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Bernard Szajner, le magicien souterrain

Bernard Szajner. Wolf. Zed. Z. Joe Veil. The (Hypothetical) Prophets. Tant de noms pour un seul humain. Mais Bernard est-il vraiment humain ? Artiste plasticien de 76 ans, créateur de lightshows, de robots et d’instruments.
Bernard Szajner, le magicien souterrain

Bernard Szajner. Wolf. Zed. Z. Joe Veil. The (Hypothetical) Prophets. Tant de noms pour un seul humain. Mais Bernard est-il vraiment humain? Artiste plasticien de 76 ans, créateur de lightshows, de robots et d’instruments dont la première harpe laser qu’il a détruite par la suite (« Je la trouvais horriblement spectaculaire, elle détournait l'attention du public qui contemplait bouche-bée l'instrument, oubliant d'écouter la musique »). Il collabora avec tout ce beau monde : Magma, Gong, The Who, Serge Gainsbourg, Marc Collin, Pierre Henry, Olivier Messiaen, Klaus Schulze, Howard Devoto, Stomu Yamashta ou encore Carl Craig. La liste est longue. Il composa cinq albums entre 1979 et 1983 puis arrêta la musique pour se consacrer aux arts visuels, à la scénographie et au théâtre. Depuis, il a repris la création musicale en composant notamment plusieurs performances et installations. Pour nous il a composé une revisite d’un des morceaux de son album Visions of Dune et répondu à quelques questions.


Interview par Jean Granon


• Pour découvrir l’univers de Bernard Szajner en même temps que vous lisez l’interview, c’est ici

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J : Visions of Dune est sorti en 1979, c’est ton premier album. Comment est née ton envie de faire de la musique et surtout de la réaliser aux yeux du public par ce projet spécial ?

B : Impossible pour moi de ne pas tenter de "mettre des sons" sur le magnifique livre de Frank Herbert, empli de connotations spirituelles. J’y ai vu immédiatement des personnages, des lieux et des situations. C’était insupportablement tentant pour une toute première création musicale.


J : Il y a des films et des bandes originales qui t’ont marqué au moment où tu composais pour l’album ?

B : Absolument pas ! Si ça avait été le cas, je crois que je me serais abstenu, ne voulant pas sembler en rajouter à ceux qui traitaient déjà le sujet. D’ailleurs, depuis je n'ai jamais écouté de disque ! Et surtout pas les miens...


J : L’album s’est vendu à environ 10.000 copies au début des années 80. Pour un concept album à propos d’une vision d’un livre de science-fiction et sous le nom énigmatique de Zed, c’est un beau chiffre. Comment l’expliques-tu ?

B : Le succès est venu d’Angleterre où les journalistes qui m'ont découvert ont considéré que ma musique ne constituait pas "une mauvaise copie (française) du rock anglais" mais naviguait entre rock, contemporain et expérimental. Ça les a passionnés ! Donc il y a eu des articles de presse innombrables et élogieux.

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J : Il paraît qu’il existe une version du disque joué à l’envers et à demi-vitesse que tu as fais par la suite ?

B : Oui, c'est mon album Superficial Music où j'ai re-mixé Visions of Dune en mettant la bande à l'envers, jouée à demi vitesse, sans rajouter un seul son. Ça donne quelque chose d’extrêmement différent...


J : Moebius (Jean Giraud) a dessiné l’affiche de ton premier concert pour Visions of Dune au Forum des Halles. Comment cela s’est fait? Tu étais au courant que Jodorosky et lui étaient en train de travailler sur un projet d’adaptation au cinéma ?

B : À l'époque, il était assez simple de contacter les gens les plus « impensables ». Un ami connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu’un, donc je l'ai appelé et oui, je connaissais ses goûts en matière de science-fiction mais pas son projet d'adaptation au cinéma.


J : Tu as composé pour nous une relecture d’une des pistes de Visions of Dune, « Kwisatz Haderach », tu peux nous en parler ?

B : Dune est une "histoire" et c'est bien ce qui m'avait séduit à l'origine car - même si je théorise - je suis un "conteur d'histoires" instinctif. Tout mon travail a consisté à transformer des "histoires" en "musique".


