Stallone vs. Schwarzenegger : Traque au sommet
Comment deux des plus grandes stars hollywoodiennes du cinéma d’action ont appris à se détester à la fin des années 70, ont tutoyé séparément les sommets dans les années 80, avant de se réconcilier dans les années 90. Et de faire des flops.Comment deux des plus grandes stars hollywoodiennes du cinéma d’action ont appris à se détester à la fin des années 70, ont tutoyé séparément les sommets dans les années 80, avant de se réconcilier dans les années 90. Et de faire des flops.
La scène se passe le 29 janvier 1977, lors de la 34ème cérémonie des Golden Globes. Tout le gratin est là, s’auto-congratule, fait semblant de s’aimer, de faire partie d’une grande famille. L’événement n’est pas encore le rendez-vous télévisé que nous connaissons aujourd’hui, mais déjà, les Golden Globes font figure de tour de chauffe pour les Oscars. Il faut en être et y être vu. Deux jeunes pousses ont bien compris l’enjeu, et jouent peut-être leur carrière, ou en tout cas les prochains mois de celle-ci. Un Globe, c’est un tremplin, une mise en avant, et un formidable accélérateur. Sylvester Stallone est nommé dans la catégorie Meilleur Film pour Rocky. Arnold Schwarzenegger lui, espère repartir avec le trophée du "Best Acting Debut in a Motion Picture" pour Stay Hungry, son premier rôle d’importance sur grand écran. Un film mineur, mais dans lequel Monsieur Univers donne la réplique à Jeff Bridges et Sally Field, pas vraiment des débutants. Sylvester et Arnold repartiront tous deux gagnants. Mais, en entendant son nom, Stallone ne fait pas dans la demi-mesure. Il s’empare du bouquet de fleurs présent sur la table et le jette dans les airs, sans vraiment faire attention aux autres tables autour de lui. Les tulipes trempées viennent s’échouer quelques mètres plus loin, sous le nez de Schwarzy. La guerre n’est pas encore officiellement déclarée. Mais elle débute néanmoins.
Quelques années, quelques décennies même plus tard, le décor n’est plus le même. Les années 80, 90 et 2000 sont passées par là. Plus personne n’a envie de se faire un burger au Planet Hollywood. Et de toute évidence, pas grand monde n’avait envie de se rendre dans les salles obscures pour voir Escape Plan. Pourtant, la promesse était grande, et belle. Imaginez plutôt : Arnold et Sylvester, ensemble, dans le même film, qui tuent des gens et font exploser des trucs. Film impensable vingt ans auparavant, désuet aujourd’hui, mais néanmoins particulièrement jouissif. Un plaisir coupable, et inespéré. Depuis 2010, Rocky et Terminator ont tourné ensemble dans pas moins de quatre films : Escape Plan donc, et la série des Expendables. Une chose inimaginable à l’époque (quand on dit l’époque, on parle évidemment de la grande, des années 80, et de la première moitié des années 90), comme le racontait Stallone lui-même au moment de la sortie du troisième volet de la saga des vieux mercenaires, l’année dernière : “Vous avez déjà détesté quelqu’un au point de vouloir lui mettre votre poing dans la gueule ? Arnold et moi, c’était ça. On ne pouvait même pas être dans la même pièce. Nous sommes arrivés dans ce milieu au même moment, et nous avons tous les deux été des pionniers d’un certain cinéma d’action. Même si c’était moi le premier. Il y avait une réelle compétition”. Une hache désormais enterrée donc. Non sans moqueries. Festival de Cannes, mai 2014. Conférence de presse. Les boutades s’enchaînent. Arnold : “J’ai toujours voulu jouer dans ce film que Sly a fait, Arrête ou ma mère va tirer. J’aime beaucoup ce film, surtout parce que j’ai pu y voir Sylvester en couches”. Sylvester : “Attends, tu n’étais pas tombé enceinte dans Junior ? Je t’ai vu donner naissance à un bébé”. De l’eau a passé sous les ponts. Des litres et des litres de flottes, d’ego, de mauvais choix et de coups de putes.
