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1975-1976 : la révolution Saturday Night Live

Entre coup de bluff, hausse de budget et expérimentations comiques, le lancement de Saturday Night Live, à l’automne 1975 sur NBC, n’a pas été de tout repos.
1975-1976 : la révolution Saturday Night Live

Entre coup de bluff, hausse de budget et expérimentations comiques, le lancement de Saturday Night Live, à l’automne 1975 sur NBC, n’a pas été de tout repos. Il doit beaucoup à la ténacité d’un producteur irascible et bienveillant, Lorne Michaels, et à une troupe de – très – jeunes auteurs et comédiens qui symbolisaient un humour souvent politique, toujours à contre-courant, et résolument anticonformiste, même dans les rangs de la chaîne. Une révolution dans le paysage audiovisuel, et l’éveil d’une nouvelle génération de téléspectateurs qui ira ensuite plébisciter ses stars au cinéma, de Chevy Chase à John Belushi.


Par Florian Etcheverry, article paru en 2020 dans le Rockyrama n°29.

« - Répétez après moi : j’aimerais… 

- J’aimerais… 

- …donner vos doigts à manger… 

- …donner vos doigts à manger…

- ...aux carcajous.

- ...aux carcajous. »


Puis le professeur et hôte (Michael O’Donoghue, également à la tête de l’équipe d’auteurs de l’émission aux côtés d’Herb Sargent) tombe de son fauteuil, victime d’un infarctus. L’immigrant à l’accent non déterminé qui prenait sa leçon d’anglais (John Belushi) est interloqué, puis imite un infarctus et s’écroule à son tour, sous les rires parsemés du public du studio 8H à New York, au QG de la National Broadcasting Company (NBC). Un employé de la production (Chevy Chase) arrive et enjambe leurs deux corps, puis regarde son conducteur avant de déclarer avec le brio forcé d’un présentateur de variétés : « Live from New York, it’s Saturday Night ! »


Nous sommes le 11 octobre 1975, et contre vents et marées, la première émission de ce qui s’appelle encore Saturday Night vient d’être lancée. Ce sketch, qui précède le générique, ne doit rien au hasard : lors des séances d’écriture au 17e étage de la NBC, il a été joué maintes et maintes fois pour des visiteurs, et a reçu le meilleur accueil. O’Donoghue a expliqué : « C’est le sketch qui faisait savoir que c’était notre humour, pas le leur. Que ce n’était pas George Gobel ou Garry Moore [comédiens très invités dans les talk shows et émissions de variété depuis les années 1950, vieillissants et au crépuscule de leur carrière, NDLR] ou ce qu’étaient les sketches à la télé à l’époque. »

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Quarante-cinq ans après, le sketch semble inoffensif, son humour noir croquignolet, mais un peu limité ; en réalité, tout le premier épisode de Saturday Night a été mûri, sept à huit mois durant, comme un manifeste de contre-culture humoristique ciblant les étudiants de l’époque. Un cerveau et une tête chercheuse se cachent derrière le programme lancé vers 23h, dans un désert télévisuel de rediffusions : le Canadien Lorne Michaels, très peu connu de l’industrie de la télévision et auréolé d’un Emmy Award pour son travail en tant qu’auteur sur des émissions spéciales avec Lily Tomlin. Il est épaulé d’un tout aussi jeune producteur, parachuté à la tête de la programmation de « late night weekends », Dick Ebersol, débarqué de la division sportive du concurrent ABC. Tous deux ont la bénédiction du président de la chaîne de l’époque, Herb Schlosser. Un chèque en blanc donné à une bande de sales gosses de la comédie ? Pas tellement. En réalité, ce qui a été mis à l’antenne était, et continuera d’être un work in progress mal équilibré, un patchwork de séquences brocardant la télévision de l’époque.


En 1974, la star de la télévision de late night et accessoirement prince de NBC Johnny Carson donne un ultimatum à la chaîne : arrêter de rediffuser ses émissions de Tonight Show le week-end pour pouvoir les réutiliser en semaine et donner à son équipe et à lui-même moins de jours à l’antenne. La chaîne s’exécute et nomme donc Dick Ebersol pour trouver une programmation originale pour cette case. Après une à deux émissions spéciales, mettant en vedette des célébrités comme Burt Reynolds, la chaîne cherche un concept plus pérenne avec, pourquoi pas, des présentateurs changeant d’une semaine à l’autre.


