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En 1993 Demolition Man avait tout pour plaire

Film hybride à la croisée de la SF, de l’actioner et de la comédie, Demolition Man avait tout pour surprendre le public de 1993.
En 1993 Demolition Man avait tout pour plaire

Film hybride à la croisée de la SF, de l’actioner et de la comédie, Demolition Man avait tout pour surprendre le public de 1993. Aujourd’hui, le film de Marco Brambilla – devenu depuis un artiste multimédia réputé, au point d’être choisi par Kanye West pour réaliser la vidéo de Power en 2010 – jouit d’une réputation méritée de film culte bourré de répliques coups-de-poing : « Tu vas regretter ça le restant de ta vie, c'est-à-dire deux secondes ! »... « Be well !!! ».


Demolition Man, c’est d’abord une affiche, une rencontre au sommet : Stallone vs Snipes. En 1993, le match a de quoi faire saliver : il oppose l’une des plus grosses action stars des 80’s à l’une des nouvelles coqueluches d’Hollywood (découverte chez Spike Lee). Stallone, quarante-sept ans, vient juste de faire un come-back remarqué avec Cliffhanger, thriller enneigé de Renny Harlin ; il était temps car depuis Tango et Cash en 89, il n’avait plus brillé au box-office. Snipes, à peine trente ans, a le vent en poupe depuis le carton des Blancs ne savent pas sauter et Passager 57. À l’origine, le script se destinait à un duo tout aussi alléchant – bien qu’un poil plus nanardesque –, Van Damme / Seagal, alors tous les deux au sommet de leurs carrières respectives. L’histoire ne dit pas qui aurait fait le flic et qui aurait fait le maniaque… Une fois Stallone associé au projet, on opta un temps pour Jackie Chan en Némésis, mais ce dernier refusa d’interpréter un dangereux criminel, de peur de choquer ses plus jeunes fans.


Aux manettes, on retrouve le légendaire Joel Silver (Commando, L’Arme fatale, Die hard, etc.) qui pour l’occasion donne sa chance à un débutant venu de la pub, Marco Brambilla. Ne manque plus qu’un atout charme pour donner la réplique à Sly ; ce sera la quasi-inconnue Sandra Bullock, une belle brune fraîche et athlétique. Si raconté comme ça, tout semble aller de soi, le film a pourtant de quoi surprendre : un inconnu à la tête d’un budget considérable (80 millions, environ), une star vieillissante dans une fable futuriste mêlant action et humour, et surtout un script plutôt assaisonné – pour ne pas dire piquant. 


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Et dès le plan d’ouverture, le ton est donné. Un travelling aérien passe sur le panneau Hollywood surplombant Los Angeles. Mais le panneau est en feu, et derrière lui, la ville entière semble au bord de l’implosion. L’année, 1996. La Cité des anges est devenue un véritable enfer terrestre. Comme si les émeutes de 92, la peur du Big One et cette fin de siècle anxiogène avaient rendu fou L.A. Heureusement, il reste un homme qui n’a pas baissé les bras face à ce merdier sans nom. John Spartan. Un flic coriace qui n’a peur de rien. Face à lui, donc, le plus fou des sociopathes du quartier, Simon Phoenix. Pour le rôle, Snipes s’est offert une jolie salopette et un beau marcel orange, sans oublier un rapide passage chez le coiffeur pour s’essayer au blond peroxydé – chouette idée que reprendra à son compte le basketteur Dennis Rodman, grand fan du film. Spartan, en patron, parvient enfin à mettre hors d’état de nuire son ennemi juré, mais en laissant sur le carreau trente victimes innocentes. Les deux sauvages sont condamnés à une lourde peine de prison, mais pas n’importe laquelle : une prison ultra-moderne dans laquelle ils seront cryogénisés avant d’être rééduqués en vue d’une éventuelle réinsertion. High concept.


