Romain Gavras : l'amour et la violence
Et c'est parti pour deux heures de discussion avec l'un des tous meilleurs réalisateurs de notre beau pays.SMS. "Passe chez moi je me suis pété la jambe". Rendez-vous est donc pris quelque part dans Paris. Taxi. Romain Gavras m'accueille, "Assieds-toi, tu bois quelque chose ? Un café, un jus de fruit ?".
Et c'est parti pour deux heures de discussion avec l'un des tous meilleurs réalisateurs de notre beau pays. Justice, violence, Cassavetes, totalitarisme, fumigène, Fincher, dystopie, et autre Dark Knight au programme. Rencontre avec un garçon à l'opposé de ses mises en scène apocalyptiques. En surface du moins, parce qu'à l'intérieur, ça rêve de 300 chinois peroxydés, de Grèce, et de comédie musicale sur Daesh. Et tout ça entre deux verres de Mezcal. Tout s'est passé comme prévu.
Johan : Tu fais quoi en ce moment ?
Romain Gavras : En ce moment j’essaie de monter mon 2e long métrage. Mais comme j’ai pas envie de porter la guigne au projet, je préfère pas encore trop en parler, si tu veux bien.
J : Pas de souci. Quel est le dernier film que tu as vu au cinéma ?
R : Pour rester positif : Manchester by the sea. J’ai vraiment beaucoup aimé. C’est marrant parce que c’est typiquement le genre de film où je lis le scénario, j’ai envie d’attraper le scénariste parce que c’est tellement « tire-larmes », normalement t’as pas le droit, c’est les violons et tout le tremblement. Et là j’ai chialé deux fois, alors que je chiale jamais. J’ai trouvé ça vraiment très bien, j’ai été littéralement bluffé.
J : Tu as vu La La Land ?
R : Alors là, pour le coup, je ne veux pas être négatif parce qu’en plus j’avais vraiment aimé Whiplash, mais là… Je sais pas si c’est parce que tout le monde aime au point où on dit partout que c’est le film du siècle, ou si c’est parce qu’en ce moment je montre plein de comédies musicales à ma fille, comme Singin' in the Rain etc, et que c’est un énorme niveau en direction artistique, en histoire, et que La La Land à côté, on dirait un mannequin challenge bien filmé par une école de commerce de Los Angeles qui se serait un peu pris la tête. Mais j’ai des potes qui sont des gros haters qui ont adoré et qui me disent « mais t’es vraiment une merde ce film il est super », pour moi c’est juste « ok », voilà. Je suis passé à côté en fait. Damien Chazelle a du talent, c’est indéniable, Mais la scène d’intro je croyais que c’était une blague par exemple ! Y a un skateur, un mec qui fait du BMX, un mec qui fait du breakdance, je croyais qu’un terroriste allait arriver et tuer tout le monde (rires).
J : Toi tu l’aurais fait comme ça !
R : Ouais voilà c’est peut-être ça aussi… (rires).
J : Justement en parlant de cinéma Américain, quelles sont tes références ?
R : Ça va de Cassavetes à McTiernan en gros. Comme j’ai un père cinéaste, j’ai grandi beaucoup trop jeune en regardant des films comme Le Décalogue, j’avais 8 ans, des films d’Ozu à 10 ans, donc du coup ma rébellion d’ado c’était que Piège de cristal soit mon film préféré. Je suis fan de films ultras pop-corn, comme de Husbands de Cassavetes. Sinon Peckinpah, Coppola, Scorsese, Kazan, Kubrick, Ford. Le Loup de Wall Street par exemple, les gens qui n’aiment pas ce film, ils mentent en fait. Je comprends pas comment on ne peut pas jubiler devant ce film. C’est tellement brillant, et ce dans tous les compartiments du film. Je trouve ça fou d’être aussi frais à 70 ans. Ça montre juste l’intérieur du milieu à l’époque, l’excitation de ce monde, l’oseille, le « trop » de tout. Je trouve ça hyper moderne. Ce qu’il y a bien avec Scorsese, c’est que t’es toujours sur le fil du bon goût et de la beaufferie en fait, et c’est un endroit vraiment hyper intéressant. Que ce soit en musique, en cinéma, en art contemporain, d’être sur ce fil c’est vraiment excitant et je trouve que lui, il marche dessus très habilement.
