Outland : dans l’espace, personne ne vous entend trimer
Nourri d’influences multiples, le classique de Peter Hyams s’est aussi forcément abreuvé à la source Alien dans la représentation d’une conquête spatiale peu glamour et broyeuse de cols bleus.Nourri d’influences multiples, le classique de Peter Hyams s’est aussi forcément abreuvé à la source Alien dans la représentation d’une conquête spatiale peu glamour et broyeuse de cols bleus.
Tant de raisons nous commandent d’aimer Outland. Le score de Goldsmith. Sean Connery, dans l’un de ses rares rôles où il se laisse gagner par l’émotion. Les magnifiques « levers de Jupiter » et ces plans composites hypnotiques obtenus grâce au procédé d’effets spéciaux baptisé Introvision (que le film inaugura). Les morts opératiques. La fusillade finale. L’ambiance westernienne du bar où des couples de go-go dancers nus simulent de torrides accouplements dans des halos de lasers bleus – un habillage technique proposé par le chef opérateur officiel du film, Stephen Goldblatt, avec un matériel conçu par son ami Anton Furst, futur chef décorateur du Batman de Tim Burton… Bref : le western sidéral de Peter Hyams ne jouit certes pas du même prestige que les Alien et Blade Runner de Ridley Scott, intouchables monolithes qui l’encadrent chronologiquement et le tiennent un peu dans leur ombre au rayon de la SF pour adultes. Mais dans cette route temporelle mythique reliant 1977 à 1982 au cinéma, façonnée grandement par les deux chefs-d’oeuvre de Scott, Outland marque une étape de mi-parcours incontournable, à défaut d’un virage décisif.
Récit futuriste d’un flic rincé, placardisé garde-chiourme sur une base minière aux confins de Jupiter et confronté à un trafic de drogue mortel organisé par la propre direction de la mine, le film combine les éléments du thriller, du pamphlet anticapitaliste et, particulièrement dans son dernier acte, du western ouvertement assumé. Comme Gary Cooper/Will Kane dans Le Train sifflera trois fois, dont Outland est une libre réinterprétation, Sean Connery/Will O’Niel passe tout le final à guetter fébrilement l’arrivée de tueurs chargés de l’éliminer (dans son cas, parce qu’il gêne la sinistre petite entreprise du consortium propriétaire de la station). Le film multiplie les choix de décors (le bar-saloon aux portes battantes) et de mise en scène (les plans sur l’horloge, les fusils à pompe, le duel final O’Niel/Sheppard) renvoyant directement au classique de Fred Zinnemann et au genre au général…
Mais dès la sortie américaine d’Outland, le 22 mai 1981, c’est bien l’esthétique crasseuse et fonctionnelle d’Alien que plusieurs critiques ne manquent pas d’observer comme influence évidente de Peter Hyams. « Outland rappelle un autre film de science-fiction hermétique – le quelque part plus nerveux Alien (également produit par l’équipe d’Alan Ladd Jr) » signale dans le New Yorker la célèbre Pauline Kael. Elle ajoute : « Outand n’a pas la bizarrerie d’Alien mais, lui aussi, a quelque chose de répugnant, il possède le même aspect désagréable. Ces deux films appartiennent à un nouveau sous-genre : la science-fiction jacobéenne » Diantre ! Qu’est-ce à dire ? Pauline Kael établissait en fait une filiation entre Alien, Outland et le théâtre jacobéen, variante de la scène élisabéthaine sous Jacques Ier, où chaque mort spectaculaire scande le récit comme autant de rebondissements majeurs et dérangeants.
Chez Scott, il s’agit d’astronautes trucidés par le xénomorphe et, chez Hyams, d’ouvriers décimés par les effets dévastateurs de la surpuissante méthamphétamine. Les deux trames avancent ainsi, l’une et l’autre, au rythme de violents trépas magnifiés à la fois par la mise en scène et par les accords lugubres de Jerry Goldsmith – tiens, compositeur commun aux deux films ! Plus près de nous, la proximité visuelle d’Outland avec Alien n’a eu de cesse d’alimenter une quantité astronomique de débats sur les forums Internet, à tel point qu’une théorie farfelue imagine, éléments à l’appui, que les deux films pourraient bien se dérouler dans le même univers. La Con-Amalgamate d’Outland partage bel et bien les mêmes caractéristiques nébuleuses et tentaculaires que la Weyland-Yutani d’Alien, mystérieux consortium lui aussi disposé à sacrifier la vie d’ouvriers de l’espace sur l’autel de ses intérêts. Les deux conglomérats ont aussi de mémorables logos respectifs, désormais bien connus des fans.