Bien sûr, quelque chose va merder, et quand Phoenix parvient miraculeusement à s’échapper en 2032, le nouveau « chétif » du coin (rebaptisé San Angeles) autorise la libération de Spartan pour remettre Phoenix au trou. Seulement, les temps ont changé. Et si Phoenix se fait plutôt bien à la transition, Spartan, lui, a du mal à intégrer les dernières mises à jour. Et c’est là que le film est le plus réussi. Dans les séquences de comédie voyant Stallone découvrir la nouvelle organisation de la ville concoctée par un certain Raymond Cocteau – à noter que comme Cocteau, Spartan et consorts, tous les personnages principaux du film ont un nom faisant référence à la mythologie ou à la culture du vingtième siècle –, gourou inquiétant vêtu d’un kimono au goût douteux. Car Los Angeles a bien changé. Fini la violence et les conflits, désormais la ville est un havre de paix végétarien où le mot meurtre appartient aux livres d’histoire et la moindre insulte est passible d’une amende salée. Un sacré choc pour Spartan, adepte des punchlines et mangeur de viande invétéré. Stallone, lui-même en passe de devenir une antiquité en ce début des années 90, joue le rôle à la perfection en se laissant aller régulièrement à un langage des plus fleuris.


Et au détour d’une réplique, lorsqu’est évoqué le souvenir du Président Schwarzenegger, Sly ne peut s’empêcher de s’étouffer de surprise, et nous avec. On pense alors inévitablement à un autre film de l’année 1993, Last Action Hero, dans lequel Jack Slater (Schwarzy) faisait l’éloge de Stallone pour sa performance dans…Terminator. On sait que les deux hommes se sont toujours amusés de la rivalité qui les a opposés pendant plus d’une décennie, cependant, ici, le parallèle est riche de sens. Dans les deux films, on retrouve nos deux héros perdus dans un monde qui n’est plus le leur. Et dans les deux cas, ils doivent s’adapter à leur nouvel environnement. La métaphore est belle car en ce début des 90’s, je l’ai dit, les anciennes gloires des 80’s commencent à connaître leurs premiers revers. D’ailleurs, les deux films seront des semi-réussites – ou semi-échecs, à vous de voir – au box-office. Les gros muscles, les réparties bas du front et les insultes en rafales ne semblent plus aussi vendeurs qu’à la décennie précédente. Schwarzy, voyant le vent tourner, tentera une reconversion réussie dans la comédie (ses trois films avec Yvan Reitman), Stallone, lui, ratera méchamment le virage (le remake d’Oscar ou Arrête ou ma mère va tirer !).


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Reste qu’aujourd’hui, à l’instar du film de McTiernan, Demolition Man demeure une joyeuse satire du cinéma musclé dont il est un des derniers joyaux. Comment ne pas voir dans la société futuriste décrite par le film, une évocation du cinéma de divertissement à venir (celui d’aujourd’hui, en gros). Pas de sang, pas d’insultes, pas de nudité. Les trois fondements du cinéma burné d’hier, aujourd’hui remis au placard jusqu’à nouvel ordre – le même phénomène a été observé dans l’industrie du catch, et plus particulièrement à la WWE, où avec quelques années de décalage, nous sommes passés de l’Attitude Era, riche en sang et en matchs hardcore, à la Kid Era, expurgée de la moindre trace d’hémoglobine et offrant trop souvent des combats bien fades et timorés. Dans les années 80, les bad guys avaient la verve généreuse (Bennett dans Commando, par exemple) et les héros ne se refusaient jamais un bon mot au moment de dessouder un assaillant ; il n’était pas rare non plus, au détour d’une poursuite, de croiser une gonzesse complètement à poil ou même, encore mieux, un couple occupé à procréer au fin fond d’un motel crasseux.


Aujourd’hui, on a juste le droit à Robert Downey Jr qui fait son show à longueur de pellicule – ou de disque dur, devrais-je dire – pour le plus grand bonheur des enfants et des fanboys. Finis les insultes et les nibards en pagaille. Même la sacro-sainte scène de sexe réglementaire qui fit les beaux jours des magnétoscopes et dont les porte-étendards s’appelaient Sharon Stone, Kim Bassinger ou Demi Moore a été mise aux oubliettes. Tout au plus a-t-on le droit à une Scarlett Johansson maquillée en actrice porno de seconde zone dans sa combinaison moulante à peine bonne à réveiller un insomniaque.


Comme dirait Jack Slater – que ne contredirait sûrement pas John Spartan –, il y a de quoi se la prendre et se la mordre !


Aubry SALMON

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