J : Et des cinéastes plus jeunes, d’aujourd’hui ?
R : Fincher, c’est mortel. Même si j’aime pas ses films trop « jaunes », Benjamin Button et Zodiac. Mais j’ai un problème global avec le jaune je crois (rires). Nolan, ce qu’il a réussi à faire je trouve ça génial. Sa trajectoire est incroyable. D’arriver à imposer ta direction artistique, qui tu es en tant qu’auteur et réalisateur à des franchises comme Batman, juste ça, c’est une espèce de tour de passe-passe incroyable. Parce que pour en arriver là, c’est-à-dire à prendre une franchise et la rendre aussi puissante, faut vraiment se lever tôt. Après le seul truc chez eux qui me sort un peu de leur films c’est que c’est parfois trop froid, ça manque de sexualité, c’est ultra calculé dans le sens où c’est un peu trop maitrisé à mes yeux.
J : Du coup Michael Mann ça te fait ça ?
R : Non moins. Miami Vice j’adore par exemple, y a des textures, du grain, l’ambiance est plus sale. T’as l’impression qu’il se met plus en danger sur un film comme ça.
J : Et aujourd’hui y’a des blockbusters à 150, 200 millions où tu y trouves un intérêt ?
R : Mon problème, c’est que trop de CGI, ça me stresse. Et je pense que c’est pas juste un truc de réalisateur, je pense que le public sent le danger quand les mouvements de caméra sont pas impossibles. Si tu fais exploser une voiture, que la caméra fait une espèce de 360 degrés incroyable, inconsciemment les gens le savent, le sentent, et du coup ça me laisse un peu en dehors. Star Wars c’est chic mais bon… Alors que Dark Knight quand il est sorti, ça a foutu la merde quand même.
J : Justement en tant que réalisateur, quand tu es devant l’écran et que tu vois Dark Knight, tu te dis quoi ?
R : Je me dis que c’est brillant parce que j’étais littéralement dedans, et que je me dis « Faut que je le revois pour tout capter ». Pour faire simple, tu prends n’importe quel Marvel, je me souviens de rien. Absolument rien. Alors que Dark knight, juste la scène d’intro… Je me souviens de tout, la musique de Zimmer, comment c’est réalisé, tout ça. Et pour finir sur ce film, n’y a pas plus transgressif que d’avoir un personnage comme le Joker dans un film de cette dimension. Un nihiliste qui veut tout détruire. Y a cette phrase dans le film « Some people just want to see the world burn », ça c’est fort d’arriver à le placer dans un film à 150 millions je pense. Et bizarrement, c’est ce blockbuster qui a capté l’air du temps, beaucoup plus que certains autres films dont ce devrait être le rôle. Ce film est vraiment incroyable. Alors que les films de super-héros m’ennuient d’habitude, je n’aime pas leur mythologie.
J : Et les États-Unis ça te tente ?
R : En fait tout ce qu’on m’a proposé c’était des guêpiers d’après moi. Die Hard par exemple, je sais que j’aurai été malheureux sur un film comme ça, parce que j’aurai eu trois exécutifs sur le dos en permanence. Je peux m’éclater avec de gros budgets dans la pub, et en faire un vrai exercice, mais dans le cinéma je me sentirai violé. Je serai juste le petit européen branché, et je me ferais essorer. Je suis pas assez fan pour me manger tout ça.
J : Et le cinéma français ?
R : Y a toujours deux ou trois films tous les ans qui me font kiffer. Rester vertical de Guiraudie par exemple, j’aime beaucoup. Je trouve génial que ce mec existe et que des gens donnent de l’argent pour faire ça. P'tit Quinquin de Dumont et Carlos sont vraiment, pour moi, les deux séries françaises qui ont un vrai intérêt. Et ce que j’aime c’est que c’est vraiment Français, c’est-à-dire qu’un Américain ne pourrait pas faire ça, et je trouve ça cool. Le problème c’est que vouloir « faire l’Américain » ici, c’est-à-dire les lunettes de soleil, les manettes avec de l’oseille, cette grammaire-là, cette mythologie, c’est et le cinéma et la réalité qui l’ont créé. Mais en France quand on arrive et qu’on fait ça, c’est juste la honte en fait, parce que c’est pas notre quotidien. On devrait prendre ce qui nous définit comme une richesse et arrêter de copier les Américains. Surtout qu’eux-mêmes arrivent à une sorte de saturation sur leur propre mythologie justement. Alors qu’en Europe, on a encore un terreau hyper vierge. Par exemple, Pusher je trouvais ça génial. En France on a Un prophète, et puis c’est tout.
