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SHOWGIRLS : VICES ET VERSA

Film fascinant, dont l'aura ne cesse de grandir, le Showgirls de Paul Verhoeven fait l'objet d'un documentaire consacré à son accueil désastreux et sa réhabilitation progressive aux Etats-Unis.
SHOWGIRLS : VICES ET VERSA

Film fascinant, dont l'aura ne cesse de grandir, le Showgirls de Paul Verhoeven fait l'objet d'un documentaire consacré à son accueil désastreux et sa réhabilitation progressive aux Etats-Unis.


Au début des années 90, Hollywood a le feu au cul. Sur la lancée des succès de 9 semaines 1/2 ou Liaison Fatale lors de la décennie précédente, les thrillers érotiques sont devenus un genre à part entière, dont le roi est un scénariste chevelu, nommé Joe Eszterhas. En quelques scripts, l'auteur de Basic Instinct, Sliver et Jade est devenu le maître du high concept sexy, l'alter ego de Shane Black dans la catégorie scénariste bankable. De son côté, Paul Verhoeven, exilé à Hollywood depuis 1985, vient d'enchaîner trois cartons, Robocop, Total Recall et le susnommé Basic Instinct. Après un projet avorté sur les croisades avec Schwarzy, Verhoeven et Eszterhas se retrouvent pour lancer la production d'un film narrant l'ascension d'une jeune danseuse à Las Vegas. La libido (et le portefeuille) des executives de la firme Carolco s'emballe. Doté d'un budget de 45 millions de dollars, ce Showgirls promet d'en mettre plein les mirettes.


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Exit les thrillers sophistiqués et les héroïnes hitchcockiennes, Paul & Joe veulent faire du sale. Le projet : sortir un film NC-17, soit interdit aux moins de 17 ans pour cause de nudité et de sexe, un portrait au vitriol de l'ambition dévorante érigé en modèle de vie. Grâce à ses réussites précédentes, le cinéaste hollandais a carte blanche, d'autant que le producteur Mario Kassar a la tête ailleurs. Carolco prend l'eau de toutes parts sur le tournage de L'île aux pirates de Renny Harlin. Il ne le sait pas encore mais cette liberté totale, dont Verhoeven jouit sans entraves, va draper le linceul du film.


Popularisée par son personnage de Jesse Spano dans la sitcom Sauvés par le gong, Elizabeth Berkley chipe le rôle de Nomi Malone à d'autres jeunes actrices en devenir comme Charlize Theron, Angelina Jolie ou Jennifer Lopez. Sur le plateau, Verhoeven lui demande de jouer staccato, multipliant les mouvements brusques, l'agressivité chevillée au corps. Ce corps que Nomi Malone utilise comme une arme de séduction autant que de destruction, elle qui baise comme d'autres se battent. Autour de cette intrigante excessive, Eszterhas adjoint une multitude de Rastignac dégénérés, de la vedette de la revue (Gina Gershon), campy et hautaine, au cynique directeur des divertissements du palace où se déroule le show (Kyle McLachlan).

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A tous, Paul Verhoeven bâtit un écrin de néons et de paillettes, un mirage vegasien badigeonné de gloss, d'une vulgarité insondable. Prisonniers de leurs apparences, ses personnages s'y mirent comme dans un miroir à double fond, celui que tend le provocateur néerlandais à l'Amérique. Le reflet est sans doute trop violent à accepter pour celle-ci : outre-Atlantique, le rejet critique et public de Showgirls est viscéral. Il ne rapporte que 20 millions de dollars au box-office US et remporte le titre de pire film aux Razzie Awards, récompense que Verhoeven viendra chercher avec une étonnante bonhomie. La presse américaine se délecte de ce ratage apparent. « Tellement mauvais que ça en devient drôle » s'impose comme le consensus autour du film.


C'est cette réception univoque que décortique le malicieusement titré You don't Nomi, chapitré en trois parties. Ni making-of ni analyse théorique, le documentaire de Jeffrey MacHale s'intéresse aussi à l'héritage de Showgirls, réapproprié par une communauté de fans qui en connaît les dialogues par coeur, transformé en comédie musicale ou réévalué à l'aune de ce qu'il préfigurait : le règne du narcissisme, la télé-réalité, les stars jetables... Egrenant de judicieux parallèles avec le reste de la carrière de Verhoeven, You don't Nomi a le mérite de ne pas tomber dans l'hagiographie de son auteur, sacré roublard quand il s'agit d'adapter son discours sur le film au public auquel il s'adresse.


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Un de ses aspects les plus émouvants est sans doute l'évocation de la carrière d'Elizabeth Berkley, torpillée par l'échec du film, et ce, malgré sa performance exceptionnelle. Le dommage collatéral le plus visible et le plus triste de ce projet, que l'actrice reste l'une des rares à continuer de défendre. Le documentaire montre à quel point le All about Eve façon Verhoeven reste une matière malléable, que chacun s'approprie selon son point de vue : pour certains, une version sexy de The Room de Tommy Wiseau, pour d'autres, un film furieusement queer ou, au contraire, une vision misogyne du sexe par deux barons du Hollywood d'alors, « ayant pris trop de coke ». Cette ambivalence des opinions à l'égard de Showgirls reste sans doute la preuve la plus flamboyante de sa pertinence.


You don't Nomi (UFO Distribution), disponible en VOD


Marc Arlin