Artistes ouvertement de gauche, profondément marqués par la fin du rêve incarné par JFK puis par l’horreur du Vietnam dans les années soixante et nourrissant une défiance croissante envers leurs institutions, Dan O’Bannon (scénariste d’Alien) et Peter Hyams partagent dans leurs scripts respectifs une même critique d’un capitalisme violent et broyeur de masses laborieuses. De façon plus anecdotique, on notera que, dans chacun des deux longs-métrages, les rôles féminins forts (Ripley dans Alien, le Dr Lazarus dans Outland – jouée par la merveilleuse Frances Sternhagen) étaient à l’origine écrits pour des hommes. N’oublions pas non plus les génériques d’ouverture des deux films, dont les titres apparaissent tous deux progressivement sur un fond cosmique, avec une boucle sonore introductive en forme de sinistre écho pratiquement identique !
À la sortie de son bébé, certainement piqué d’orgueil, Peter Hyams balaiera toute parenté entre Alien et Outland. Au journaliste de Starlog qui lui demande si la dimension minière du vaisseau Nostromo fut pour lui une source d’inspiration (Hyams est également le scénariste d’Outland), le réalisateur réplique assez sèchement : « Je n’ai pas du tout été influencé par Alien. Ce sont deux films très dissimilaires, Alien ne se concentre pas vraiment sur les personnages. » Curieuse façon de botter en touche. À la même époque, aux confrères du magazine Fantastic Film, Peter Hyams détaille un peu plus la philosophie derrière les choix graphiques d’Outland et il n’est toujours pas question d’Alien (ni d’autres films ayant précédemment désacralisé le futur spatial, tels que Dark Star et Silent Running) : « Outland utilise le futur comme décor plutôt que comme sujet principal. C’est un film basé sur la faisabilité, qui parle des raisons concrètes pour lesquelles nous allons nous projeter dans l’espace, par opposition à la traditionnelle quête de nouveaux horizons. Les États-Unis ont construit le canal de Panama pour des raisons précises. Nous avons contrôlé l’Ouest pour des raisons précises. Les habitants du site de construction du canal, les habitants de Dodge City [ville du Kansas historiquement connue comme une étape de transhumance importante pour la ruée vers l’Ouest, ndlr], les résidents des plateformes pétrolières ou ceux qui construisent les pipelines en Alaska… sont les mêmes que les habitants d’Outland. Et il ne s’agit pas d’explorateurs. »
La « frontière » est donc au cœur d’Outland, mais pas sous un aspect glamour comme dans Star Trek. Elle n’est ici qu’un moyen pour parvenir à une fin pas très reluisante : l’exploitation de nouvelles énergies. Un peu comme les transporteurs de minerai dans Alien donc, Peter ! Bien plus tard, Hyams va tout de même tempérer sa position au fil de diverses interviews, notamment celle qu’il accorde au site Den of Geek en 2013 : « Ridley Scott a certainement montré la voie. Je trouvais très intéressante l’idée d’une vie de col bleu dans un environnement très hostile, ainsi que sa dimension claustrophobique. »
?Il faut dire qu’entre-temps, une rumeur persistante, relayée notamment dans l’ouvrage A History of Horror de Wheeler Winston Dixon, affirme qu’aux studios de Pinewood, dans le bureau consacré à la direction artistique du film, plusieurs mémos affichaient le message suivant : « Ce film doit ressembler à Alien. » On aurait aimé recouper l’information avec l’intéressé mais, contacté à plusieurs reprises pour cet article, Hyams ne s’est pas rendu disponible à temps pour le bouclage de ce Rockyrama. L’examen des faits paraît tout de même accréditer la rumeur.
Martin Bower et Bill Pearson (superviseurs des maquettes), John Mollo (chef costumier), Jerry Goldsmith (qui, certes, avait déjà collaboré avec Hyams sur le magnifique OST de Capricorn One)... et bien évidemment Alan Ladd Jr., l’homme qui donna le feu vert à Alien chez Fox avant de créer sa mythique propre structure, The Ladd Company (et son si beau logo musicalisé par John Williams), dont Outland fut la première production. Autant de talents que Peter Hyams alla « chiper » à Ridley Scott, pour un rendu visuel claustrophobique, industriel et fonctionnel effectivement très proche d’Alien. Impossible donc d’ignorer l’évidente et écrasante ombre de celui-ci sur Outland, mais après tout, peu importe : le classique de Peter Hyams tient quand même droit dans ses bottes, grâce au savoir-faire de son auteur, au charisme de Sean Connery et à une ambiance qui à son tour a fait des petits. Stanley Kubrick fut si épaté par les scènes les plus techniques du film qu’il appela directement Hyams pour lui demander concrètement comment il s’y était pris – et il donnera tout naturellement sa bénédiction à son interlocuteur pour 2010. James Cameron, devenu plus tard un ami personnel de Peter Hyams (qu’il cooptera au poste de réalisateur pour La Fin des temps), a quant à lui recyclé dans Aliens certaines techniques d’effets spéciaux et designs de Outland, un de ses films préférés. Dans l’espace, personne ne laisse se perdre de bonnes idées.
Un article de Philippe Guedj paru initialement dans le Rockyrama 24 - Alien.