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Godzilla Minus One : Décryptage d’un carton-monstre

Trentième long-métrage live des studios Tôhô consacré au Roi des Monstres, Godzilla Minus One a généré une attente fébrile auprès des fans de kaijû eiga.
Godzilla Minus One : Décryptage d’un carton-monstre

Trentième long-métrage live des studios Tôhô consacré au Roi des Monstres, Godzilla Minus One a généré une attente fébrile auprès des fans de kaijû eiga. Après un démarrage en trombe au Japon doublé d’un succès-surprise aux États-Unis, le film de Takashi Yamazaki arrive en France les 7 et 8 décembre et semble s’imposer comme le spectacle cinématographique ultime de cette fin 2023. Mais cet opus produit pour célébrer pour le 70e anniversaire de Godzilla est-il à la hauteur des attentes, surtout après le définitif Shin Godzilla ? Décryptage d’un carton-monstre.


Par Fabien Mauro.

En 2019, juste après la sortie de son drame de guerre The Great War of Archimedes, Takashi Yamazaki est engagé par Toho pour réaliser le prochain Godzilla en prises de vues réelles. Depuis la sortie de Shin Godzilla en 2016, Toho est contractuellement obligé de laisser la politesse à Legendary Pictures de sortir Godzilla II : Le Roi des Monstres et Godzilla vs. Kong avant de produire son prochain opus. Mais le COVID-19 provoque le report de la sortie de Godzilla vs. Kong à 2021. Yamazaki doit différer son projet et retravaille le script à maintes reprises.

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Shin Shôwa

Le 18 février 2022, Robot Communications, la société de production qui soutient Yamazaki depuis son premier long-métrage Juvenile (2000), annonce que le cinéaste doit réaliser un film de monstre géant sous un titre de tournage mystérieux : Chôtaisaku Kaijû eiga / Blockbuster Monster Movie. Rapidement, les spécialistes font les connexions : Godzilla va revenir. Yamazaki est déjà familier du roi des kaijû. En effet, le cinéaste s’est offert un beau cameo dans Always : Sunset on Third Street 2 (2007) deuxième opus de sa trilogie familiale tirée du manga de Ryôhei Saigan. Yamazaki y propose un beau prototype de Godzilla en image de synthèse. Ce court extrait avait fait le tour de la toile à l’époque, laissant penser qu’un nouveau Godzilla japonais allait être mis en chantier dans la foulée. En 2021, durant la préproduction de son Godzilla à venir, Yamazaki réalise et supervise les effets visuels de Godzilla the Ride : Giant Monsters Ultimate Battle (2021), un simulateur pour le parc d’attractions Seibu-en. 


Le 3 novembre 2022, à l’occasion du troisième événement annuel « Godzilla Fest », Toho annonce officiellement que Yamazaki est bel et bien aux commandes du prochain Godzilla, qui doit sortir un an plus tard jour pour jour. Le film reviendra aux sources mêmes du personnage et placera l’action dans le contexte historique qui l’a vu naître, l’ère Shôwa, et plus spécifiquement le Japon d’après-guerre. 


Le studio annonce que le cinéaste a déjà terminé les prises de vue et que la post-production est déjà entamée. Historiquement, les productions « tokusatsu » (films ou séries à effets spéciaux) sont réalisées par deux cinéastes, le premier s’occupant des prises de vue avec les comédiens pendant que le second supervise les effets spéciaux/visuels. Ici, Yamazaki doit prendre l’intégralité de la production sous sa coupe, en plus d’être signataire du scénario. Doté de l’équivalent de 15 millions de dollars (budget identique à Shin Godzilla), soit le dixième d’un Godzilla hollywoodien, Yamazaki bénéficie d’un temps plus conséquent pour superviser les séquences d’animation où la créature doit faire des ravages. Comme sur Shin Godzilla, le kaijû est essentiellement créé par l’emploi des outils numériques. La « suitmation », technique consistant à placer un comédien dans un costume de kaijû, est définitivement abandonnée.