À l’époque, NBC et son président Schlosser, tout juste arrivé à la tête de la chaîne, n’ont pas grand-chose à perdre. Depuis plus de vingt ans, les audiences de la chaîne sont à la traîne derrière le leader CBS, et la télévision peine à rendre compte des poches d’humour subversif qui fleurissent à travers le pays depuis la présidence de Nixon. Quelques années auparavant, le duo populaire de comédiens The Smothers Brothers avait tenté d’inclure de l’humour résolument social et politique à une heure de grande écoute pendant leur Comedy Hour sur CBS (1967-1969). 


L’existence de l’émission sera une longue bataille contre les censeurs de CBS, qui ordonnent à la production de leur livrer des épisodes dix jours à l’avance, de façon à pouvoir les remonter comme bon leur semble et expurger des segments trop polémiques. Certains affiliés du réseau CBS au Texas refuseront de diffuser un épisode où le président Johnson déplaçait son ranch à Washington. L’humour résolument anti-guerre du duo était une source de trouble envers la chaîne, et l’équipe n’avait pas vraiment d’alliés en interne pour pouvoir atténuer les tensions. L’élection de Nixon en 1969 précipitera l’annulation du programme : officiellement, car les Smothers Brothers avaient violé leur contrat en livrant plusieurs épisodes en retard. Officieusement, le message est clair : certains sujets ou un certain ton « alternatif » n’est pas permis à la télévision nationale, détournant le public plus jeune. Quelques membres de l’équipe de The Comedy Hour, Rob Reiner et Steve Martin, seront réinvités dans les premières saisons du Saturday Night Live.

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L’autre poche de résistance satirique se trouve dans les universités américaines les plus prestigieuses, comme Yale ou Stanford. À travers des magazines comme le National Lampoon, fruit des étudiants d’Harvard, qui rencontre un succès national avec une émission radio et des pièces de théâtre à Broadway comme la parodie de Woodstock, Lemmings, lancé en 1973. Elle mettait en vedette deux futurs piliers de la première saison de Saturday Night : John Belushi et Chevy Chase. Si quelques comiques, à travers leur stand up, ont souvent une entrée au Tonight Show de Johnny Carson, le formalisme de l’humour à la télé n’arrive pas à se renouveler. Et plusieurs vieilles gloires de la comédie des années cinquante sont encore omniprésentes sur les networks d’alors, leur carrière et leur routine étant alors sur le déclin. Le fossé générationnel se creuse entre les téléspectateurs américains, et Lorne Michaels en est certainement conscient.


Si la télé se prend trop au sérieux, les circuits alternatifs ne manquent pas de lui rendre la monnaie de sa pièce. Au début des années soixante-dix, un programme de télé indépendant monté par Ken Shapiro, jeune étudiant autodidacte, et une troupe de comédiens, commence à faire parler de lui : Channel One. Des pastiches et parodies bon enfant de la télé d’alors, qui déboucheront sur un best of transféré sur pellicule 35 mm, The Groove Tube, projeté dans les universités américaines. The Groove Tube, fort de son succès d’estime (30 millions de dollars au box-office), engendrera une réplique dans le milieu indépendant : Hamburger Film Sandwich, monté par la troupe du Kentucky Fried Theater et marquant les débuts au cinéma de John Landis et du trio Zucker-Abrahams-Zucker. L’establishment des grands studios est à l’écoute. Paramount débauche Ken Shapiro pour monter des films du même acabit et contrecarrer les fours des comédies tournées vers le jeune public (impliquant le plus souvent des vacances éternelles et des amourettes sur les plages californiennes).

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Un homme pressé

Ken Shapiro a tôt fait de mettre en développement des films… en embauchant de jeunes espoirs comme Lorne Michaels qui se met à développer un scénario. Il parcourt le milieu de Los Angeles depuis 1968 mais a déjà de l’expérience en tant que producteur d’émissions comiques au Canada pour la chaîne publique CBC. Il faisait d’ailleurs des allers-retours entre États-Unis et Canada pour développer sa réputation en tant qu’auteur et producteur de comédie. En 1970, la CBC diffuse une courte série dont il est la vedette avec son vieux complice Hart Pomerantz, The Hart and Lorne Terrific Hour. Les deux sont présentateurs d’une émission de variétés mêlant sketches et intermèdes musicaux. En coulisses, ils alternent la production et le contrôle créatif de l’émission : il n’y en a que quatre, produites sur trois ans. Mais ce sera assez pour sceller la fin du partenariat entre Michaels et Pomerantz et pour lancer les germes créatifs de Saturday Night : une troupe de comédiens récurrents (dont Dan Aykroyd, l’une des premières recrues de l’émission de NBC), des invités musicaux reconnaissables (Cat Stevens) et une haute perfusion de méta et de déconstruction humoristique descendant directement des Monty Python, dont les émissions sont une révélation pour Lorne Michaels.