J : Et toi, comment tu trouves ta place dans tout ça ?
R : Dans le cinéma je suis tout neuf, j’ai fait un seul film. Je suis pas pressé. J’ai grandi avec la pub, les clips, la multiplicité des formats – c’est vraiment un truc qui m’excite. Je fais pas des clips pour faire des films, c’est-à-dire que même si je fais plus de films je reviendrai toujours aux clips. C’est vraiment une fin en soit le clip pour moi, c’est pas un marchepied.
J : Network parle essentiellement de télévision, quel regard portes-tu dessus ?
R : Je n’ai pas la télé. Mon écran me sert à regarder des DVD, c’est tout. Mais du coup, je la regarde dans des hôtels souvent, et je me rends compte à chaque fois de comme je suis déconnecté d’une certaine réalité, de ce qu’est la télévision. Mais si je regarde et que je tombe sur Les anges de la télérealité, ou ces trucs-là… C’est la stratosphère pour moi. Ça m’angoisse tellement que j’arrive même pas à regarder ça avec du second degré ou de l’ironie, ça me provoque des crises d’angoisse. T’as vraiment l’impression d’être dans Idiocracy. Ça me rend triste, les gens qui regardent ça au premier degré, mais ceux qui mattent ça avec cynisme c’est encore pire. Tu sais t’as toute la mythologie des films d’anticipation des années quatre-vingt où, à la télé, les gens seront forcés de s’entretuer, mais en fait, on ne les force même pas, les gens font la queue pour s’humilier. C’est ça qui est hyper déprimant. Et donc j’ai pas la télé parce que j’ai juste pas envie de penser à tout ça. Après, j’adore les documentaires, mais pour ça aujourd’hui il y a Internet.
J : Pour parler des clips, j’ai pas l’impression, alors que tu as ton propre style, que beaucoup de clippeurs t’aient imité… ?
R : C’est vrai. Mais tu retrouves des trucs dans la pub et les clips, c’est toute l’histoire de la pop culture, c’est que ce que tu fais est digéré et recraché ailleurs. Par exemple moi, je fais deux, trois trucs, ensuite les agences vont me demander de faire une pub, ils m’envoient des mood boards, et je retrouve des images de mes propres clips dedans. Et si je veux pas le faire, c’est quelqu’un d’autre qui reprendra ces codes, donc bon. Au début ça m’énervait un peu de revoir des trucs que je faisais ailleurs, et en fait, c’est le jeu. Que ton univers soit digéré par la pop culture, c’est comme ça que ça marche. De toute façon, je ne retrouve jamais l’essence de ce que je veux faire moi, mon intention, dans un clip ou une pub qui reprendrait mon style. C’est difficile aujourd’hui de pas retrouver une vidéo dans laquelle t’as pas une voiture qui fait des dérapages dans de la fumée et des fumigènes. Tu te dis que t’as créé un monstre. Mais là avec le dernier, avant que quelqu’un teigne 300 chinois en blond, va falloir se lever tôt (rires).
J : Qu’est-ce que tu aimes dans la pub ?
R : Dans les années 1990-2000, avant d’en faire, je trouvais qu’il y avait un truc d’innovation, j’aimais vraiment. Mais aujourd’hui je trouve que c’est que des mood boards. T’as le mec qui va faire du skate à L.A, l’autre qui va avoir des fumigènes, une fille qui va faire des bulles de chewing-gum, que des images pastiches, que du Tumblr. Et je sais pourquoi, parce que pour vendre un concept à leurs clients, les agences de pub font des petits films avec tout ça mis bout à bout. Ils mettent une petite musique cool, le logo de la marque à la fin, et tout le monde est content. Et ça, tu peux le faire pour des téléphones, des chaussures, des sodas, ce que tu veux. Et donc c’est pas créatif du tout, c’est juste des pubs Tumblr. C’est hyper pauvre et vampirisant, il suffit qu’il y ait une bonne idée pour qu’elle soit déclinée jusqu’à quelle crève. Les mecs se prennent pas la tête, c’est simple. Dernièrement la pub Nike de Inarritu était géniale, mais c’est extrêmement rare.