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Promotion maximum

Tout au long de 2023, la campagne promotionnelle de Godzilla Minus One est menée avec intelligence par Toho à coup de posters iconiques et de trailers chocs où un splendide Godzilla fait des ravages dans un Ginza tout juste reconstruit suite aux bombardements de Tokyo. La note d’intention est claire : le roi des kaijû est là pour asséner le coup de grâce à un Japon vaincu à peine entré dans sa phase de résilience. La promotion s’intensifie en annonçant que Godzilla Minus One sera également le coup d’envoi des célébrations du 70e anniversaire de la saga, le film matriciel d’Ishirô Honda et Eiji Tsuburaya étant sorti le 3 novembre 1954 au Japon. Quelques jours avant la première du 18 octobre 2023 au Toho Cinema Shinjuku, les premières critiques se succèdent sur les réseaux sociaux. Le dithyrambe est total : la presse et les spécialistes du kaijû eiga annoncent tout simplement l’un des meilleurs Godzilla, toutes ères confondues. Les historiens saluent notamment la vision du Japon d’après-guerre de Yamazaki, qui dénonce l’absurdité du conflit, prône un retour au pacifisme intrinsèque à l’œuvre d’Ishirô Honda et un Godzilla plus impitoyable que jamais. Le film sort finalement le 3 novembre 2023 et l’événement est boosté par la nouvelle édition du « Godzilla Fest », qui se tient le même jour. Dès le premier week-end d’exploitation, le film est un succès, notamment au niveau des salles Imax locales, qui affichent complet. Au moment où ses lignes sont écrites, le film a déjà récolté près de 4 milliards de yen (environ 27 millions de dollars US/25 millions d’euros) au bout d’un mois d’exploitation. Pour rappel, Shin Godzilla avait fini sa carrière japonaise avec 8 milliards de yen au box-office local.

L’invasion du King

Aux États-Unis, Toho International assure la distribution de Godzilla Minus One, qui bénéficie aussi d’une première américaine avant d’être proposé sur 2308 écrans dès le 1er décembre 2023. Le film fait l’exploit de collecter plus de 11 millions de dollars durant son premier week-end d’exploitation, un record pour un film japonais en prises de vue réelles. Le film va donc rembourser son budget initial rien que sur le sol américain. Le succès est tel que les séances de Godzilla Minus One seront prolongées jusqu’au 14 décembre 2023 via les réseaux de cinéma Regal et AMC. Cette sortie semble néanmoins qu’un prélude à une prochaine offre du film sur plateforme. En Europe, le film est distribué par Piece of Magic Entertainement pour une durée limitée avant, possiblement, une sortie streaming très proche. En France, le film est proposé les 7 et 8 décembre dans le réseau Pathé pour des séances en soirées en IMAX et 4DX. Le film est également proposé aux mêmes dates en festival grâce au PIFFF et Kinotayo. Au Royaume-Uni, c’est All The Anime qui accompagne le film dès le 15 décembre.


Mais Toho et Yamazaki ont-ils proposé avec Godzilla Minus One une œuvre à la hauteur du bouche-à-oreille plus que positif qui se répand des deux côtés du Pacifique ?

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Vivre dans la peur

À travers le parcours de Koichi Shikishima (Ryunosoke Kamiki), kamikaze déserteur revenant fin 1945 dans un Tokyo annihilé par les bombardements aériens, Takashi Yamazaki fait d’emblée de Godzilla Minus One un grand drame de guerre où le pays doit renaître de ses cendres, où la nécessité de vivre prévaut. Le film n’hésite pas à aborder frontalement la thématique du stress post-traumatique, qui handicape psychiquement Shikishima durant une bonne partie du métrage. Le film offre presque un intéressant contre-champ à Onoda – 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, 2021), où le soldat porte « la guerre en lui » comme une seconde peau qui infecte l’âme. Il n’est pas non plus interdit de mettre en parallèle les tourments de Shikishima avec le parcours personnel de Ishirô Honda. Ce dernier fut mobilisé à plusieurs reprises au sein de l’Armée Impériale japonaise pour être ensuite capturé par la Chine avant de rentrer au Japon eu 1946 en passant par les ruines d’Hiroshima, scellant son pacifisme à jamais. On peut presque rapprocher Shikishima de la version fictionnelle d’Ishirô Honda, aperçu dans l’épisode « Tagumo Attacks !!! » de la saison 4 de la série Legends of Tomorrow. Le cinéaste, incarné par Eijiro Ozaki, donnait vie par mégarde à Tagumo, un kaijû incarnant le péril atomique. Mais par son statut de kamikaze survivant, Shikishima doit prendre sur lui la responsabilité de la défaite japonaise. Dès lors, le processus de reconstruction psychologique va se faire au contact de la composition d’une famille recomposée auprès de Noriko Oishi (Manami Hamabe) et de la petite Akiko (Sae Nagatani). Le travail joue également un rôle important, Shikishima acceptant de joindre une équipe de personnages truculents embauchés pour déminer tout le littoral japonais. Rien qu'avec cette trajectoire de personnages, Godzilla Minus One apporte un bain de fraîcheur bienvenu. Le film choisit de rester prudemment du point de vue des civils qui ont subi le conflit, histoire de ne pas aborder les sujets politiquement sensibles ou de porter un regard biaisé sur le passé militaire japonais. L’objectif du film est de divertir avant tout. Cependant, tous les personnages croisés par Shikishima tentent de se reconstruire et de regarder vers le futur, amenant le réalisateur à tirer le film vers le mélodrame où les émotions sont fatalement exacerbées. À ce titre, Godzilla Minus One se rapproche surtout du Retour de Godzilla (Motoyoshi Oda, 1955), où des aviateurs reconvertis dans le civil travaillent pour une compagnie de pêche d’Osaka, détruite à mi-parcours de métrage par le combat opposant Godzilla à Anguirus.

