« Blue Giant », un manga à écouter avec les yeux
Invité au prochain festival d’Angoulême et faisant partie de la sélection officielle, Shinichi Ishizuka semble malgré tout faire partie des grands auteurs assez méconnus.Invité au prochain festival d’Angoulême et faisant partie de la sélection officielle, Shinichi Ishizuka semble malgré tout faire partie des grands auteurs assez méconnus. Sa première œuvre « Gaku – Minna no Yama », « Vertical » en français avait certes eu un succès critique, mais ne l’avait pas propulsé au sommet. Les aventures de Sanpo, l’alpiniste au grand cœur, était pourtant d’une justesse et d’une beauté époustouflante, faisant de « Vertical » une pépite à l’état brut. Si les grands espaces et les hauts sommets font partie intégrante de la vie de l’auteur, lui même alpiniste amateur ; il en est de même pour la musique, l’autre passion d’Ishizuka. Sa nouvelle série « Blue Giant » a donc pour fond un univers qu’il maîtrise tout autant : celui du jazz.
Dai Miyamoto est un étudiant japonais on ne peut plus ordinaire. La vie du jeune homme va pourtant basculer le jour où l’un de ses camarades l’amène voir un concert de jazz. De là va naître une passion dévorante pour cette musique qui va le pousser à s’entrainer tous les jours afin de devenir le meilleur saxophoniste du monde. Le manga est construit comme une forme d’immense flashback qui se propose de revenir sur les débuts de ce futur « géant du blues ». La persévérance et la passion que met Dai dans cette musique est aussi communicative que celle de Sanpo avec la montagne.
Des débuts modestes, en passant par un concert calamiteux, la phase d’apprentissage du jazz va prendre du temps. En s’entraînant à jouer seul du saxo sur les berges d’une rivière, Dai va très rapidement être confronté à ses propres limites. Yui, un professeur de musique un peu désabusé va néanmoins déceler en lui un joyau à l’état brut qu’il compte faire briller de mille feux.
Le 4ème volume « Blue Giant » vient de sortir chez Glénat. Un tome qui marque une rupture car le jeune homme, après un nouveau concert sous forme de revanche, va quitter Sendai pour se rendre à Tokyo où il compte tout faire pour réussir. Si le ton change un peu, se concentrant plus sur les personnages secondaires et préparant un nouveau socle pour cette nouvelle vie, le rythme reste le même. « Blue Giant » continue de jouer sa partition, alternant force et douceur avec parfois quelques ratés, mais toujours en mouvement et plein d’entrain.
La grande force d’Ishizuka est d’arriver à insufler sa passion sur le papier. Une prouesse qui réussit à nous prendre aux tripes et faire vivre cette musique au fil des pages du manga. « Blue Giant » parvient à être à la fois didactique et séduisant. Les musiciens sauront apprécier les références aux jazzman comme Bill Evans, Charlie Parker ou Miles Davis, ainsi que le vocabulaire technique employé, mais tout ceci ne sert que de support au récit. Une couche de lustre qui nous fait découvrir un nouveau monde sans pour autant nous perdre. Qu’on aime ou non le jazz ne change au final pas grand chose ici, puisque c’est l’émotion qui prime et « Blue Giant » en regorge. Shinichi Ishizuka est le mangaka de la bienveillance et des sentiments, Dai tout autant que Sanpo, sont des héros positifs dont la joie de vivre et la passion sont extrêmement communicatives, on ferme chaque volume avec un sentiment de bien-être et une touche de mélancolie qui nous laisse sur un petit nuage.
Christophe BALME