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ENNIO MORRICONE : Death Rides A Horse

Quoi qu’en pense le principal intéressé, c’est bien pour ses musiques de western que le nom d’Ennio Morricone résonne aujourd’hui aux oreilles d’un grand public, souvent peu curieux de sortir des sentiers battus
ENNIO MORRICONE : Death Rides A Horse

Quoi qu’en pense le principal intéressé, c’est bien pour ses musiques de western que le nom d’Ennio Morricone résonne aujourd’hui aux oreilles d’un grand public, souvent peu curieux de sortir des sentiers battus. 


Pourtant, en 60 ans de carrière et quelques 500 partitions, le compositeur n’aura participé qu’à une petite trentaine de westerns (spaghetti pour la plupart, ce nom dédaigneux donné par les américains à un genre qui tournait en dérision tout un pan de la culture locale), dont la majorité pour les 3 Sergio les plus célèbres du genre : Leone (8 films en comptant ‘’Mon Nom est Personne’’ et ‘’Un Génie, 2 associés, une cloche’’ qu’il produit), Corbucci ( 7 films dont ‘’Navajo Joe’’ sur lequel il se fait appeler Leo Nichols, ou ‘’Le Grand Silence’’), et Sollima ( 3 films dont ‘’Colorado’’). Sur le sujet, même s’il compose la BO de ‘’Sierra Torride’’ en 70 pour Don Siegel, il refusera de collaborer avec Clint Eastwood par fidélité à Leone. Pour revenir en 2016 chez un certain Tarantino, prendre un Oscar au passage pour ‘’Les 8 Salopards’’ et boucler la boucle du genre en beauté. Entre temps, on l’aura compris, l’essentiel de sa carrière se fera loin des ponchos et du désert de Tabernas. 


Le jeune Ennio est alors trompettiste dans la réputée académie de musique Sainte Cécile de Rome et rêve de composer des pièces et de la musique classique, lui qui cite Schönberg, Ligeti, Stravinsky ou Boulez et qui empruntera plus tard à Wagner (‘’Mon Nom est Personne’’) ou Bach (‘’Le Clan des Siciliens’’). Mais à ses débuts, il faut bien manger, et se contenter de faire quelques orchestrations pour la télévision ou des chanteurs pop de maison de disques. Morricone développe alors une certaine honte de son travail, lui qui rêve de déconstruire les mélodies ou de dodécaphonie. Il joue dans un orchestre de jazz, puis bosse avec un groupe avant-gardiste (Nuova Consonanza) avant de rencontrer Luciano Salce pour qui il fera 11 films. Le premier (‘’Il Federale’’ en 1961) marque les débuts sur grand écran de celui qui se fera appeler quelques années plus tard : Il Maestro. 


Il met alors son ambition de musique absolue entre parenthèse, et s’il écrit une centaine de pièces, de concertos ou de messes de 1946 à 2013, c’est pour le 7e art qu’il passera désormais le plus de temps enfermé dans son studio. Si les années 60 résonnent au son des colts, il aborde également des registres plus légers, comédies italiennes, films d’aventures ou thrillers, notamment pour des réalisateurs italiens. Sa grande culture classique lui permettant de s’adapter à tous les styles, il ne se contente pas de produire, mais cherche et expérimente en permanence, cassant rapidement les codes de la bande originale symphonique et illustrative, encore très prégnante à Hollywood (héritage des maîtres Alex North, Max Steiner, Dimitri Tiomkin ou Bernard Herrmann), avant que la nouvelle garde n’arrive : Jerry Goldsmith, John Barry, George Delerue, Maurice Jarre, François de Roubaix… 


Mais le travail de Morricone sur les westerns de Leone détonne et l’utilisation d’instruments peu communs (guimbarde, harmonica, cloches, flûte de pan, carillon, fouet ou celesta) emporte le genre dans de nouvelles sphères. En 66, les guitares électriques et les imitations de coyote pour personnifier les protagonistes du ‘’Bon, La Brute et Le Truand’’ imposent définitivement son auteur au cœur de l’industrie. Des dizaines d’élèves appliqués déboulent, illustrant avec plus ou moins de talent les 400 westerns spaghettis générés par Leone. Ils s’appellent Armando Trovajoli, Piero Umiliani, Luis Bacalov, Riz Ortolani, Francesco de Masi, les frères De Angelis ou Reverberi…Tous lui doivent beaucoup, mais sans jamais atteindre son génie ni son succès. 