Dans Tango & Cash (1989), le flic joué par Stallone, en réponse à un adjudant un brin zélé, affirme sans sourciller que “Rambo is a pussy”. The Running Man (1987) partage la phrase “I’ll be back” avec Terminator. Dans Président d’un Jour, en 1993, Arnold Schwarzenegger joue son propre rôle. Il en fera de même dans Last Action Hero, avec un clin d’œil à son rival, qui y apparaît sur un carton dans un vidéoclub, dans le rôle titre du film culte de James Cameron. Dans Demolition Man, Stallone débarque dans un futur qui a vu Schwarzenegger occuper le fauteuil de président des États-Unis. Bref, ça se parodie, ça se cite, en dépit du bon sens. Le name dropping est à l’honneur, et la ringardise pointe le bout de son nez (Arnold considère d’ailleurs que l’échec du mal aimé L.A.H. est le début de la fin de sa carrière).
Les deux stars sentent peut-être le vent tourner, qu’elles arrivent en bout de course. Une course folle qui les aura vu se livrer un véritable combat avec pour ring les comes du box office. Sur le plateau de Jimmy Fallon, l’année dernière, Stallone raconte : “Détester est le bon mot, oui. Je faisais Rambo, et il faisait Commando. Je faisais Bingo, il faisait Dingo. C’était ça en permanence. Je le respecte, je pense qu’il est brillant”. Au milieu des années 80, les années fric qui plus est, Stallone demande un cachet d’un million de dollars quand Arnold en demande trois. L’année suivante, Sly exige quatre, et ainsi de suite. C’est l’escalade. Plus dure sera la chute ? En 1991, un scénario passe de mains en mains à Hollywood. Son nom: Arrête ou ma mère va tirer. L’histoire complètement stupide d’un policier qui doit coffrer des méchants avec l’aide de sa maman. Quelqu’un l’a écrit, quelqu’un doit donc le tourner. Et puisqu’il faut un mec musclé, ce sera l’un ou l’autre de nos héros. Aujourd’hui, Rocky Balboa en parle avec le sourire (crispé le sourire, mais c’est le botox) : “Je reçois un coup de fil de mon agent, qui me dit que je dois absolument faire ce film, car si je ne le fais pas, Arnold le fera”. Problème : Schwarzenegger sait que le script est une merde sans nom, mais dans une ultime tentative de casser l’image macho de son rival, et de monopoliser le terrain, fait croire le contraire. Nous sommes à Hollywood, et il ne faut pas grand chose pour lancer une rumeur: un dîner, un coup de fil… Résultat : le film de Roger Spottiswoode fait un flop, est moqué, et Stallone le considère aujourd’hui, à juste titre, comme le pire film de sa carrière. Spoiler : cette comédie policière ne vieillit même pas bien. Fiasco sur toute la ligne donc.
Et comme si cela ne suffisait pas, au même moment sort dans les salles Terminator 2, avec le succès que l’on connaît. Mais il n’y a pas que ça. Ce serait trop simple. Rajoutons-y une histoire de cul, pour pimenter les choses. C’est Brigitte Nielsen qui révéla la chose il y a quelques années. La méchante du Flic de Beverly Hills 2, en 1985, aurait entretenu une histoire avec le futur Governator, pourtant déjà en couple avec sa future femme, Maria Shriver. Pas un souci pour Arnold, comme la nounou de ses enfants le révélera au grand jour des années plus tard. Ils se sont rencontrés sur le tournage de Kalidor, et à peine quelques mois plus tard, la danoise épousera... Stallone, pour deux petites années de bonheur.
Rocky, Rambo, Cobra, Over The Top, Tango & Cash, Cliffhanger, Demolition Man, L’Expert, Assassins, Judge Dredd, Daylight. Conan, Terminator, Predator, Commando, True Lies, Running Man, Total Recall, Last Action Hero, L’Effaceur. Assumons notre nostalgie : ces films ne se font plus. Certes, il y a la série des Expendables, mais elle a valeur de carte postale, d’une époque révolue. Les personnages de films d’action, aujourd’hui, doivent avoir une part d’ombre, des failles. Ils sont entre le bien et le mal. Les longs métrages de cette liste, eux, ne s’embarrassaient pas de jugements ou d’états d’âme. Et, malgré une rude compétition, se complétaient. Pas de Stallone sans Schwarzy, et inversement. Pas cons, les deux acteurs régleront leurs différents au début des années 90, ou mettront leur rivalité en scène, c’est selon, en se lançant dans l’aventure des restaurants Planet Hollywood. Puis, le 11 septembre passera par là, et tout cela paraîtra subitement bien futile.
Nico PRAT