J : Il y a plus de 10 ans sortait Stress, avec le recul, quel regard portes-tu sur ce clip ?
R : Stress c’est une idée qu’on a eue, et qui nous a échappé. C’est devenu plus gros que moi, plus gros que Justice, plus gros que le clip lui-même. Pour moi c’est le meilleur clip que j’ai fait, même si j’en fais d’autres plus tard, je toucherai plus jamais ce niveau d’alignement des planètes. J’adore Signatune que j’avais fait pour Mehdi, Bad Girls aussi, le dernier également, mais celui-ci entre la musique, ce qu’est le clip, ce qu’il a provoqué, que ce soit de la haine ou de l’amour, c’est un des trucs dont je suis le plus fier.
J : Quand tu l’as fini, et que tu l’as regardé, tu t’es dit quoi ?
R : À l’époque je montais mes clips, et Stress c’est le dernier que j’ai monté. Je suis devenu à moitié fou, à rester enfermé des semaines à ne faire que ça, du coup j’avais pas le recul. Je savais juste que j’étais hyper content. Je suis pas du tout mystique, mais je sentais qu’il y avait un concours de circonstance, de bons choix, faits aux bons moments, de plein de trucs où le résultat était mieux que ce que j’avais espéré en fait. Je me souviens que j’avais un malin plaisir à me voir me faire traiter de facho par Libération et dans le même temps d’anarchiste par Le Figaro.
J : Dans le même genre, il y en a un autre, avec lequel vous avez créé un genre et l’avez tué instantanément, c’est Pour ceux de la Mafia K’1 Fry.
R : Ah, ben celui-ci, c’est mon autre clip préféré ! Ce morceau c’était l’anthem du rap de cette époque-là. Leur énergie était incroyable, ce qu’ils représentaient… Mais ce clip c’est autant Kim (Chapiron) et moi, qu’eux. Nous, on était deux petits bouffons avec des caméras, on disait juste : « On voudrait du monde, là » à un moment donné, et puis eux ramenaient tous leurs gars. On a tourné sur deux week-ends. Mais la réussite de ce clip elle passe aussi par leur charisme, que ce soit Rohff, Demon One, Manu Key, Rim’k, ça tue à la caméra. Ce qui est marrant, c’est que même les Américains le regardaient. Je parlais beaucoup à un moment avec Jay Z, il savait pas que c’était moi qui l’avait fait et il me disait « Putain faut que tu regardes ce truc de rap Français ça défonce ! » C’était leur référence à époque, c’était le clip préféré de DMX ! On peut le dire, ce clip a eu une influence sur les Ricains. Par exemple Desiigner, son attitude dans Panda, je sais que ce mec-là a vu Pour ceux. Regardez l’attitude de Rohff, et regardez Desiigner. Pour moi c’est plus qu’une spéculation !
J : Dans Bad Girls, le clip de M.I.A, il y a ces mecs qui font des drifts en djellaba, et je me souviens que j’avais vu ça avant sur YouTube. Internet, c’est un truc qui te nourrit ?
R : Beaucoup oui ! C’est-à-dire que c’est quand même fabuleux YouTube, ou Internet en général. J’ai pas Instagram ou Facebook, parce que je veux pas être passif, avachi sur ma chaise avec des trucs qui viennent à moi. Je trouve ça toxique. Je préfère chercher, me perdre dans des nuits blanches de vidéo à 300 vues de mecs qui se bagarrent dans la neige en Russie. Pour moi, c’est une démarche différente. Et je pense que Instagram et Facebook font beaucoup de mal parce que c’est en boucle en fait, c’est-à-dire que les gens vont de moins en moins chercher, les trucs viennent à eux, ça tue la curiosité. L’outil Internet est mortel pour ça, pour aller chercher. Et ma question par rapport à ces trucs que je vois, c’est toujours comment est-ce que je peux reprendre ça, sans que ce soit une pâle copie ? Comment est-ce que je le transcris dans la pop culture ? Et sur ce clip-là, ma démarche c’était de faire « à la ricaine » avec de la danse, du play-back, des couleurs, un joli clip, mais avec cette grammaire-là.
