médias visuels – le fait que vous pourriez l’expérimenter. Il y avait toutes ces astuces dans la caméra […] Cela m’a fait sentir que je pourrais peut-être comprendre ce medium. C’était transparent, mais cela a fonctionné. »


Romero est allé à l’université Carnegie Mellon à Pittsburgh et y est resté après avoir obtenu son diplôme pour la réalisation de courts-métrages et documentaires télévisés. Il travailla par la suite pour une société de production commerciale appelée Latent Image. L’un de ses travaux non-fictionnel fut un documentaire (pour la série The Winners) sur l’ancienne star du football américain et acteur O.J. Simpson : O.J. Simpson : Juice on the Loose (1974). Romero a connu les hauts et les bas de l’Amérique. Il savait ce qui était craint et ce qui était aimé. Il savait aussi à quelle vitesse l’un pouvait devenir l’autre.

rip-george-a-romero-1940-2017

C’est en janvier 1967 que les fortunes du jeune réalisateur vont changer. Romero et les employés de Latent Image, John Russo et Rudy Ricci, buvaient de la bière et mangeaient, tout en déplorant le manque d’opportunités créatives. Ils se plaignaient du manque de moyen pour percer dans l’industrie du film à Pittsburgh, eux qui étaient bloqués à faire des publicités. Le trio avait eu des succès modérés, notamment une parodie du film Le Voyage Fantastique (1966) intitulée The Calgon Story, une publicité sur du liquide vaisselle. C’est à ce moment-là que les trois hommes décidèrent de faire un film à destination des drive-ins afin d’attirer l’attention d’Hollywood. Ce modèle d’indépendance deviendra la base de certains des plus grands succès cinématographiques du 21e siècle – réaliser par exemple un film et être programmé à Sundance afin d’attirer les majors – et Romero a été l’un des premiers cinéastes indépendants à constituer une menace pour Hollywood, aussi bien formellement que financièrement.


Fin des années 60, Romero et ses collègues fondent Image Ten Productions, une petite maison de production avec quelques milliers de dollars. Après quelques mois de réflexions, ils commencent la production de leur premier long-métrage. Tous participèrent au pot à idées ! Romero qui avait été élu « metteur en scène », a pris en compte les opinions de chacun et a ajouté une lourde dose de Je suis une légende de Richard Matheson (livre qui relate le destin tragique du dernier homme sur Terre devant faire face à des créatures présentant des caractéristiques attribuables à la fois aux vampires et aux morts-vivants). Le film a été réalisé pour 114 000 $ et le tournage s’est déroulé sur six mois. Une fois terminé, Romero jete les bobines à l’arrière de son van, direction New York pour trouver des intéressés.

rip-george-a-romero-1940-2017

Le résultat s’appelle La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, 1968) lorsque la Walter Reade Organization accepte de le diffuser sans censure en 1968. La première se déroule à Pittsburgh avant de sortir sur le territoire américain par une belle matinée d’octobre 68. Le public ne s’en remettra jamais.


Il y a beaucoup à dire sur les raisons de la sortie de Night of the Living Dead en 1968, un moment de révolution politique en plein milieu de la guerre du Vietnam. Il y avait quelque chose d’étonnamment moderne à propos de l’immédiateté des horreurs de la nuit. La Nuit des morts-vivants fut en quelque sorte une réaction à l’acceptation par un pays de la violence - la guerre du Vietnam sur les écrans TV de millions d’américains. Lorsque les zombies déchiquettent les personnages et les mangent pour la première fois, il y a une tolérance sombre dans la façon de filmer de Romero et ce pour rendre les effets encore plus réels. Les zombies ne laisseront rien ! Tout au long du film, les hommes sont fusillés, une petite fille frappe sa mère jusqu’à la mort et la mange, et lors du final, notre héros innocent est abattu, une fin qui, à ce jour, provoque toujours un renversement viscéral. 