Plusieurs adjectifs peuvent se prêter à la future tête pensante de Saturday Night : enthousiaste et pleinement dédiée à ses projets. Perfectionniste. Acariâtre. Mais celui qui va être d’une grande utilité à Michaels est : « catalyseur ». Fédérer des talents lors de ses séjours au Château Marmont de Los Angeles où sa porte est toujours ouverte – et sa langue bien pendue. Lorne Michaels tend à incarner pleinement la frustration et la colère de la génération post-Vietnam, et absorbe toute la comédie d’alors, disséquant pendant des heures le Tonight Show de Carson, le plus souvent aidé de substances hallucinogènes en vogue, ce qui aiguise son acuité et son jugement. Ses connexions hollywoodiennes lui feront rencontrer une autre perfectionniste, Lily Tomlin : en découle une première collaboration américaine réussie, ce qui vaudra à Michaels un Emmy Award…


Vers janvier 1975, Dick Ebersol choisit Lorne Michaels comme producteur de la future émission de variétés régulière préparée par NBC. Son contenu est vague, tout comme son format, mais Lorne Michaels se bat pour trois choses : « Pas de pilote, sinon les cadres de la chaîne diraient qu’on ne peut pas faire ça à la télévision. La deuxième règle, qui réglait la première demande : le faire en direct. Et la troisième chose est d’avoir une commande de 18 épisodes. » La première saison en fera 24.


Pendant les trois mois de développement de Saturday Night, Lorne Michaels va rencontrer tous les cercles de la comédie underground américaine, aux côtés de Dick Ebersol. Il démarche le comédien et réalisateur Albert Brooks, qui n’est pas intéressé par la télévision. Pourtant, il finit par accepter la proposition de Michaels : des courts-métrages de 5 minutes tournés à Los Angeles, diffusés pendant chaque émission… et une carte blanche laissée à Brooks qui finira par se retourner contre Michaels, l’un des courts-métrages livrés faisant 13 minutes ! Une large portion des 65 minutes (hors pub) de chaque émission.

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Canadian Connection

Le pari fou de la NBC a une particularité… Vu le besoin désespéré d’Herb Schlosser de rajeunir le public et de s’attirer les faveurs des critiques télé, Lorne Michaels et Dick Ebersol seront ses protégés, ce qui atténuera les problèmes politiques à l’intérieur de la chaîne. Le tandem va aussi signer un pacte de non-agression avec Johnny Carson en personne, qui obtient d’avoir au moins 30 jours de délai entre l’apparition de comédiens au Tonight Show et dans Saturday Night. Michaels va écumer tous les bars et open mic comiques de New York et Los Angeles pour débaucher quelques comédiens, et surtout des auteurs. Engager deux anciens du National Lampoon, Michael O’Donoghue et sa compagne Anne Beatts (qui supervise la production des fausses publicités de l’émission), va leur donner une crédibilité dans le milieu de la comédie underground. Ce qui engendre une embauche-clé : John Belushi, qui explique à Lorne Michaels qu’il « déteste la télévision » d’alors, mais dont la curiosité est piquée par l’équipe formée pour l’émission. Michaels doit aussi se laisser convaincre par ses proches et le reste de l’équipe d’embaucher cette personnalité excentrique, ne cachant aucunement ses excès : une potentielle bombe à retardement pour une émission en direct. Il débauche aussi d’anciennes connaissances canadiennes. Dan Aykroyd, dont la carrière se porte très bien grâce à la troupe d’improvisation Second City, accepte, pensant que l’émission ne durera pas plus de quelques mois. Howard Shore – un ami d’enfance de Michaels – devient directeur musical et chef d’orchestre de l’émission. Son idée principale : une large place laissée à l’improvisation, et un lead au saxophone (le sien) qui servira de tapis musical pendant le générique, composé d’instantanés de New York by night capturés par la photographe Edie Baskin. Et enfin, Gilda Radner, qui était à Toronto dans une production de la comédie musicale Godspell dirigée par Shore. 


Le reste des comédiens viendra de connaissances de Michaels : Laraine Newman avait été l’une des comédiennes des émissions spéciales avec Lily Tomlin. Deux scénaristes embauchés apparaîtront à l’antenne : Garrett Morris… et Chevy Chase, dont la présence s’affirme dès la première émission avec le segment Weekend Update, une version sarcastique d’un bulletin d’informations de la semaine.

