Club VHS : The Blade

Qu’attendre d’un film de sabre chinois en 1995 ? Tout semblait avoir été dit vu, revu, re-revu… Les compagnies de production Shaw Brothers ou Golden Harvest avaient usé le filon depuis les années 60. 

Au moment où il abordait The Blade, Tsui Hark était déjà un maître du cinéma de Hong Kong qui n’avait plus rien à prouver, auréolé de quelques réussites comme Zu les guerriers de la montagne magique, Le Syndicat du crime 3 ou Il était une fois en Chine. Autant dire que le film avait tout du piège à une époque où, sur nos canapés, nous étions plus enclins à nous coller devant un bon polar qu’un film d’arts martiaux en ce qui concerne les films venus d’Extrême-Orient, même si au début des années 90, le genre restait très prisé en Asie. Mais, pour son réalisateur comme pour tout spectateur du film, il y a eu un avant et un après The Blade.

L’œuvre de Tsui Hark reprend le personnage et la thématique du sabreur manchot, popularisés au cinéma par Chang Cheh à la fin des années 60, notamment dans les sanglants Un seul bras les tua tous et La rage du tigre. En gros, pour une raison variable (amour, soumission à un ennemi, un combat…) un jeune homme perd un bras. En général, le néo-manchot traverse une période de dépression puis décide que sa vengeance sera terrible.

The Blade n’échappe pas à ces passages obligés, mais son millésime 1995 offre une lecture totalement nouvelle du mythe avec une approche stylistique inédite. 

Ici, c’est un jeune forgeron (recueilli enfant, élevé et protégé par son patron après le décès de son père) qui perd son bras. Alors qu’il cherche simplement à survivre modestement, il est rattrapé par son destin et contraint de revenir se faire justice.

Visuellement, The Blade est un choc. Tsui Hark inaugurait ici un style néo-réaliste en rupture avec les standards du film de kung-fu et le wu xia pan (film de sabre). Pas de câblerie, pas d’effets spéciaux. Tout se joue au tournage… Le réalisateur et producteur, connu pour ne pas être le type le plus sympa sur un tournage, a quasiment créé des conditions de travail commando : les acteurs n’avaient pas de dialogue, mais de simples lignes directrices, la caméra tournait presque sans arrêt, il pouvait s’écouler une semaine entière entre deux jours de tournage… Et pourtant, malgré des conditions difficiles, The Blade est une réussite en tous points : la photo est somptueuse, l’histoire est dense et maîtrisée, le rythme est soutenu, les scènes d’action sont d’une intensité et d’une violence inégalées à l’époque… 

Les plans saisissants et surprenants s’enchaînent d’un bout à l’autre. Tsui Hark n’a jamais craint les effusions de sang et avec un film intitulé The Blade (la lame), vous imaginez bien qu’il se fait plaisir. Il pose aussi des pièges à loups un peu partout dans le film. Dit comme ça, ça peut faire sourire, mais on fait moins les malins face aux images… Les histoires et sous-textes sont relativement nombreux, mais le travail du réalisateur avec son bras droit Koan Hui (qui a également co-écrit Time and Tide, un autre chef d’œuvre de Tsui Hark. Coïncidence ? Je ne crois pas) les rendent limpides : la romance rêvée de la fille du forgeron avec ses deux favoris (qui sont moyennement emballés), la quête de ses racines, l’héritage de la violence, le déterminisme… Tout est là, mais rien ne parasite l’histoire principale du jeune forgeron devenu guerrier féroce, même pas les pièges à loups. 

The Blade a été mal accueilli par le public à sa sortie. On termine le visionnage éprouvé, hébété, avec une question en tête : comment faire mieux dans le genre ? Depuis 1995, personne n’a trouvé la réponse.

The Blade (1995 – Tsui Hark)

Par Arnaud Fraisse