J : Mettre en avant un arabe à cheval avec des BMW qui le suivent dans le désert, c’est une façon pour toi de mettre en avant des gens qu’on a pas l’habitude de voir ?
R : Il y a une part de ça, et d’un autre côté je trouve ça super intéressant de voir comment la culture est digérée, de voir comment les pays arabes vont digérer la culture américaine, et vice-versa. C’est-à-dire que cette espèce de dialectique de cultures qui se répond, je trouve ça super intéressant. C’est ce qui m’a interpellé dans les vidéos de drift en Arabie saoudite, c’est que les mecs ont des voitures ultra occidentalisées, avec des néons, tunées, mais qu’ils reprennent toutes à leur sauce. Et j’aime bien l’idée de faire danser les Américains avec des personnages qui sont dans leur mythologie « un ennemi ».
J : Et j’ai l’impression que tu pousses le truc encore plus loin avec Gosh de Jamie XX…
R : Oui, là c’est encore différent aussi. On parle beaucoup de l’appropriation culturelle, et quand j’ai vu cette ville en Chine, je me suis dit qu’en termes d’appropriation culturelle, c’était ce que j’avais vu de plus fort… Des mecs qui refont une ville aussi emblématique que Paris dans leur bled, c’est tellement futur je trouve ! Et là aussi c’est venu de vidéo que je regardais. Je suis parti de cette danse qui s’appelle le zikir, et je voulais pour la première fois toucher à quelque chose de mystique. Après, je me faisais des constructions mentales de ce que le clip racontait, de cette histoire d’appropriation et de roman d’apprentissage. Et les 300 chinois peroxydés, c’est juste que je trouvais ça hyper cool de les mettre tous blonds.
J : Comment t’est venue cette idée justement ?
R : J’ai fait un rêve dans lequel je marchais à Pékin et tout le monde était blond. Le lendemain, je vais voir mon directeur de production, et je lui dis « J’ai fait un rêve, c’est un peu relou pour toi, mais faut tous qu’on les teigne en blond ! ». Là j’ai vu la douleur dans les yeux de mon directeur de prod’, il me dit en serrant les dents « C’est une super bonne idée, il faut le faire » (rires). Normalement un directeur de production, tu lui dis ça, il se suicide, et c’est là que j’adore les gens avec qui je travaille… On avait les 300 gamins seulement 24 heures, parce qu’ils venaient d’une école Shaolin, et les maîtres nous avaient dit « Ok mais on veut pas les pervertir trop longtemps donc vous avez juste 24 heures ».
J : Y a des endroits ou t’aimerait tourner, poser ta caméra, mais tu sais que c’est impossible ?
R : Ouais. J’ai essayé plusieurs fois le Turkménistan mais j’y arrive pas là. Après, il y a un autre endroit, mais je veux pas le dire tout de suite, j’ai une idée pour un clip.
J : La Corée du Nord ?
R : C’est génial mais comme t’as vu plein de trucs y a plus vraiment de surprises. Moi si je vais en Corée du Nord, faut que le Président me dise « Viens faire un film de propagande » et il me donne tout, là on peut commencer à réfléchir.
J : Et tu le ferais ?
R : Ben je sais pas, mais en tout cas j’y réfléchirai (rires). C’est tentant. Bon, encore une fois c’est le petit con qui parle. Mais au final les Américains le font bien, les films de guerre sont bien des films de propagande, de Zero Dark Thirty à American Sniper. Après, c’est peut-être les excuses que je me trouve s’ils viennent me chercher (rires). Mais évidemment que j’y réfléchirai…
J : C’est quoi du coup ta limite ?