Après La Nuit des morts-vivants, Romero s’est ramifié avec une comédie romantique intitulée There’s Always Vanilla (1971), à propos d’un vétéran de l’U.S. Army devenu vagabond et qui gagne de l’argent par divers moyens, du proxénétisme au jeu de guitare dans la rue – quelque chose que Romero a beaucoup vu dans les rues de Pittsburgh, où se déroule le film. Le héros de Romero travaille pour une entreprise de publicité, ce qui ajoute une dose autobiographique au film. Romero enchainera avec Season of the Witch (1972), qu’il a tourné, édité et dirigé avec un micro-budget. Nous y suivons Joan, femme au foyer succombant à l’appel de la sorcellerie. Elle entamera par la suite un voyage de la découverte de soi – sans son mari – quelque chose que très peu de cinéastes de genre de l’époque ont approché : l’identité moderne et suburbaine féminine.

rip-george-a-romero-1940-2017

Ensuite, George A. Romero réalisa The Crazies (La Nuit des fous vivants) en 1973. Celui-ci fut son troisième échec commercial d’affilée, mais il y a quelque chose d’indéniablement puissant dans ce mélange d’images horribles. Dans le film, l’approvisionnement en eau d’une ville est soumis à une toxine qui transforme tout le monde en meurtriers, s’entretuant à vue. Sur le plan thématique, le film s’adresse à un gouvernement qui efface accidentellement les normes de décence qu’il prétend soutenir alors que des conflits horribles et violents éclatent à l’étranger. Des agents de destruction « blancs » sont détachés pour contenir les « fous », tirant et brûlant tout sur leur passage. C’est le Vietnam en Amérique du Nord et c’est absolument effrayant.


Martin (1977) est une belle et sensible étude d’un outsider qui se réconforte en vampirisant ses victimes pour soulager son anxiété avec sa famille ouvrière. C’est l’un des grands films de vampires et met en scène des images inoubliables et empathiques des rues mortes de Pittsburgh.


Dawn of the Dead ou Zombie (1978) est l’une des critiques capitalistes durables dans le cinéma américain. Il frappe avec une force documentaire. Le film est un véritable regard de style sur un écosystème en ruine. Un monde devenant post-apocalyptique. Mais le plus mémorable c’est que Zombie est une critique du matérialisme. L'action du film se déroule dans un grand centre commercial. Pendant les années 70 aux États-Unis, l’époque du consumérisme est à son apogée. Dans le film, les zombies cherchent à regagner le centre commercial, car c'est une sorte d'instinct qui leur rappelle leur ancienne activité favorite, le shopping. L’apocalypse zombie montré dans le film de Romero est une prophétie métaphorique qui nous dessine la crise de la société postindustrielle, société qui se dévore elle-même.

rip-george-a-romero-1940-2017

Le travail ultérieur de Romero était toujours intéressant et émouvant, mais ses succès étaient peu nombreux. Day of the Dead (Le Jour des morts-vivants, 1985) est une critique sur l’ère Reagan et de la Guerre Froide, et Land of the Dead (Le Territoire des morts, 2005) s’attaque à Dick Cheney, Vice-président des Etats-Unis sous Bush.  


Ce sera Knightriders (1981), l’ode de Romero à la vie sur un plateau de cinéma, bien qu’il ait choisi un film parfaitement original pour son équipe : un groupe de marginaux se réunissent déguisés en chevaliers et font des joutes à moto sous la direction d'un roi. Après cela, Romero a adapté Creepshow (1982), l’un des meilleurs films d’horreur jamais réalisés. Ecrit par Stephen King, le scénario est basé sur les histoires d’horreur du comics éponyme. Romero a recréé avec succès l’ambiance étrange que nous procuraient ses histoires à leurs lectures.

rip-george-a-romero-1940-2017

Romero a terminé sa carrière avec deux films de zombies. Il a mis un orteil dans le found-footage avec Diary of the Dead (Chronique des morts-vivants, 2008), un méta-film amusant mais désespéré sur des étudiants en cinéma témoin d’une invasion de morts-vivants. Le film nous a prouvé que Romero avait toujours l’énergie de ses jeunes années. Et enfin, il y a eu Survival of the Dead (Le Vestige des morts-vivants, 2009).


Cela devait être son septième film de morts-vivants, Road to the Dead, verra finalement le jour en 2018 avec Matt Birman aux commandes, collaborateur de longue date du papa des zombies. Disparu à l’âge de 77 ans, George A. Romero fut jusqu’au bout un réalisateur-critique de la société américaine, son racisme, sa consommation à outrance ou encore son goût immodéré pour la médiatisation. 


« I'm like my zombies. I won't stay dead »


*Interview de Romero pour l’ouvrage “The Film That Changed My Life” de Robert K. Elder


Pierre SAUVETON