Happy Meal : les pancakes de l’Oncle Buck
À l’image du rôle-titre, le bien nommé John Candy, l’Oncle Buck est un film généreux, énorme et gourmand. Les pancakes géants du tonton en témoignent.L’Oncle Buck n’est pas le meilleur John Hughes, ça non. Mais c’est certainement le plus enfantin et apaisé. À l’image du rôle-titre, le bien nommé John Candy, c’est un film généreux, énorme et gourmand. Les pancakes géants du tonton en témoignent.
John CANDY. Rien que le nom ouvre l’appétit. Candy, c’est cet auguste acteur à la bonhomie naturelle qui a discrètement traversé notre enfance, de Maman j’ai raté l’avion à Rasta Rockett. Son physique d’hédoniste, ses maladresses de grand gamin et son côté gentiment beauf ont fait de lui le chouchou de l’Amérique des années quatre-vingt. Mais l’acteur a beau en imposer, son jeu est plus subtil qu’il n’y paraît, réjouissant les amateurs de slapstick tout en leur crevant le cœur - il suffit de voir Un ticket pour deux de John Hughes pour le comprendre. Nul hasard, c’est justement dans l’univers du confident des ados que l’on se rend aujourd’hui, direction L’Oncle Buck.
L’avant-dernier film en tant que réalisateur du papa de Breakfast Club est une efficace comédie « pour toute la famille » mais c’est avant tout une ode à « Big John ». En adulte paumé, addict à la malbouffe, à la fainéantise et aux mauvaises émissions télé, il s’avère plus irresponsable que les enfants dont il va assurer la garde l’espace d’un week-end. Protectionniste maladif et joueur de bowling balourd, glandeur invétéré et amoureux maladroit aux relents machos, Buck n’est pas très sympa. Mais il est impossible de le détester. Ses imperfections sont sa force. Il est simplement trop humain. Signe de cette humanité ? Sa passion pour ce qui remplit les ventres. Il le démontre en préparant aux sales gosses le plus inoubliable petit-déj’ d’anniversaire de tout Chicago : une assiette de pancakes géants surmontés d’un énorme morceau de beurre, servis avec une pelle à pain et agrémentés de trois litres de sirop d’érable. Des crêpes qui donnent l’impression d’avoir été pensées par Pantagruel ou Fred Pierrafeu.
Avez-vous remarqué à quel point les pancakes recouvrent nos souvenirs de pop culture ? Les nombreuses allusions gustatives saupoudrant Pulp Fiction. Les pancakes aux myrtilles de The Big Lebowski. Les crêpes-bonshommes du psychotique Pee Wee dans le film éponyme de Tim Burton, servies via sa fantasque « Breakfast Machine ». C’est aussi ce que s’enfile non sans obscénité le Bill Murray d’Un jour sans fin. Sans omettre les centaines de pancakes goulûment avalés au gré d'innombrables sitcoms. Dans L’Oncle Buck cependant, l’alpha de la culture canadienne dépasse le simple stade de figurant pour fringale. Si les jeunes de John Hughes paradent sans toujours s’assumer, l’oncle, lui, cuisine ce qu’il est. À l’instar de ses pancakes, Buck est trop gros pour l’étroitesse du réel. Sa démesure, il l’assume fièrement au sein d’une société policée. Face aux peine-à-jouir, il rétorque par l’orgiaque. Il est curieux de se dire que son costume était initialement prévu pour Danny DeVito. Pourtant, ces pancakes ont le goût et l’odeur de John Candy. Dès qu’il joue, l’acteur dévore l’écran, met la main à la pâte et offre tout au public. C’est à la fois son génie et son défaut : ce besoin organique de taper dans le too much et le bigger than life, quitte à attiser la réticence de l'intelligentsia. La critique du New York Times Janet Maslin disait de Candy que l’on ne pouvait ignorer sa « bulldozing presence ». Le colosse canadien affirme cette force physique comme le faisaient les grands noms du muet.
Oliver Hardy de la génération Amblin, son amour pour la nutrition anti-healthy, reproduction live des fantasmes gastronomiques d’un Homer Simpson, suscite inquiétude et dégoût. L’Oncle Buck est altruiste et cinglé, fondant et encombrant, à l’image de ces irréels pancakes de cartoon dont les effets sur l’organisme sont indéniablement nocifs. On titillait la crise de foie à confronter cet amas de pâte à nos papilles gustatives, tout comme on risque un coup de hache à draguer la nièce du tonton. Buck attribue à sa pétaradante Mercury Marquis Brougham le surnom de The Beast. Mais la Bête, c’est lui, tantôt pervers dément tantôt monstre sympa issu d’une production Pixar. Ces pancakes sont en ce sens un plaisir d’enfance, à l’instar des bols de céréales-alphabet. Fun fact, Candy découvre justement dans ce film le bagou du gamin Macaulay Culkin. Ce dernier n’est pas encore Kevin McCalister, l’adepte génial des glaces sundae et de pizzas high size.
Amusant de se dire que le vrai « club ptit-déj’ » de John Hughes est celui-ci : une sublimation foodporn des crêpes qui ravissent nos matins somnolents. Certains ont essayé de leur donner vie. Le chef Dave Watts du Cotswold House Hotel (Royaume-Uni) les prépare avec des poêles à paella et recommande de ne pas lésiner sur les aliments riches : 200g de sucre en poudre, 450ml de lait, 100g de beurre, 1kg de fraises, 200g de crème fraîche ou de glace à la vanille, beaucoup de sirop d'érable, un zeste de citron et une quantité non négligeable d’œufs. Si le dessus est bien doré, le pancake est réussi. Autant vous dire qu’il faut un fin doigté pour rendre l’ensemble digeste. Alors que les plus intrépides s’exercent aux « pancakes Oncle Buck », plusieurs restos rendent hommage à celui qui l’incarne. Chez Zeeks Pizza à Seattle, on vous propose la pizza John Candy. Pepperoni, bacon canadien, saucisse italienne. Du côté du diner canadien Jack & Lois, vous pourrez déguster le John Candy Burger, composé d’un morceau de boeuf de 225 grammes, d'une tranche de bacon bien relevée, de cheddar fondu et de salade de chou. Miam.
Si pour nous Candy restera à jamais le roi de la polka Gus Polinski, sa performance dans la satire The Great Outdoors (1988) a marqué les esprits outre-Atlantique. Lors du climax, Candy becte sous les yeux d’un cuisinier sanguinaire une énorme pièce de bidoche intitulée « le Old 96’er » - s’il l’achève, le repas est gratuit. C’est sa relation d’amour/haine à la bouffe qui s’allégorise, à la fois jouissance burlesque et torture horrifique. Cet appétit morbide causera sa perte. L’acteur disparaît des suites d’une crise cardiaque à Mexico. Avant de mourir, il aurait désiré deux choses : manger un plat de spaghettis et retrouver sa famille. Aujourd’hui, John Candy nous a quittés, mais l’Oncle Buck, non. Il a eu droit à son remake indien (Uncle Bun en 1991) et sa série (sur ABC). Impossible d’en parler sans être submergé par les douces senteurs des pancakes mielleux.
Clément ARBRUN