R : Ce qui me gêne. Mais y a des trucs qui vont me gêner et pas du tout déranger les gens, et vice-versa. Jamais de ma vie je ferai une pub pour une banque par exemple ou Total. Mais ça, c’est le petit arrangement que je me fais avec moi-même pour me dire que je suis un mec bien.
J : Pour être tout à fait franc et honnête, quand j’ai dit que je voulais t’interviewer et faire une couv’ avec toi, j’ai pris une levée de bouclier sévère. Parce que « fils à papa », « Il parle de ça et il en vient pas », « parce qu’il ne raconte rien », et pour moi c’est de la merde.
R : Mais pour moi c’est des débats des années quatre-vingt-dix, pour moi ce qui compte c’est vraiment ce que tu fais. Je sais même plus quoi dire par rapport à ça, à part c’est vrai, que je ne viens pas du faux Paris en Chine et que je ne suis pas un enfant chinois teint en blond ni un albinos.
J : Ma réponse c’est de répondre « Vous voyez pas que ce mec est en train de fabriquer une œuvre qui se tient et qui lui appartient » ? Alors justement, qu’est-ce qui relierait tout ça pour toi ?
R : Alors déjà, j’m’en bas les couilles de choquer, donc ce n’est pas ça. C’est difficile à expliquer, je n’arrive pas vraiment moi-même à mettre des mots dessus. Si j’y arrivais, je pense que je serai plus dans une démarche d’écriture. Si j’essaie d’analyser honnêtement, je dois avoir un truc de fascination pour un certain type d’ambiance que je ressens, quelque chose qui vient du totalitarisme. Je n’arrive pas bien à le dire de façon habile. Mais si j’arrivais à répondre à cette question, c’est que j’aurai fini et boucler le truc, je crois. Mais c’est une question que je me pose souvent, et où j’essaie de trouver des réponses en faisant des images.
J : Du coup, t’es pas trop attiré par les USA pour tourner, mais là sous Trump y aura peut-être un truc à faire non ?
R : Ah ben là, ils viennent d’élire un dictateur africain blanc, et encore, les dictateurs africains au moins sont mieux habillés (rire). Mais plus sérieusement, je pense pas que ça donnera des trucs intéressants tout de suite, ça viendra à un moment donné. Pour l’instant, la réponse est simplement nulle, ça se limite à Madonna qui dit « On va faire la révolution ». Ils sont encore dans une espèce de boucle nulle bien-pensante, dégueulasse, qui a participé de l’élection de Trump. Ça va mettre du temps, mais ça donnera des trucs intéressants. Si moi j’y tourne pas, c’est juste que c’est déjà vu et revu, même si je pense que des villes comme Atlanta et Miami peuvent encore offrir quelques trucs.
J : Pour finir plus légèrement, t’as clippé beaucoup de monde. Y a-t-il un artiste ou un groupe que t’aimerait faire et tu n’as pas encore eu l’occasion ?
R : Michael Jackson, mais ça va être compliqué je sens. Au moment de Gosh pour Jamie XX, c’était soit lui, soit Beyoncé avec Lemonade. Elle m’avait proposé de faire deux clips, et elle m’avait dit « N’y aura pas de problèmes » mais au final tu te fais toujours baiser, sur des énormes trucs comme ça, c’est quasi inévitable. Donc j’ai choisi Gosh. Sinon un des seuls avec qui je sais qu’on fera un truc c’est Frank Ocean, parce qu’on s’en parle souvent. Mais c’est ce fameux endroit que je veux pas dévoiler, peut-être qu’un jour on y arrivera…
J : Tu as un fantasme ? Le projet de tes rêves ?
R : Un de mes gros fantasmes est de faire un énorme film de guerre sur les Kapetanios, qui étaient les résistants en Grèce, pendant la guerre civile, et qui avaient inventé un certain type de guérilla. Les histoires qui les entourent sont incroyables, mais il faut beaucoup d’argent et autant dire qu’aujourd’hui la Grèce, tout le monde s’en bat les couilles. Donc voilà. Ou alors une comédie musicale sur Daesh.
Interview par Johan Chiaramonte
P.S. : Foncez voir le nouveau film de Romain Gavras. "Le Monde est à toi" sort aujourd'hui au cinéma.