 

L’ambition de Lorne Michaels est de faire venir le meilleur du théâtre, de la comédie underground et de la musique tendance à la télévision : pour ce faire, il va faire réaménager le studio 8H pour obtenir les meilleures conditions acoustiques pour accueillir la crème du rock contemporain de l’époque. Il veut débuter avec Carole King et Stevie Wonder ; il obtiendra Janis Ian et Billy Preston. Il engagera également le chef décorateur Eugene Lee, qui travaillait sur des pièces de Broadway, et qui n’a aucune expérience de la télévision ou du direct – comme beaucoup d’autres membres de l’équipe. 


Après une série de tests face caméra en août 1975, la bande d’auteurs et comédiens de Saturday Night emménage au 17e étage du 30 Rockefeller Plaza en septembre pour préparer la première avec George Carlin, pour début octobre. Les employés de la chaîne voient d’un assez mauvais œil ces joyeux drilles, prompts aux vannes et à la consommation de marijuana au bureau, et plusieurs employés de l’émission ont maille à partir avec les vigiles de NBC, qui ne les reconnaissent pas et ne les laissent pas entrer sans badge. L’impréparation du plateau, le manque de promotion autour de la première émission, et la circonspection des affiliés du réseau NBC face à la proposition du samedi soir mettent une pression énorme sur les épaules des producteurs. L’émission devient connue en interne comme « The Children’s Television Workshop », l’atelier des émissions jeunesse, en référence au programme pour enfants culte, Sesame Street. Les private jokes et l’autodérision seront aussi à la base du surnom de la troupe de comédiens, qui tiendra pendant 45 ans : les « Not Ready for Primetime Players ». La troupe, bon gré mal gré, est soudée face à la compétition : tous se réuniront dans l’appartement du scénariste Al Franken pour regarder, mi-septembre, la première de Saturday Night Live, émission sur le même principe, mais produite et présentée par le présentateur sportif Howard Cosell. Les invités, tous des habitués de Vegas, de Paul Anka à Frank Sinatra, ne parviendront pas à rattraper le désastre. La troupe de comédiens de l’émission, surnommée les « Prime Time Players », comprenait pourtant des talents prometteurs... dont un certain Bill Murray. 

Panique en coulisses

Lorne Michaels trouve une parade pour laisser un répit à la troupe après la première. Il invite son ami proche Paul Simon à être host pour la deuxième émission. Simon sera de quasiment chaque instant, en réservant à Saturday Night la primeur d’une réunion avec Art Garfunkel. Ce coup médiatique aura deux conséquences : d’abord, laisser beaucoup moins d’espace aux sketches – Simon en fait même un, interminable, où il se mesure à un basketteur-star de l’époque ; ensuite, les critiques confondent Saturday Night avec une pure émission musicale. De facto, les premières critiques dans la presse mettent Lorne Michaels hors de lui. Et ce n’est pas tout : il menacera de lâcher l’émission à plusieurs reprises, par exemple après la résistance des cadres de la chaîne à mettre Richard Pryor à l’antenne. Ils accepteront en décembre, avec un léger délai pour éviter de potentiels dérapages du comédien connu pour son langages ordurier dans son stand up. 


Si Saturday Night, par miracle, trouve ses marques dès la quatrième édition, avec Candice Bergen en host, les audiences n’arrivent pas à décoller. En tant que leader, Lorne Michaels décrète en interne que l’émission est un succès, ce qui va booster le moral des troupes : un enthousiasme débordant qui va pousser la production de l’émission dans ses derniers retranchements. Les émissions de la deuxième partie de la saison, en 1976, deviennent synonymes de dernière minute : une répétition générale est tournée, dans les conditions du direct, en première partie de soirée, avec certains des sketches joués pour la première fois. Dans l’heure qui sépare la fin de la répétition de la vraie émission, Lorne Michaels réunit les scénaristes et producteurs et impose à ceux qui vont aller à l’antenne des changements de dernière minute : les sketches non retenus avaient souvent des décors entiers, perdus à jamais. Ce qui, inévitablement, conduit à un surplus de budget par émission qui fait grincer des dents chez les comptables de la chaîne. Alors que Dick Ebersol est nommé responsable de toute la programmation late night de NBC après quelques semaines, à seulement 28 ans, il continue à demander des changements de format ou conducteur à Michaels, qui bouge généralement peu. 