L’ennemi intime

Comme Shin Godzilla, Godzilla Minus One emploie les technologies numériques avec intelligence pour moderniser les apparitions du monstre afin de le rendre accessible à un public qui ne serait pas sensible aux techniques traditionnelles du tokusatsu. Doté d’un design magnifique, qui rappelle essentiellement celui de l’ère Heisei, Godzilla est un être de rage pur, qui n’a pas d’agenda spécifique à part détruire tout ce qui se présente sur son chemin. Nous n’avons pas vu un Godzilla aussi furieux depuis Godzilla, Mothra and King Ghidorah : Giant Monsters All-Out Attack (Shusuke Kaneko, 2001), opus favori de Yamazaki. Les animations créées par Shirogumi et ModelingCafe aboutissent à des images totalement révolutionnaires dans le cadre de la saga. À ce titre, la toute première apparition de Godzilla mérite les applaudissements. Mais comme Anno et Higuchi sept ans plus tôt, Yamazaki préfère espacer les apparitions du monstre afin de l’iconiser au maximum tout en utilisant intelligemment ses ressources financières mises à disposition.

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Nouvelle Guerre du Pacifique

Godzilla Minus One exploite les panoramas maritimes avec brio pour orchestrer des séquences de combats en pleine mer tout simplement hallucinantes. Par le passé, Yamazaki avait déjà illustré certaines dates clés de la Guerre du Pacifique avec Kamikaze, le dernier assaut (2013) et The Great War of Archimedes (2019). Ici, il exploite tout le potentiel des engins de guerre maritimes, rappelant les grandes heures des films de batailles navales de la Toho. Eiji Tsuburaya, maître des miniatures et des effets spéciaux japonais, aurait sans doute apprécié. Sur le plan thématique, cette solidarité martiale n’est pas sans rappeler, une fois de plus, les meilleurs moments de Godzilla, Mothra and King Ghidorah : Giant Monsters All-Out Attack, déjà bien généreux en matière de déploiement armé. Il aurait été intéressant de récolter l’avis du regretté Leiji Matsumoto sur l’iconisation, voire le fétichisme, de certains appareils volants. Après tout, Yamazaki avait lui-même adapté Space Battleship Yamato en prises de vue réelles en 2010. Le film effectue quelques emprunts américains, notamment des Godzilla de Gareth Edwards et Michael Dougherty. Le film rappelle aussi Les Dents de la mer et Dunkerque, en incorporant une touche de Top Gun : Maverick.

Sur le plan technique, Godzilla Minus One est l’un des plus accomplis de la franchise. L’usage du scope et de la couleur rappellent l’ampleur des films de l’ère Shôwa. Yamazaki a bien fait de rappeler son vieux complice, le directeur de la photographie Kôzô Shibasaki, dont les ambiances ocre parsemées de vert et de rouge évoquent les teintes des archives de l’époque. En termes de mise en scène pure, Yamazaki va à l’opposé d’Anno et Higuchi en privilégiant de longues prises et des travellings circulant doucement autour des personnages. Cependant, ce choix se fait souvent au détriment du rythme, qui s’affaiblit par endroits dans la deuxième moitié. L’épilogue sera également sujet à débat. Sur le plan sonore, la musique de Naoki Satô offre de magnifiques moments de tension. Pour une des rares fois dans la saga, la réutilisation des thèmes classiques d’Akira Ifukube semble presque superflue. 


Déjà comparé aux blockbusters américains et mis en perspective à la trajectoire légère prise par le MonsterVerse de Legendary Pictures, Godzilla Minus One prouve que le mythe a encore de beaux jours dans son pays d’origine. Qu’on aime ou non le film, ce dernier s’intègre tout à fait dans la filmographie de son réalisateur, ce qui le rendra d’autant plus fascinant à analyser dans les temps à venir. Plus que jamais, Toho a sans doute trouvé la bonne manière d’exploiter artistiquement et commercialement sa licence. Godzilla Minus One, c’est du grand spectacle émotionnel à l’état pur, doublé d’un cadeau suprême à déguster sur grand écran pour se préparer au 70e anniversaire du roi des kaijû !


Par Fabien Mauro.


Godzilla Minus One : dans les cinémas Pathé les 7 et 8 décembre 2023.

Projections spéciales : PIFFF et Kinotayo

Remerciements : Piece of Magic Entertainement, Caroline Aymar