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Nous vous emmenons sur le tournage des Goonies

Construit à l’endroit même où la scène d’évasion de Jake Fratelli fut tournée, dans la petite ville d’Astoria, le Musée reçoit aujourd’hui 25 000 visiteurs chaque année, venus des quatre coins du monde.
Nous vous emmenons sur le tournage des Goonies

« On a ouvert en 2010, pour les vingt-cinq ans du film, et on a immédiatement reçu la visite de 10 000 fans. En 2015, pour les trente ans, 15 000 personnes sont venues. » Officiellement, Mac Burns dirige le musée du film de l’Oregon, cet État du Nord-Ouest des Etats-Unis. Officieusement, le petit immeuble blanc est surtout, et avant tout, un édifice presque entièrement consacré aux Goonies. 


Construit à l’endroit même où la scène d’évasion de Jake Fratelli fut tournée, dans la petite ville d’Astoria, le Musée reçoit aujourd’hui 25 000 visiteurs chaque année, venus des quatre coins du monde. Selon Mac Burns, plus des trois quarts d’entre eux se déplacent exclusivement pour un pèlerinage presque religieux, sur les traces de l’œuvre ultra générationnelle de Richard « Dick » Donner. « Généralement, ils regardent rapidement les petites reliques du tournage que nous avons là, reprend Mac. Et puis, très vite, ils nous demandent où se trouve la fameuse maison des Goonies. ». Quasi inchangée, seulement ornée des drapeaux américain et israélien entremêlés, la bâtisse appartient désormais à une dénommée Sandi Preston. La dame apparaît à intervalles réguliers dans divers médias locaux, se plaignant des incursions très impromptues de hordes de fans en visite. Elle ne se doutait pas forcément, en investissant les lieux, qu’elle était sur le point d’entrer dans l’histoire d’un mythe. Plus qu’un film, les Goonies est le produit culturel symbole d’une génération, d’une époque et d’une vision de l’adolescence. Le symbole d’un monde où l’imaginaire finit toujours par prendre le dessus.


Ce postulat est la marque de fabrique d’Amblin, maison de production fondée par Spielberg en 1981, avec ses associés Kathleen Kennedy et Frank Marshall. Amblin, c’est une grande histoire de famille, de proximité. Nommée en hommage à un court-métrage de Spielberg réalisé treize ans plus tôt, avec un logo faisant référence à E.T, la société fonctionne selon le principe de l’adhésion à des principes : chaque profit fait par un film est réinjecté dans le suivant et les effets spéciaux ne prennent jamais le pas sur le scénario. La formule est, elle aussi, souvent la même : des pré-ados issus d’un milieu modeste, souvent banlieusard, sur le modèle des grandes villes américaines, se confrontent au surnaturel et à la magie. Il y a presque toujours, dans les films Amblin, cette croyance indéfectible en un imaginaire insubmersible, qui continuera de croître s’il est cultivé. Pour perpétuer cette approche, précieuse et spécifique, Spielberg instaure un mécanisme clanique et ne travaille qu’avec des gens en qui il a totalement confiance. Il adore par exemple le script des Gremlins – film qui va installer la Amblin sur le devant de la scène –, et demande à son tout jeune auteur Chris Columbus, vingt-six ans en 1984, de plancher sur le nouveau projet de la société : l’histoire d’une bande de potes, initialement baptisés « The Goon Kids », qui pour sauver leur quartier de la destruction vont partir, sous terre, à la recherche d’un trésor. L’idée de Spielberg, en sous-main, est aussi de revenir à ses premiers amours et de rafistoler une image écornée par ses participations successives au film d’horreur Poltergeist et à La Quatrième Dimension de John Landis, dont le tournage s’est soldé par trois morts lors d’un accident.