Morricone lui, pense que l’étude de la musique et de la composition est la clé ultime, pour ne pas être qu’un plagieur. Pour lui, la voix est le premier des instruments et c’est pourquoi il aime introduire des chœurs, féminins et masculins du Cantori Moderni d’Alessandro Alessandroni, ce professionnel du sifflement qui illustrera nombre de partitions légendaires. Dans les fidèles, outre Bruno Nicolaï qui dirige et co-compose parfois, Edda Dell’Orso est cette voix magistrale qui porte une quarantaine de partitions écrites par le Maître et dont les moments de grâce se nomment ‘’Ecstasy Of Gold’’ (ce final explosif du ‘’Bon…), ‘’Il était Une Fois dans l’Ouest’’, ‘’Metti Una Sera a Cena’’ ‘’Il était une fois en Amérique’’ ou ‘’Endless Game’’, pour des scènes à jamais bouleversantes. En 2011, Danger Mouse l’invite à participer à son projet ‘’Rome’’, hommage avoué à Morricone et à ses musiciens. 


Au taquet dans les années 70, Morricone compose plus de 20 bof par an en 71 et 72 ! Il aborde le giallo aux côtés du maître du genre Dario Argento (5 films), les films érotiques, les thrillers ou les comédies avec le même appétit. Il sait se faire psychédélique (Citta Violenta, Escalation, Ménage à L’Italienne ou Spogliati, Protesta, Uccidi !), jazzy, expérimental ou pop (La Donna Invisible, Grand Slam ou la série de la Cage aux Folles…), composant même l’hymne du mondial 78 de football ! Jusque-là réfractaire à bosser avec des américains, il refuse de s’installer à Los Angeles, privilégiant le travail avec ses compatriotes italiens (Bertolucci, Pasolini, Bellocchio, Giuliano Montaldo ou Maurizio Bolognini pour qui il fera 15 films !) ou des réals français (Henri Verneuil, Francis Girod ou Christian Gion). En 78, après sa première nomination aux Oscars pour ‘’Les Moissons du Ciel’’ de Terrence Malick, il collabore enfin avec une poignée d’anglo-saxons, croisant la route de Samuel Fuller, John Carpenter (et sa partition flippante aux synthés pour ‘’The Thing’’), Richard Fleischer et son inoubliable ‘’Kalidor’’en 85, Polanski, Friedkin ou De Palma (avec le point culminant ‘’Les Incorruptibles’’ en 87). Entre temps, ‘’Mission’’, du britannique Roland Joffé lui apporte une nouvelle consécration populaire. Son grand regret ? Ne pas avoir pu travailler avec Kubrick. Qui l’approche pourtant pour ‘’Orange Mécanique’’, mais il est trop occupé…Il manquera également le ‘’Dune’’ de David Lynch, même si l’on doute que le film eut été meilleur sans Toto…

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Tombé un peu dans l’oubli dans les années 90 et 2000, mais toujours très productif, il livrera surtout ‘’Cinema Paradiso’’ ou ‘’Malena’’ pour Giuseppe Tornatore. Celui avec qui il a collaboré 13 fois vient d’ailleurs de lui consacrer un film documentaire, ‘’Ennio The Maestro’’, dont la sortie est prévue le 28/08 en Italie ! On ne pouvait pas imaginer meilleur timing. Durant ces années-là, Morricone se consacre pas mal à la télévision locale pendant qu’un certain Tarantino, érudit de la musique de film, s’amuse à distiller des titres obscurs du maître dans ses bo mythiques. Morricone n’est guère friand de la pratique, mais accepte de collaborer avec QT pour une dernière pièce importante (Les 8 Salopards) d’une discographie inégale et inégalée, mais qui reste l’œuvre d’un artiste complet, intègre et passionné. Son travail résonne dans toute la pop culture pop et ciné, de Craig Armstrong à Hans Zimmer, en passant par Scott Walker, Air, Woodkid, Radiohead, Goldfrapp, Calexico ou Dionysos. Metallica rentre même sur scène sur Ecstasy of Gold…


