Mystery Science Theater 3000 : dans l’espace, personne ne les entend se moquer
Un paumé. Trois robots. Autant de grandes gueules qui essaient d’animer une séance imposée d’un navet de série B à grands coups de sarcasmes, de références et autres chansonnettes.Un paumé. Trois robots. Autant de grandes gueules qui essaient d’animer une séance imposée d’un navet de série B à grands coups de sarcasmes, de références et autres chansonnettes. Une formule qui a donné naissance à un programme culte de la télé américaine : Mystery Science Theater 3000 (MST3K pour les intimes). Sa particularité : ses multiples vies. L’émission est propulsée par une communauté de fidèles, de VHS échangées sous le manteau, et par les prémisses des Internets. Mais pourquoi les transmissions du « Satellite of Love » se sont-elles arrêtées aux frontières des États-Unis, où elles ont fait des émules dans la culture Internet ?
Au fur et à mesure de la démocratisation des salles de cinéma, au début du XXe siècle, en France comme Outre-Atlantique, les salles braillardes et légèrement enivrées face aux attractions des films et de leurs images en mouvement rythmées par un piano bastringue, firent place à un silence respectueux des œuvres projetées. Le septième art, pensait-on, c’est sacré, et ainsi, les perturbations se doivent d’être minimales. Pourtant, au fur et à mesure du développement de séries B plus populaires, la réussite variable des œuvres ne manque pas, chez les spectateurs les plus amusés, de déclencher un monologue intérieur. Un sursaut de conscience face à des performances ratées, ou tellement pataudes qu’elles en deviennent imbuvables, en quelque sorte. C’est là qu’entre en scène, au milieu des années quatre-vingt, un comédien du nom de Joel Hodgson.
À la sortie de l’université, il va tenter sa chance à Los Angeles, où il fait la connaissance de futurs géants comme Jerry Seinfeld, avec qui il collabora brièvement à l’écriture de sketches. Hodgson se fait un nom avec des numéros remplis d’accessoires qu’il bricole lui-même. Alors que les offres de travail commencent à arriver, Hodgson se retrouve à décliner un rôle dans une sitcom avec Michael J. Fox, même lorsque le studio double son offre. Dans Wired, il explique : « je me suis rendu compte que, c’est vrai, mon opinion importe peu à Hollywood. J’ai vu d’autres personnes se compromettre, et je pensais qu’une fois que j’aurais laissé tomber ce que je voulais vraiment faire, il n’y aurait plus de retour en arrière. Donc j’ai décidé de revenir à Minneapolis. »
En 1987, Hodgson multiplie les petits boulots et fait la connaissance de Jim Mallon, producteur et programmateur d’une chaîne locale, KTMA, basée à Saint-Paul, capitale de l’état du Minnesota jouxtant Minneapolis. Mallon a pour idée de trouver des animateurs du coin pour présenter des émissions, mais il a aussi un problème : les films achetés par KTMA sont, pour la majeure partie, des séries B oubliables et oubliées. Pour remédier à la situation, Hodgson va piquer un concept trouvé à l’intérieur d’une pochette de l’album d’Elton John, Goodbye Yellow Brick Road, dans lequel on voit des silhouettes par-dessus un écran de cinéma. Il ajoute, toujours dans Wired : « je me suis dit que quelqu’un devrait projeter un film et faire intervenir ses silhouettes » – une façon de commenter le film. Il est fan de tous les films de genre avec des monstres et se montre intéressé par l’idée d’une émission alliant des idées pour la jeunesse et la présentation de ces films.
Hodgson fait évoluer le concept et créé, avec Mallon, un semblant de mythologie inspiré de Silent Running, où Bruce Dern est assisté de trois drones, Huey, Dewey et Louie (également les noms des trois neveux de Donald Duck, Riri, Fifi et Loulou en VF). Le Joel de Mystery Science Theater 3000 sera envoyé dans l’espace par des boss aigris du Gizmonic Institute. Sa mission : être le cobaye de plusieurs films plus atroces les uns que les autres pour étudier leur effet sur l’espèce humaine. Il va créer trois robots à partir de matériel de bric et de broc : Tom Servo (Kevin Murphy lui prête sa voix pour la majorité de la série) sera fait à partir d’un distributeur de chewing-gums et d’une machine à pièces ; Crow T. Robot (avec la voix de Trace Beaulieu pour la majorité de la série) est un robot peint en or avec des yeux en balle de ping-pong, une boule de bowling coupée en deux en guise de bouche et une grille de masque de hockey sur les yeux. Ils sont accompagnés par Gypsy, un droïde à la bouche en forme de siège pour bébé, avec un long tuyau en PVC en guise de corps, qui s’occupe de la maintenance du Satellite of Love. Lors de la nouvelle série de 2017, sa voix sera même assurée par une femme (Rebecca Hanson). Sans oublier l’œil qui capture les expériences, Cambot, qui est notre « point de vue » dans la salle de projection du Satellite of Love.
