Seul Sur Mars : dieu est mort, vive le disco !
Prometheus, Cartel et Exodus faisaient le constat froid et implacable de la disparition du divin de notre monde. Avec Seul sur Mars, comédie de science-fiction légère et dansante en apparence, Ridley Scott livre un curieux codicille à sa trilogie athPrometheus, Cartel et Exodus faisaient le constat froid et implacable de la disparition du divin de notre monde. Avec Seul sur Mars, comédie de science-fiction légère et dansante en apparence, Ridley Scott livre un curieux codicille à sa trilogie athéiste, ou du moins agnostique.
En effet, Mark Watney, l’astronaute qui se retrouve très vite « seul sur mars », a tout du héros scottien devant composer avec l’absence du Tout-Puissant et ne pouvant compter que sur lui-même pour s’en sortir. Un homme sans Dieu de plus dans la filmographie de celui qui a tout de même accepté d’être fait Chevalier, « pour Dieu et l’Empire ».
Au début de Seul sur Mars, ce sympathique botaniste interprété par le rassurant Matt Damon fait partie d’une équipe. Il n’est qu’un personnage parmi d’autres et n’est assurément pas le leader de l’expédition martienne au cœur de laquelle le spectateur est plongé sans ambages. Le groupe évolue dans un univers aride mais ça rigole bien ; après tout ils sont seuls au monde malgré la surveillance démiurgique de la NASA, leur employeur supposé bienveillant. Mais très vite Watney se retrouve isolé, laissé pour mort comme DiCaprio dans The Revenant, mais sans le folklore New Age emprunté à Terrence Malick pour donner de l’ampleur métaphysique à sa résurrection. Watney, lui, va devoir « chier de la science » pour s’en sortir.
L’histoire est désormais connue : il va faire pousser des patates dans ses excréments et ceux de ces anciens camarades grâce à ses talents de botaniste et de bricoleur du dimanche que n’aurait pas renié Angus MacGyver. Il est débrouillard, il connait la science (comme d’autres connaissent le ju-jitsu) et en plus il a, pour lui donner du courage, une playlist démoniaque à faire rougir tous les heureux possesseurs de la compil’ Méga Disco (celle avec quatre disques, bien sûr). Une vraie partie de plaisir !
Sauf que pour en arriver là Watney va devoir faire l’inventaire de tout ce qui va pouvoir lui servir dans la base abandonnée : des patates sous vide, des bâches en plastiques, du gros scotch, de la disco, donc, et quelques autres trucs. Mais surtout un petit objet suranné qui n’a plus vraiment d’utilité dans ce futur proche tel que les affectionne Scott : un crucifix. Tout en regardant Fonzy – le seul Dieu auquel semble croire Watney – être cool dans un épisode de Happy Days sur son ordinateur portable, il tripatouille cet objet dont il ne sait que faire. Il s’adresse au Fils de Dieu miniaturisé sans vraiment attendre de réponses. Mais finalement, cette petite babiole sans valeur pour l’incroyant qu’il est sans doute va, par la grâce d’une de ces délicieuses astuces dont raffole tout scénariste normalement constitué (ici, le sympathique Drew Goddard), trouver tout son sens, Watney nous expliquant que cet objet, en fait l’effet personnel d’un de ses collègues de mission, est le seul à ne pas avoir été ignifugé – on n’ignifuge ni le Tout-Puissant ni ses représentations iconiques !
Dans Prometheus, déjà, le crucifix porté en pendentif par Elizabeth Shaw n’avait de valeur que pour elle. Ce n’était qu’un simple grigri porte-bonheur pour l’infâme Peter Weyland, tandis que David, l’androïde campé si gracieusement par Michael Fassbender, ne voyait dans ce petit objet qu’une antiquité dont il percevait mal le sens et l’intérêt ; la foi étant un mystère pour lui. D’un monde sans Dieu à un autre Watney trouve pourtant bien le salut grâce à Dieu, mais de la manière la plus utilitaire qui soit. Le crucifix n’est ici qu’un deus ex machina retrouvant son sens originel (le terme désignait dans le théâtre antique l’entrée en scène d’une divinité pour résoudre une situation inextricable). Là encore la scène peut renvoyer à The Revenant, film dont l’Éternel est absent si ce n’est au détour d’une blague partagée par Tom Hardy au coin du feu : son père, indécrottable mécréant parti chasser, avait failli laisser sa peau dans une rencontre malheureuse et n’avait dû son salut qu’à sa rencontre avec le Tout-Puissant, qui avait ici la forme d’un écureuil grassouillet que le bougre a mangé pour survivre. Sauvé par Dieu, lui aussi.
Watney passe ensuite – littéralement – l’épreuve du feu pour pouvoir mener à bien son expérience agricole, et même s’il rencontrera de nombreux obstacles et un désagréable manque de foi – en lui – de la part de ses supérieurs, il finira par retrouver cette bonne vieille Terre pour démarrer le « reste de sa vie ». Là, assis sur un banc, toujours seul, il observe une frêle pousse sortir timidement du sol ; un petit miracle en soit annonçant la renaissance du héros. Les élèves de l’école dans laquelle il s’apprête à enseigner ralentissent leur pas devant lui, le saluant avec déférence et admiration. C’est qu’il n’est plus un homme parmi d’autres, il est l’homme miraculé, l’homme qui a survécu par lui-même, un exemple en somme pour les jeunes de demain à qui il va devoir transmettre la bonne parole. Dans un monde surplombé par la présence divine, on l’appellerait prophète, mais dans ce monde dépourvu de divin il n’est qu’un homme qui partage son expérience.
Nul ne sait si son exploit a l’étoffe des mythes à partir desquels peut être fondée une religion. Pas même Ridley Scott.
Audry Salmon
Seul Sur Mars - Disponible en DVD