Peu aimable avec les artistes pop (il a bossé avec Mina, Mireille Mathieu, Luigi Tenco ou Demis Roussos), on se souvient des projets avortés avec IAM ou Morrissey, son humeur changeante ou ses tarifs exorbitants ayant refroidis les plus valeureux. De Sad Hill à EPMD, de Jay Z à Mc Solaar en passant par Eminem, la planète rap s’est abreuvée goulument à la source dans les années 90, avant que les samples ne soient un peu mieux contrôlés par les ayants droits. 

Réputé comme bougon et peu amène à raconter sa vie à des journalistes, celui qui aimait les échecs, les pâtes au pesto de sa femme Maria ou l’AS Rome, préférait que sa musique parle pour lui, même si celle qu’il aurait voulu que l’on entende ne sortait jamais des salles de concert où il menait les orchestres d’une main de maître, mettant un point d’honneur à ne jouer que ses œuvres. En 2015, il est en tournée mondiale avec 75 musiciens de l’Orchestre Symphonique National tchèque et autant de choristes. My Life in Music est une plongée vertigineuse et vibrante dans 60 années de titres qui nous ont aidé à grandir et à aimer un peu plus le cinéma et la musique au cinéma, dont il restera sans nul doute la référence ultime (Nino Rota est moins populaire, John Williams un peu moins aventureux…). En plus des titres mythiques déjà évoqués, Morricone joue des pépites oubliées : de ‘’La Bataille d’Alger’’ à ‘’Queimada’’, en passant par ‘’1900’’, ‘’Enquête Sur Un Citoyen au-dessus de tout soupçon’’ ou ‘’Maddalena’’. 


La puissance d’’’Ecstasy of Gold’’ en point d’orgue, des frissons sur tout le corps, on sait que l’on vient d’assister à un morceau d’histoire, et que ce petit homme à lunettes, forcément classieux, ne sera pas toujours éternel. Contrairement à sa musique. 


Son hit, ‘’Chi Mai’’, bande son du ‘’Professionnel’’ de Lautner, au moment où Bébel est au sommet, puis utilisé dans la légendaire pub Royal Canin est en fait un morceau composé en 71 pour ‘’Maddalena’’ un film érotique à la bo parfaite ! Coutumier du fait, Morricone ne se prive pas pour piocher dans ses tiroirs des morceaux rejetés, refusés ou oubliés pour les proposer à d’autres. D’où parfois cette fâcheuse impression que certaines compositions se ressemblent furieusement.


Mais ce qui fait son succès, d’après son ami Luis Bacalov (Django), c’est « qu’il a réussi à combiner ingéniosité, talent et simplicité », lui qui ambitionnait pourtant une musique complexe et moins commerciale. Aujourd’hui, malgré lui, malgré les westerns, malgré les concessions, Ennio Morricone est un monument, un géant parmi les géants de la musique populaire moderne. Il reste John Williams, Quincy Jones (qu’il apprécie beaucoup) ou Lalo Schifrin comme gardiens d’un temple fragile que les nouveaux décideurs d’Hollywood ont mis à mal depuis longtemps. La musique n’a jamais été une priorité pour eux, alors que l’on se souvient souvent d’un film grâce à elle !


Les hommages vont pleuvoir (l’homme n’a reçu qu’un Oscar d’honneur en 2007…avant le Tarantino donc…), les compilations vont se vendre à la pelle, en espérant que certains puissent enfin fouiller dans les entrailles de cette œuvre colossale, que des petits labels italiens ou espagnols (Gdm, Dagored, Beat Music, Cinevox ou FSM) rééditent avec passion depuis des années. La fausse intégrale de 18 cd sortie l’année dernière ne comblera pas tous les trous, mais chacun pourra y retrouver un son, une chanson, une atmosphère pour faire de la musique de Morricone la bande son idéale de sa vie.



Texte par Fabrice Bonnet (@toiletteintime)

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