The Big Chill : la vérité nue
Comédie de boomers, ou plutôt « dramédie » doublée d'une méditation douce-amère sur la crise de la quarantaine, le film de Lawrence Kasdan se redécouvre aujourd'hui comme une influence discrète, mais majeure.Bouleversés à l'annonce du suicide de leur ancien collègue d'université Alex, huit vieux amis se rendent en Caroline du Sud pour assister à ses funérailles. Le temps d'un week-end, les voilà tous réunis. L'occasion de faire le bilan, de panser les blessures du passé et de tirer des plans sur la comète.
Par Clément Arbrun.
Drôle de carrière que celle de Lawrence Kasdan. S'attendait-on à ce que le scénariste de L'Empire contre-attaque et des Aventuriers de l'arche perdue mette tout son cœur dans ce récit minimaliste d'introspection amicale, rythmé par les rires, la bouffe et les tubes dansants de la Motown ? C'est pourtant ce qu'est The Big Chill, un projet très personnel influencé par quelques souvenirs de jeunesse (ses années passées à l'Université du Michigan) et co-écrit en compagnie de la scénariste de séries télévisées Barbara Benedek. Ce scénario – qui vaudra à l'heureux binôme une jolie nomination aux Oscars – est transcendé par une bande de comédiens d'enfer : Tom Berenger, Kevin Kline, William Hurt, Jeff Goldblum, Meg Tilly, Glenn Close, Mary Kay Place et JoBeth Williams. Chaque interprète vient apporter exubérance et sobriété, timing comique et névroses inavouées.
Leur complicité comptait plus que tout pour susciter l'empathie et l'émoi. Dès les premiers jours de tournage, Kasdan les incite alors à faire connaissance... en préparant un repas. « Pendant cinq heures, ils sont restés dans leurs personnages, sans aucune figure d'autorité, sans aucun réalisateur pour leur dire s'ils se comportaient ou réagissaient correctement », se remémore le cinéaste. Difficile de mieux résumer l'intention naturaliste de l’œuvre, si ce n'est en évoquant sa scène la plus poignante : la détresse de Sarah (Glenn Close), éclatant en larmes, nue, sous la douche. C'est justement cela que désire saisir le cinéaste, que ses personnages se taquinent ou se câlinent, rigolent, chialent ou crient : la vérité nue. Une nudité du réel qui ne serait à chercher ni du côté du mélodrame, ni de la gaudriole, mais dans un entre-deux qui définit si bien nos expériences de vie.
Comédie de boomers, ou plutôt « dramédie » doublée d'une méditation douce-amère sur la crise de la quarantaine, le film de Lawrence Kasdan se redécouvre aujourd'hui comme une influence discrète, mais majeure. Sans les méditations cocasses de Jeff Goldblum et de sa clique, le cinéma de Judd Apatow aurait-il le même visage ? Ou bien celui de James L. Brooks ? De Hannah et ses sœurs (Woody Allen, 1986) à Peter's Friends (Kenneth Branagh, 1993) en passant par Beautiful Girls (Ted Demme, 1996) et Dinner With Friends (Norman Jewison, 2001), la moindre chronique d'amis de jeunesse sirotant leur crise existentielle nous renvoie forcément à ce « grand frisson ».
Mais sans toujours atteindre la même justesse. Et surtout cette mélancolie, celle d'un temps qui nous file entre les doigts et que l'on cherche à retenir en écoutant Procol Harum, Aretha Franklin et Marvin Gaye. On y revient chaque année comme pour mieux retrouver de vieux copains.
Par Clément Arbrun.