J'ai donc repris mes fondamentaux et redécouvert que dans cette saga qu'est Dune, certains personnages prennent le pas sur d'autres, notamment les Bene Gesserit et leur Kwisatz Haderach.


Kwisatz Haderach était un terme utilisé principalement par le Bene Gesserit. C'était un vieux terme qui se traduisait littéralement par "Raccourcissement du Chemin". Une origine possible de ce terme vient de la langue hébraïque: Kfitsat Ha'derech se traduit comme suit : Kfitsat = Saut de Ha'Derech = le Chemin / la Route. Le terme hébreu décrit un saut ou une grande avancée dans divers domaines tels que la technologie ou la science.

Le concept décrit les pouvoirs prescients des Bene Gesserit - une « secte » uniquement féminine exerçant ses pouvoirs sur Arrakis - et leur incapacité à s'aventurer dans une région spécifique de connaissances prescientes. Cette région, bien que mystérieuse par nature, était connue pour être inaccessible aux femmes. Plus précisément, le mélange d'épices a permis aux Bene Gesserit de débloquer leur mémoire génétique, mais uniquement du côté féminin. Pour des raisons inconnues, les Bene Gesserit ne pouvaient pas « voir » du côté masculin, et l'idée même d'essayer était terrifiante pour eux. En outre, « le melange », en tant que composante essentielle à l'existence sur Arrakis, a également exposé la sororité (et d'autres) à une forme très limitée de prescience - pensées, sentiments, images dans un avenir très proche, mais pas plus.


En fait comment et pourquoi Frank Herbert, dont la fertilité imaginative ne peut pas être accusée de « limiter » volontairement le pouvoir des Bene Gesserit à des fins anti-féministes, a-t-il justement limité ces pouvoirs? Je n'ai pas réussi à trouver d'explication satisfaisante autre que sa référence à « la mémoire génétique » donc liée au pouvoir du « melange »...


En tout état de cause, jamais mon travail de composition musicale n'a autant été mis en question que dans ce travail nouveau sur Dune ! Il m'a semblé que je devais trouver une « harmonie » entre musique et littérature, et que cette harmonie devait refléter la complexité de la situation qui se développe sur Arrakis. C'est pourquoi j'ai choisi de la baser autour d'un remix du « Kwizatz Haderach » d'origine en y ajoutant notamment des éléments de mon premier mix (trop long), « Arrakis », ainsi que d'autres sons, de brefs événements mélodiques, des samples destinés à souligner certaines ponctuations dramatiques et d'autres samples évoquant les rituels des Bene Gesserit.

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J : Tu n’écoutes plus de musique et tu ne lis plus de livres. Cette démarche est particulière. Tu peux nous expliquer.

B : J’ai décidé il y a quelques années de créer simultanément des sculptures technologiques et de la musique ! Or, refusant l'idée même de "l'influence" j'ai décidé d’écarter tout ce qui pouvait m'influencer, musique et livres.


J : Il t’arrive quand même de regarder des films ou encore d’écouter des albums de Terry Riley, Brian Eno, ou d’autres artistes qui t’ont influencé ?

B : Non, jamais ou presque ! Mais quand un ami m'envoie un lien, je ne refuse pas de l’écouter ! En fait, j'ai tellement entendu de musiciens que j'ai admiré que mon imaginaire en est déjà plein ! Une seule exception : j'admire énormément les pensées et le travail musical de John Cage. Je crois que j'aime l'idée qu'il puisse "m'influencer"... alors, je l'écoute !


J : Compositeur d’albums, de performances et d’installations diverses. Tu n’as jamais eu l’envie ou des propositions pour composer une bande originale de film ?

B : Jamais ! Hélas ! Et pourtant je croyais - naïvement peut-être - que ma musique était faite pour aller avec des images.


J : Pour finir, tu peux nous raconter ton dernier rêve ?

B : En vrai, j’ai rêvé que j'étais « réparé » et plus du tout paralysé. Il faut dire que je pratique en ce moment la "reprogrammation neurologique" et que - lentement - ça me répare un peu... Donc ce rêve n'est pas très étonnant ! (Bernard se « répare » depuis maintenant 3 ans, suite à des complications).



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