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Je suis Chevy Chase, et pas vous

La première véritable star de l’émission, et le favori de Lorne Michaels, c’est Chevy Chase. Même son segment-phare, Weekend Update, a le luxe d’être placé au milieu de l’émission et de bouger relativement peu. Mieux encore, les auteurs peuvent regarder le JT du soir même et glisser des vannes à Chevy Chase en toute dernière minute... La dégaine de premier de la classe de Chase, son expérience dans l’humour brocardant les conventions télévisuelles (il était parmi la troupe de Channel One quelques années auparavant), et ses affinités sarcastiques en font une figure de proue du programme. Alors en campagne pour les primaires de sa réélection, le président Gerald Ford va inviter Chevy Chase au dîner des correspondants de la Maison Blanche. Le directeur des relations presse, Ron Nessen, facilite ensuite une apparition du président en ouverture de l’un des épisodes du printemps. L’acceptation de Chase par le mainstream est quasiment instantanée ; il fera partie des lauréats des Emmy Awards en mai 1976. Les audiences n’ont pas explosé pendant la première saison ; Lorne Michaels et Chevy Chase n’en ont que faire. Ce sont eux, les enfants terribles de la comédie américaine ; eux encore qui incarnent l’anti-establishment. Le hic : Chase n’a signé que pour une année et en tant qu’auteur, et non comédien. Il choisira de quitter l’émission à la fin de l’année 1976, remplacé en comédien régulier par Bill Murray. Entre-temps, ABC aura mis un terme à son Saturday Night Live, ce qui donne l’opportunité à Michaels et Ebersol de récupérer le nom qui avait toujours été leur premier choix. Ils ne l’utiliseront réellement qu’en début de saison trois, en 1977. 


Les ingrédients de l’émission Saturday Night Live perdurent encore 45 ans plus tard, mais il aurait été impossible de prévoir exactement, lors de sa première année, ce qui marcherait réellement. En tout cas, ce ne sera pas vraiment les happenings : les appels répétés – et à moitié sérieux – de Lorne Michaels pour réunir les quatre Beatles dans l’émission pour la modique somme de 3000 dollars, ne se concrétiseront jamais. L’utilisation du président Ford (et de son directeur des relations presse Ron Nessen en host d’un épisode) n’aura jamais réellement fait les gros titres ou augmenté le cachet de la série. Les courts-métrages d’Albert Brooks n’auront pas fait long feu, disparaissant de l’antenne avant la fin de la saison ; l’utilisation des Muppets de Jim Henson pour un segment préhistorique fade, The Land Of Gorch, se traduira par des conflits permanents entre l’équipe de Henson et les auteurs de SNL, et un chant du cygne diffusé dans le premier épisode de la saison 2. En revanche, les répliques de certains des sketches, les punchlines de Weekend Update, et les performances des groupes invités feront la réputation du programme dans le show business, de Jimmy Cliff à Patti Smith en passant par Carly Simon (NBC n’aura imposé qu’un seul groupe dans l’émission, tranchant radicalement avec le reste des invités : ABBA). 


Grâce à un processus dépensier, strictement tourné vers l’inclusion d’un patchwork de types d’humour et de sensibilités, Saturday Night et Lorne Michaels auront fait gagner à NBC ce qu’aucune émission de variétés rigide et proprette n’aurait pu : une image cool auprès d’un public jeune. 

Démanteler les conventions de la télévision à grands coups d’absurdité et prendre le risque de ne faire rire qu’une petite partie du public derrière leur téléviseur : le pari s’est avéré aussi coûteux que payant. La rampe de lancement de stars du cinéma allait profiter à d’autres « players » de l’émission : John Belushi et Dan Aykroyd lanceront les Blues Brothers comme invités musicaux de l’émission ; Belushi sera casté dans une superproduction de Steven Spielberg, 1941 ; Bill Murray devient une star dès 1979 avec Meatballs (Arrête de ramer t’es sur le sable)… Un sketch à la fois, les personnages inventés par les auteurs et comédiens du SNL vont avoir un effet bulldozer sur le paysage comique américain, raflant prix après prix et lançant une génération de comédiens. Certains profiteront même de l’effet Saturday Night Live, comme Steve Martin, qui joue les host à plusieurs reprises pendant les cinq premières saisons. Et, de manière plus importante, les censeurs de la NBC lâchent la bride de l’émission dès la seconde saison ; une victoire surtout pour Weekend Update, qui peut railler la politique américaine plus librement en période d’élection.


Après des échecs cuisants et successifs, la télévision américaine, bien avant la démocratisation du câble dans les foyers, avait un mini-espace de liberté bien à elle, un havre de paix médiatique pour la contre-culture potache et universitaire. Une révolution qui s’est jouée en petit comité.


Par Florian Etcheverry, article paru en 2020 dans le Rockyrama n°29.