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Thelma et Louise : une œuvre presque parfaite

Ridley Scott trouve un écrin parfait pour célébrer la toute-puissance des femmes. Et pourtant, ce n’était pas gagné.
Thelma et Louise : une œuvre presque parfaite

L’une des plus belles réalisations de Ridley Scott est aussi, paradoxalement, l’une de ses moins commentées pour ses qualités artistiques, comme si elle ne faisait pas intégralement partie de la riche filmographie du réalisateur anglais. Bulle de respiration au sein d’une carrière souvent lourde en sous-textes, politiques, humains, métaphoriques, Thelma & Louise est plus qu’un road movie, bien plus que « le film qui révéla Brad Pitt », et peut-être l’une des œuvres les plus personnelles de Scott. Mais aussi un échec.


« Thelma et Louise reste dans l’inconscient collectif un film révolutionnaire qui a marqué son époque, un film qui a un “avant” et un “après”. Aucun tour d’horizon des films sur l’empowerment des femmes (empowerment! Ça ne vous donne pas un coup de nostalgie des années 1990?) ne serait complet sans lui. Mais Thelma et Louise est-il aujourd’hui davantage qu’un jalon du féminisme ? Est-ce un jalon du féminisme, d’ailleurs ? Est-ce même un bon film ? ». Dana Stevens, sur le site Slate, en 2011, pose ces questions à l’occasion de la sortie en Blu-ray célébrant les vingt ans du long métrage. On laissera à chacun et chacune le choix de ses opinions. Seule certitude, Thelma et Louise sont les dignes sœurs d’Ellen Ripley, du Lieutenant Jordan O'Neil et d’Elizabeth Shaw – des héroïnes, des guerrières. Avec ce classique de 1991, plutôt mal accueilli à sa sortie, Ridley Scott trouve un écrin parfait pour célébrer la toute-puissance des femmes. Et pourtant, ce n’était pas gagné.


Car Ridley ne devait pas mettre en scène le scénario de Callie Khouri (son premier, pour lequel la native de San Antonio, Texas, recevra un Oscar). À l’époque, bien davantage connu pour Blade Runner et Alien, deux films peu ancrés dans le réel, Khouri ne voit pas d’un bon œil la prise en charge de Scott. À ce poste, beaucoup de noms sont avancés : Brian De Palma, John Carpenter et Sidney Lumet sont tous à un moment ou à un autre associés au projet. Richard Donner se montre également très intéressé. Khouri elle-même devait faire de Thelma et Louise son tout premier film, avec un budget réduit, et un traitement proche du documentaire. Holly Hunter et Frances McDormand sont partantes, mais passent finalement leur tour. Quand le papa de Legend rejoint le projet, Jodie Foster et Michelle Pfeiffer se placent, mais doivent renoncer face à une post-production qui s’éternise. Goldie Hawn et Meryl Streep prennent place, désireuses de travailler ensemble (ce qu’elles feront dans La Mort vous va si bien en 1992), mais la future grande ennemie déclarée de Donald Trump insiste pour que Thelma ou Louise survive. D’ailleurs, Scott lui-même hésite sur ce point. Il imagine une fin alternative dans laquelle Louise pousse à la dernière seconde Thelma en dehors de la Thunderbird. C’est Geena Davis qui insistera pour que les deux meurent.

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Dans une filmographie largement dominée par les icônes masculines, il serait facile d’oublier, ou de volontairement mettre de côté, le fait que Ridley Scott, en 1977, fit du héros d’Alien une héroïne, chose peu commune pour le cinéma d’action hollywoodien d’hier comme d’aujourd’hui. La faire survivre (alors même qu’une scène fut imaginée durant laquelle, en toute fin de film, Ripley se faisait arracher le crâne par la bête) est également une déclaration : la femme est l’égal de l’homme. Elle est forte, elle est badass. Elle est immense. Quand J. J. Abrams, en choisissant Daisy Ridley pour Le Réveil de la Force, proclame exactement la même chose plusieurs décennies plus tard, les réactions ne se font pas attendre (mépris, sexisme, étonnement – peu importe), preuve qu’il y a toujours quelque chose d’un peu pourri, en tout cas rétrograde, au sein du royaume du cinéma.


Continuer d’aborder Thelma et Louise comme un manifeste féministe en 2017 est un aveu d’échec, non cinématographique (on le considère aisément, ici, comme un chef-d’œuvre) mais social. Tout un chacun, dans un monde parfait, parlerait jeu, cadrage, lumière, émotion, passion. Pas du statut de ses héroïnes, ni de ce qu’elles représentent au sein d’un monde où l’homme continue de manifester et d’exercer sa domination. Seul en son univers et tristement rare, ce cinéma est plus que du cinéma. Il ne devrait pas en être ainsi, et nous sommes responsables.


Nico PRAT

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