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Avec une équipe composée de collaborateurs réguliers encadrant une bande de gamins en furie, le tournage des Goonies, qui débute en octobre 1984 et se partage entre Astoria et les studios californiens, semble avoir été plutôt rafraichissant. Le budget de 100 000 dollars, confortable mais loin d’être mirobolant, incite à la débrouille, à l’artisanat. L’équipe, loin de réclamer un palace, dort dans de simples mobil-homes construits pour l’occasion. Sur le plateau, les techniciens se battent pour avoir quelques secondes à l’écran (le directeur de la photo Nick McLean au tout début par exemple, en plombier sous le lavabo) tandis que ce sont les vrais parents des acteurs qui apparaissent sur la plage, dans la dernière scène. L’ambiance est clairement détendue, et la mère de Jonathan Ke Quan exige même la modification du script, pour que son rejeton ne jure pas mais, à la place, épelle les « mots défendus ». Corey Feldman (Bagou) et Martha Plimpton (Stephanie) entretiennent un amour vache devant, mais aussi derrière la caméra : ils se cherchent constamment et Feldman pousse Plimpton à bout en répétant inlassablement et à l’identique tout ce qu’elle peut raconter. « C’était totalement familial, il y avait une super ambiance et les enfants étaient loin d’être ingérables », se souvient aujourd’hui Linda DeScenna, décoratrice de plateau. « En plus chaque gosse avait une sorte de gardien, qui avait pour mission de veiller sur son protégé. » Dans son autobiographie, Sean Astin (Mickey) consacre même un paragraphe entier à ce fameux « gardien », Joseph ‘Peppy’ Passarelli, « un gros Italien avec une moustache touffue qui revenait tout juste du Vietnam ». 


En guise de chef de tribu, bougon mais affectueux, Richard Donner est absolument parfait. Adoré des enfants, apprécié de son équipe, il contribue à installer une ambiance bienveillante sur le plateau. « Sur un tournage, c’est le réalisateur qui donne le ‘la’, dicte l’état d’esprit », raconte le cadreur Stephen Saint John. « Et en l’occurrence, il a réussi à rendre l’expérience drôle et aventureuse, pour tout le monde. Il était aussi très prévenant, et quand une performance ne lui convenait pas, il n’était jamais humiliant en public. La moindre de ses réprimandes était précédée d’un gros rire réconfortant et affectueux. C’est la marque du ‘Double D’ ». Linda DeScenna confirme : « Dick Donner est un type génial, j’ai fait plusieurs films avec lui et c’est un gars intègre, loyal. Sur ses plateaux, il y a généralement une ambiance du tonnerre. C’est un grand bonhomme costaud, qui est à l’aise avec les enfants tout en sachant se faire respecter. C’est naturel chez lui. » Donner a ses techniques à lui : les jeunes acteurs ne sont pas au courant du script et la surprise ou la peur qu’ils éprouvent, perceptible à l’écran, n’est souvent pas jouée. Il a son mot d’ordre, qu’il crie à chaque fois qu’il veut obtenir un effet d’ébahissement : « Big Eyes ! ». Et lorsqu’il ne parvient pas à atteindre ce qu’il recherche, le cinéaste emploie les grands moyens : il profite de la visite inattendue de Michael Jackson, proche de Steven Spielberg à l’époque, pour stupéfier Corey Feldman lors d’une prise et obtenir cette fameuse expression de surprise prolongée. 


Donner fait une telle impression sur les acteurs et sur l’équipe qu’encore aujourd’hui, les quelques rares scènes tournées par Spielberg himself sont reléguées au rang d’épiphénomène. Un Spielberg qui, d’ailleurs, n’oublie pas d’être facétieux. Stephen Saint John en rit encore : « De sa grosse voix, Dick disait parfois qu’il en avait marre de ce tournage et qu’il avait hâte de passer l’hiver tranquille, au chaud à Hawaï, sans tous ces gamins. Quelques semaines plus tard, tout est bouclé et Dick arrive enfin dans sa maison de vacances. Il allume la lumière et voit toute la bande des Goonies cachée chez lui, qui d’un coup hurle, lui saute dessus, l’embrasse. Steven leur avait payé un aller-retour, pour qu’ils arrivent un jour avant Donner. Merci Steven ! »

