Created by Richard Schumannfrom the Noun Projecteclair_rocky
Design, Article & Cream
superstylo

Adult Swim a encore tué Internet !

Adult Swim à l’instar du sempiternel boogeyman ne cesse de hanter nos rêves pour mieux nous taillader la chair. Cette fois-ci, la chose a pour nom M.O.P.Z. Et, comme d’habitude, nous n’étions pas prêt.
Adult Swim a encore tué Internet !

Adult Swim, à l’instar du sempiternel boogeyman, ne cesse de hanter nos rêves pour mieux nous taillader la chair.  Cette fois-ci, la chose a pour nom M.O.P.Z. Et, comme d’habitude, nous n’étions pas prêts.


Trop de cuisiniers et la tarte à la crème a un goût de LSD. Avec Too Many Cooks, la team Adult Swim nous rappelait tous ces instants de malaise inconscients cachés dans certains épisodes de Arnold & Willy ou La Fête à la Maison. Casper Kelly nous affirmait, à travers cet hommage au Bossy Burger du performer Paul McCarthy, que peu de degrés séparent Al Bundy de Ted Bundy. Qu’en regardant la version de dix heures du générique de The Brady Bunch, on peut facilement sombrer dans la folie.

M.O.P.Z est donc le nouveau Infomercial, signé Todd Rohal, dans la droite lignée des courts métrages de Casper Kelly. Un loser de balayeur confectionne un robot et provoque sans le vouloir un carnage. Si vous voulez, c’est un peu un mix entre la frénésie de Benny Hill, le robotique Short Circuit, l’hallucination américaine façon Twin Peaks et tout ce que Tim & Eric ont pu nous offrir en terme d’expérimentations visuelles de mauvais goût, puisque régulièrement de brèves distorsions de pubs ringardes viennent fracturer ce bad trip en avance rapide.


L’influence première de ce delirium n’est autre que Chopping Mall (ou Shopping), le slasher culte de Jim Wynorski, satire sanguinolente de la société high tech. Le lycée que nous visitons ici est celui au sein duquel nous avons grandi, via Parker Lewis Ne Perd Jamais et Sauvés par le Gong. Comme Too Many Cooks, il s’agit de concevoir en la culture des années 80 une sorte de vaste cauchemar.


Mais, en employant une somme de motifs emblématiques, ce court métrage furieux fait état d’une évolution dans l’univers acidulé d’Adult Swim. Ces geeks insomniaques gavés durant leur enfance de B movies cintrés, de films de SF un peu nuls, de séries TV cheesy, inlassables accros à la zapette réprimés pour leur étrangeté par des figures autoritaires (profs, parents et peine à jouir) qu’ils n’hésitent pas à mettre en scène, se plaisent ici à remonter le temps en s’emparant du langage primitif du slapstick. Le slapstick est par essence le mode d’expression des opprimés, de la contre-culture et des incompris,  l’évidence d’un bon goût saccagé à coups de tartes à la crème. Les courses-poursuites effrénées constituant le leitmotiv de M.O.P.Z sont celles des flics de Mack Sennett et la violence gratuite, totalement irréaliste, provient des meilleurs sketchs des Three Stooges. Le rôle du robot est de surligner la dimension mécanique du gag, cette vitesse  machinale qui nous renvoie précisément à l’anarchie généralisée des classiques des Marx Brothers.


Cet humour très infantile et dénué de toutes limites, c’est celui qui contamine l’aire de jeu des grands gamins que sont Laurel & Hardy, avant que le  slapstick trash façon Evil Dead 2 ne vienne rendre le tout plus extrême encore. Des longs jets de dégueulis évoquant la démesure d’un Mel Brooks aux inventions scientifiques saugrenues rappelant le burlesque magique et primitif de Georges Méliès,  la déclaration d’amour cinéphile semble totale. En son paroxysme, Adult Swim confère toujours à ses personnages cette ambivalence émotionnelle qui les fait passer de running gags à véritables êtres humains. Au centre de MOPZ, il y a cette romance impossible, ce mélange d’agressivité frontale et de sentimentalité.


