Created by Richard Schumannfrom the Noun Projecteclair_rocky
Design, Article & Cream
superstylo

Outsiders : survivre à sa jeunesse

Parce qu’il faut bien commencer quelque part. Et qu’il y a tout de même pire que de jouer de son physique le temps d’un rôle oublié, mais tout de même réalisé par le grand Monsieur responsable du Parrain et de Apocalypse Now.
Outsiders : survivre à sa jeunesse

Parce qu’il faut bien commencer quelque part. Et qu’il y a tout de même pire que de jouer de son physique le temps d’un rôle oublié, mais tout de même réalisé par le grand Monsieur responsable du Parrain et de Apocalypse Now. Il a été Billy dans Un Amour infini. Puis David Shawn dans Taps. Puis… Retour sur Outsiders, troisième film seulement de Tom Cruise, et vrai point de départ de sa carrière.


Francis Ford Coppola peut bien faire ce qu’il veut. Mais ce qu’il veut, c’est un peu de répit. Apocalypse Now est encore dans tous les esprits, mais son film suivant, One from the Heart, fut un échec monumental. Pas grave, il jouit encore d’une dose non négligeable de prestige. Il est indépendant. Il est son propre patron. Il peut bien adapter le roman The Outsiders de Susan Eloise Hinton s’il le souhaite. En fait, il ne le souhaite pas, mais l’idée lui est soufflée par une bibliothécaire de Fresno, en Californie. Cette dernière, au nom de ses élèves, lui écrit une lettre, engageant le réalisateur à se procurer l’ouvrage. Sous le charme, Coppola décide non seulement de mettre en image cette histoire (« Les jeunes des quartiers pauvres, les Greasers, s'opposent aux jeunes fils de bourgeois, les Socs ») mais de tourner deux adaptations de S.E. Hinton à la suite : celle-ci, puis Rusty James (sous le titre américain Rumble Fish), là encore avec Matt Dillon, Diane Lane, et Glenn Withrow. 

outsiders-survivre-a-sa-jeunesse

« Tell me, Pony Boy, what’s it like being a hero ? »

Ce dernier n’a pourtant pas démérité. Matt Dillon donc, mais aussi Patrick Swayze, Rob Lowe, Emilio Estevez, Diane Lane… Le casting, avec du recul, ressemble à un who’s who indie de l’époque. Aucun n’est, pour le moment, une star (Rob Lowe trouve ici son premier rôle), mais chacun apporte sa pierre à l’édifice. Qui aurait pu le croire ? Dillon, empli de rage et de volonté, semble destiné à être celui qui brillera plus fort que les autres. Il y a du Brando en lui. Swayze, trente ans, est déjà en place, riche de seulement quelques téléfilms et d’un épisode de la série MASH, certes, mais expérimenté. Cruise, lui, semble tout droit sorti d’une publicité pour des jeans, et peine à exister au sein d’un film choral qui ne lui offre ni grande scène de jeu, ni moment pivot de l’intrigue. Il n’est pas le héros, et s’interroge même sur cette condition : « Tell me, Pony Boy, what’s it like being a hero ? ». La dentition est encore anarchique. Le regard, vide. C. Thomas Howell est la star du film, le premier rôle. Et pourtant, ce sera lui. Bel et bien lui. En 1986, Paul Newman dira de son partenaire dans La Couleur de l’argent : « Il pourrait bien être le seul acteur de sa génération à survivre à sa jeunesse ». Sur le tournage de Outsiders, Cruise reçoit le script de Risky Business. Un coup de chance, puisque le réalisateur Paul Brickman, à l’origine, porta son choix sur un autre acteur de Taps, Timothy Hutton, pour incarner Joel. Hutton se désengage, Nicolas Cage, Tom Hanks, Brian Backer, et Kevin Anderson sont envisagés, mais c’est finalement Cruise qui décroche le rôle.

outsiders-survivre-a-sa-jeunesse

« Don't you know a rumble ain't a rumble without me ? »

Il est tellement facile, aujourd’hui, de dire « je savais ». De dire que cela se voit, que dès Outsiders, quelque chose se dégage de ce sale gosse qui aime la bagarre, de ce vicelard qui n’a pas peur de frapper dans le dos. Que cette rage ne demandait qu’à être canalisée. Et pourtant, pourtant… Pour un essai consacré à Tom Cruise, Carrie Rickey, la journaliste du Philadelphia Inquirer, est allée à la rencontre de Frederick Ried "Fred" Roos, producteur du film, ainsi que directeur de casting. Il se souvient avoir pensé que de tous ces jeunes, c’est Howell qui possédait toutes les qualités pour durer dans ce métier. Et Ross d’ajouter : « Tom Cruise a mieux géré sa carrière que n’importe lequel de ses pairs. Dans chacun de ses rôles, il parvient à rendre des personnages antipathiques, appréciables. Il a réussi à ne pas être associé au Brat Pack. Tom Cruise vole en solo ». 


Outsiders est un film oublié, mineur dans la filmographie de Coppola, mais pour autant non dénué d’un certain intérêt. Beau, épique par endroits. On s’attache à ce gang, à ces personnages. On a envie d’y croire. Surtout, au regard de ce qui arrivera par la suite, on tient là l’une des rares occasions de voir Cruise dans le rôle d’un exclu. Rejeté. Il est à part. On peut s’identifier à lui. Futur grand héros américain de nos rêves les plus dingues, Cruise est pour l’une des dernières fois, ici, un mec comme nous. Le succès, pas pour lui. La beauté, pas vraiment, non plus. Macchio et Howell sont les vraies stars. Lui semble être de passage. Pensons-nous. Tom Cruise ne sera plus second rôle avant Magnolia, quinze ans plus tard. Entre temps, mille vies se sont écoulées. 


Nico PRAT