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Le tableau semble idyllique et il l’est en grande partie, mais pas que. Le succès des films Amblin, et des Goonies en particulier, repose sur la confrontation directe entre un imaginaire utopique auquel on essaie de donner chair et un quotidien morne voire cruel, traversé d’angoisses et de peurs infantiles. Fatalement, le tournage en est la représentation : Jeff Cohen (Choco), très bedonnant, est parfois moqué lorsque la répétition des prises lui impose de s’empiffrer d’une trentaine de barres chocolatées en une journée ; lors de la scène où il exhibe son ventre et ses bourrelets, devant la maison, le jeune acteur d’une dizaine d’années, forcément complexé, demande à ce que le plateau soit vidé. Pour ne rien arranger, il a la varicelle et l’équipe de maquilleurs doit le travailler au corps. Plus tard dans le film, lorsqu’il est torturé par les Fratelli, ces derniers lui disent qu’ils vont l’envoyer dans un « camp pour gros » – ce qui est réellement arrivé à l’enfant – et qu’ils vont s’attaquer à sa famille. Les prénoms employés sont alors ceux de sa mère ainsi que de sa sœur, et Cohen pleure réellement, terrorisé. 


Plus globalement, l’équipe tient à toujours conserver un équilibre précaire entre la camaraderie, la colonie de vacances, et une gravité latente, qui peut surgir à tout moment. Lorsque des chauves-souris attaquent les enfants, de vrais oiseaux sont par exemple glissés parmi les volatiles animés. Quant au bateau, véritable splendeur créée ex nihilo par le chef décorateur J. Michael Riva (par ailleurs petit-fils de Marlene Dietrich), il renferme lui aussi son lot de secrets macabres. Linda DeScenna remonte plus de trente ans en arrière : « Croyez-moi ou non, mais on a fait venir de véritables squelettes pour cette scène. Ils sont arrivés tout droit d’Inde, car pour des raisons administratives c’était plus simple. Donc on les a habillés en pirates, et on a aussi fait venir des squelettes de rats. Michael était tellement à fond dans son boulot, qu’un jour il a amené son sac de couchage et a passé la nuit sur le bateau. J’adorais Michael mais ça, je n’ai pas pu, j’avais trop peur. » Drôle de délire, finalement plus Tobe Hooper et Peter Cushing que Steven Spielberg.


Quoi qu’il en soit, le film est un gros succès et se voit seulement dépassé par Retour vers le futur, sorti un mois plus tard aux États-Unis (l’actrice qui joue la femme de ménage Rosalita est d’ailleurs mariée à Zemeckis). Il va connaître l’aura que l’on connaît, avec son lot de fans, qui iront jusqu’à courroucer la pauvre Sandi Preston près de trois décennies plus tard. Les jeunes acteurs, eux, vont avoir du mal à abandonner les costumes portés pendant cinq mois (le t-shirt Purple Rain de Corey Feldman, le bandana de Josh Brolin…), tandis que Donner tiendra à conserver la tête de Willy le Borgne, aujourd’hui encore exposée dans son bureau. Quant à Jeff Cohen, devenu avocat de renom – qui compte parmi ses clients un dénommé Jonathan Ke Quan – il semble avoir digéré ses années potelées et a hérité du surnom « Choco President » lors de son passage à Berkeley. L’incroyable bateau conçu par J. Michael Riva a lui été bazardé, sans sommation. Celui-là même qui remontait à la surface, dans la sublime dernière scène du film, et redonnait ses lettres de noblesse à l’imaginaire en même temps qu’il conférait aux Goonies une dimension toute particulière. Il faut croire que la magie ne gagne pas à tous les coups.


Axel CADIEUX