adult-swim-a-encore-tue-internet

Les éclats de rire chez Adult Swim sont des éclats de terreur. On y rigole, c’est clair, mais cette marrade est celle-là même qui conclut la Trilogie de l’Apocalypse de Carpenter. Chaos comique, cette création zarbi à l’instar fait la nique au rationalisme bourgeois. Cette folie punk, on ne la trouvera désormais que chez Adult Swim ou dans le milieu du fanzinat résistant. On s’émancipe du réel pour plonger dans l’Inconscient et le morcellement du corps ne fait qu’un avec celui de la narration visuelle.


D’ailleurs, pourquoi cette accélération ? Pour la bonne raison que le Fast Forward nous renvoie à nos dix piges, à ces journées passées à boire du Coca acide tout en flinguant en un rituel autodestructeur nos vénérées VHS à coups d’avance-rapide. Le décor choisi est celui, idyllique, de l’enfance. Et c’est à travers l’établissement que s’enchaînent les traumas, issus du refoulé : malade emplâtré en chaise roulante, incendie destructeur (« school’s out forever »), lasers furieux, tueries de jeux vidéo, gros lourdaud travelo, regards face-cam malaisants des génériques de sitcoms et graves troubles émotionnels font éclore cette horreur comique, entre le grotesque et le cas psychiatrique.


Adult Swim perpétue l’idée selon laquelle notre génération est nostalgique jusqu’à la pathologie, quand bien même son enfance n’est qu’un vaste cauchemar. Rodney Ascher nous l’explique à travers son court-métrage The S From Hell, focus sur logo de la société de production Screen Gems, qui fut l’objet d’un profond trauma collectif au sein de la société américaine, du à son S satanique et à sa musicalité angoissante. La pop, nous dit Ascher, est ce labyrinthe où Danny Torrance manque de se faire hacher menu, la pop, ce sont ces interminables paralysies du sommeil faisant écho à nos premiers visionnages en loucedé de A Nightmare on Elm Street. La pop, nous confirme Adult Swim, c’est précisément ce par quoi Antonin Artaud définit le cinéma burlesque dans son ouvrage Le Théâtre de la Cruauté : « Le cinéma constellé de rêves, et qui nous donne la sensation physique de la vie pure, trouve son triomphe dans l’humour le plus excessif ».


André Breton et Robert Desnos , afin de toucher du doigt cet onirisme idéalisé, ont opté pour l’hypnose. Nous, en 2016, nous avons mieux : nous avons l’Hôtel Infomercial, et chacun y est un gardien. Nous acceptons la folie comme s’il s’agissait de notre propre histoire, de notre passé, d’un passé que nous aurions à la fois vécu et rêvé. Adult Swim, c’est l’expression la plus pop qui soit du phénomène d’inquiétante étrangeté. Si l’Infomercial se base sur l’aléatoire, le « random », le processus créatif mis en oeuvre est précisément ce les Surréalistes appelaient l’automatisme, et qui donnât naissance aux cadavres exquis. Automatisme ici saupoudré de gore et de stop motion.


Difficile donc de faire plus psychique que ce gros Z où l’on vacille comme dans un rêve du Principal sorti d’un film de John Hugues à un interlude chansonnier sur  rideau rouge calqué sur les fameuses scènes du  show de David Lynch et Mark Frost. Entre films de robots à l’ancienne, slasher movie craspec et stupidités absurdes à la Nickelodeon, l’Infomercial fait fusionner Jason Voorhes avec l’art expérimental russe, pour mieux nous faire vivre une vision fantasmée de notre enfance : une vaste fiction traumatisante, crade, fantasmagorique, hurlante, cauchemardesque, remplie comme un vieux coffre à jouets d’armes dangereuses et de souvenirs culturels en pagaille. Adult Swim vient encore de tuer Internet.


Clément Arbrun