L’imaginaire résolument enfantin de MST3K, acronyme qui désignera la série lorsqu’elle devint connue nationalement (entre autres grâce au soutien de critiques émérites comme Tom Shales du Washington Post), pourrait sembler chétif, mais prend la forme d’émissions inoffensives, alors que les séances et leurs références seront tournées vers un public plus adulte. C’est aussi un moyen futé de s’assurer un renouvellement de l’audience de la chaîne, qui n’aurait sans doute jamais regardé uniquement les navets du catalogue de KTMA. Le format de 13 épisodes débarque en 1988, à Thanksgiving, date qui sera ensuite plébiscitée par les fans de la série et donnera lieu à plusieurs marathons annuels, le « Turkey Day » sur Comedy Central (« turkey » est l’un des termes familiers utilisés pour « nanar », ce qui a donné l’idée de ce marathon à la chaîne).
Les 90 minutes d’un épisode moyen de MST3K commencent d’habitude par un sketch façon Muppet Show où Joel interagit avec les robots et présente des inventions artisanales. Il contacte ensuite ses boss et tortionnaires pour leur présenter ses trouvailles, ce qui est loin de les convaincre. Puis 70 à 75 minutes d’un épisode sont consacrées au film, souvent remonté à partir de versions pour la télé qui suppriment ou censurent violence et nudité lorsque les films sont classés R. Les transmissions des films au Satellite of Love sont fréquemment interrompues, ce qui laisse le temps à l’équipe de se payer la tête de ce qu’ils viennent de voir, soit de discuter comme des spectateurs dans un couloir pendant un entracte. Ils servent aussi à relever le rythme lorsque les films comportent des expositions et premières séquences vraiment lénifiantes, comme ce sera souvent le cas au cours des 200 épisodes de la série originale. Les épisodes se terminent souvent avec un « courrier des fans », dont la fréquence a diminué au fil des années.
Les commentaires de film existent déjà sur le marché vidéo à l’époque de l’arrivée de MST3K, notamment à travers les Laserdisc de la collection Criterion. Mais là où les commentaires de film sont censés être laudateurs, l’équipe du Satellite Of Love fait feu de tout bois et se moque ouvertement de tous les aspects du film, officiellement pour éviter d’y perdre la tête, selon la mythologie de la série. Un cocktail subversif qui entend pleinement jouer de la complicité avec le spectateur, qui n’est pas sûr de la finalité de cet OVNI télévisuel – ni vraiment comédie sarcastique et juvénile, ni vraiment science-fiction fauchée, ni vraiment émission pour enfants bordélique, mais tout cela à la fois. Une humilité qui s’étend jusque dans le générique : « Si vous vous demandez comment il mange et respire, et d’autres faits scientifiques, vous devriez vous rappeler que ce n’est qu’une émission et vous détendre un peu ».
L’économie fauchée n’aidant pas, peu après la fin de la première saison, KTMA fait faillite en juillet 1989. Mais la société de production de la série, Best Brains, envoie une vidéo de 7 minutes à HBO qui s’apprête à lancer une déclinaison câblée entièrement consacrée à la comédie, The Comedy Channel (qui deviendra Comedy Central). Seuls quelques marchés ont accès à The Comedy Channel, mais la série Mystery Science Theater 3000 fera ses débuts nationaux en novembre 1989, programmée le samedi matin, en face des dessins animés. La série reste produite dans le Minnesota, à Eden Prairie, dans un studio plus grand, et non à New York ou Los Angeles… de façon à ne pas augmenter les coûts, mais aussi à garder le contrôle créatif. Dans une interview au Washington Post en 1993, le superviseur d’écriture, Mike Nelson, devenu par la suite animateur en remplacement de Joel Hodgson, explique même : « de notre point de vue, il n’y a pas de succès. On ne rencontre personne qui connaît la série, et personne de Comedy Central ne vient nous dire à quel point on est excellents et nous inviter à des fêtes. » Un des cadres de la chaîne, Art Bell, remarquait dans Wired que « pour 10 mauvais films qu’on leur envoyait, ils n’en choisissaient qu’un. Leur sélectivité est ce qui a contribué à rendre la série aussi bonne ».
Le bouche-à-oreille fonctionne, et le fanclub de la série compte 2000 membres à la fin de la deuxième saison. La chaîne reçoit beaucoup de retours positifs, au point que MST3K aide à faire décoller Comedy Channel au sein d’une programmation catastrophique. C’est ce statut de joyau non découvert, dans une ère où Internet ne fait que balbutier, qui va sanctuariser la série et la protéger de l’annulation. Le sarcasme référentiel et anti-establishment la rend attractive auprès des ados et jeunes adultes, alors que Les Simpson n’en sont qu’à leurs débuts.
Extrait de l'article Mystery Science Theater 3000 : dans l’espace, personne ne les entend se moquer
Par Florian Etcheverry
Un article à lire dans son intégralité dans le Rockyrama n°27 - Christopher Nolan, Chaos & Harmonie