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Entretien avec Douglas Attal, le réalisateur de Comment je suis devenu super-héros

Disponible sur Netflix depuis le 9 juillet dernier, Comment je suis devenu super-héros est le premier long-métrage de Douglas Attal. Étant donné qu’il s’agit de l’un des très rares films de ce genre en France, il nous fallait poser quelques questions
Entretien avec Douglas Attal, le réalisateur de Comment je suis devenu super-héros

Disponible sur Netflix depuis le 9 juillet dernier, Comment je suis devenu super-héros est le premier long-métrage de Douglas Attal. Étant donné qu’il s’agit de l’un des très rares films de ce genre en France, il nous fallait poser quelques questions au jeune réalisateur, qui porte le projet à bout de bras depuis dix ans.


Entretien par Stéphane Moïssakis.


Comment je suis devenu super-héros est donc un film de super-héros, ce qui est très rare dans le cinéma français, et il s’agit de votre premier film. Comme vous avez mis dix ans à le faire, je me demandais si vous aviez d’abord travaillé sur un plus petit projet pour vous lancer dans la réalisation ?


Je n’imaginais pas forcément faire un film de super-héros comme ça, en premier film. J’avais d’autres projets, des plus petits films. Mais j’avais une telle passion pour le roman de Gérald Bronner que j’ai persisté. Nous avons essuyé beaucoup de refus, mais je n’ai pas lâché parce que j’y croyais. C’était une véritable envie, malgré la pression d’un gros budget inhérent au genre. Ma passion pour les comics et le genre super-héroïque a pris le dessus.

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Et justement, qu’est-ce qui vous a attiré dans le roman ?


Disons que c'était un ton mélancolique, très spécifique. Quelque chose de très intimiste, très proche des personnages, notamment dans les rapports entre les personnages de Pio Marmaï et Benoît Poelvoorde. Il y a de la tendresse mais aussi une pointe de jalousie de la part de Poelvoorde, car son ancien collègue est encore en activité. C’est une relation qui me touche. En fait, le roman m’a un peu rappelé la bande-dessinée Watchmen, avec cet univers dans lequel les super-héros cohabitent avec les humains. Leur existence est banalisée et connue de tous. Je voulais tirer un film de cet univers et montrer des personnages mélancoliques, des héros qui tentent - à leur petite échelle - de réenchanter ce monde désabusé. 


Quel a été le travail d’adaptation sur ce roman ?


La première question que je me suis posée, c’est la manière de transposer l’intrigue en France. C’est un roman français, mais qui se déroule à New York, avec des personnages américains. Et je voulais situer le film chez nous. Sauf qu’il ne suffit pas de transposer New York à Paris en réalité. Il y avait un travail de fond à faire, une réflexion sur ce que pourraient être nos héros à nous. Et puis comment faire un film singulier, qui ne soit pas une copie des films Marvel et DC ? Je savais déjà que nous ne pouvions pas nous permettre le déluge d’effets spéciaux des productions américaines. Donc il a fallu trouver un angle singulier, et je me suis dit que c’était le polar qui allait nous permettre d’entrer dans le film. Et petit à petit, je fais rentrer les codes du genre de super-héros, l’air de rien. De cette manière, le spectateur a le sentiment de débarquer dans un petit polar qui se transforme plus tardivement en film de super-héros. Nous avons procédé comme ça, parce que c’était évidemment une contrainte de budget, mais aussi une volonté de faire un film de super-héros un peu différent de ceux que l’on voit chaque année.


Cet aspect polar n’était pas dans le roman ?


Si, mais je l’ai vraiment accentué. Dans le roman, le personnage principal est un super-héros qui travaille dans un commissariat, alors que dans le film, ce sont deux personnages qui n’ont pas de pouvoirs, des flics normaux qui vivent dans un monde de super-héros. Du coup, l’enquête est renforcée, il y a plus de scènes qui se déroulent dans le commissariat et c’est un élément que j’adore. Au-delà du film de super-héros, je suis également un fan de polar. Du coup, j’ai revu pas mal de films français policiers que j’adore, comme Le Petit Lieutenant, Polisse, L. 627, car j’avais l’envie de cultiver ces petits moments. Même si l’enquête policière n’avance pas, il se passe des choses entre les personnages.

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Si je suis bien, c’est le cinéma policier qui a permis au film de se faire ? C’est l’un des aspects qui a rassuré les financiers ? 


Pas forcément non. La genèse du film est un peu longue donc je passe sur les détails, mais à une époque, le film est très clairement un gros film de super-héros avec des scènes d’action et de destructions. Et le budget était bien plus conséquent, forcément. Et nous avions eu quelques accords de principe, d’une chaîne de télévision et d’un distributeur notamment. Je pense que le film était justement plus lisible et plus clair, car il s’inscrivait dans les référents à la Marvel. Mais bon, je n’étais pas à l’aise avec l’idée de faire un premier film aussi imposant en termes de budget. Et puis, je n’avais pas l’impression d’avoir trouvé cette spécificité que je recherchais pour le ton du film, donc nous sommes repartis en réécriture. Après avoir réduit le film et avoir vraiment accentué l’aspect hybride entre le polar et le film de super-héros, ça a été beaucoup plus difficile à monter, car il y a moins de référents en réalité. Mais personnellement, je trouvais que le projet était bien meilleur.  


Nous avons parlé de vos inspirations en matière de cinéma policier, mais quelles sont vos inspirations en matière de films de super-héros justement ? 


Ma plus grosse inspiration, c’est Incassable de M. Night Shyamalan. Avec Sixième Sens, c’est le film qui m’a donné envie de faire du cinéma. J’adore l’approche intimiste du film et cette manière de réduire le mythe à sa plus simple expression, avec des personnages très émouvants et une puissance émotionnelle décuplée. C’est ma référence absolue en termes de films de super-héros, mais j’en vois pleins. J’adore aussi les Spider-Man de Sam Raimi, et notamment le deuxième film et ce qu’il raconte sur le passage à l’âge adulte. Mais disons que je crois que je suis plus influencé par les films des années 2000 et début des années 2010 que ceux qui sortent maintenant, parce que je les ai vus plus jeunes et qu’ils m’ont énormément nourris. Après, je lis beaucoup de comics : Gotham Central par exemple, qui m’a énormément inspiré dans la relation entre les personnages humains au sein d’un monde de super-héros. J’ai également été inspiré par les romans d’Ed McBain, un auteur de polars qui a écrit la saga du 87ème District. Mes inspirations ne sont pas forcément toutes évidentes quand on regarde Comment je suis devenu super-héros mais cela me nourrit quand même dans mon travail.


Vous citez Incassable. Est-ce qu’on peut dire que la scène de révélation des pouvoirs dans le commissariat est justement inspirée du film de Shyamalan ? On sent que c’est une scène-clé de votre film.


Totalement. Je me suis délibérément inspiré d’Incassable, et notamment de cette scène où le personnage de Bruce Willis accepte enfin sa condition de héros. Il rentre chez lui et prend sa femme dans ses bras, pour la déposer dans le lit. On a le sentiment qu’elle vole, que le personnage lévite et c’est comme ça que j’ai filmé la seconde partie de cette séquence, en citant ouvertement le film de manière consciente. C’est une séquence importante car le personnage de Pio refuse sa nature de héros, mais les événements le rattrapent. Son instinct profond prend le dessus et finalement, puisqu’il décide de ne pas utiliser ses super-pouvoirs, ses super-pouvoirs s’imposent à lui. C’est une scène de bascule dans le film, et je voulais faire en sorte d’épouser le point de vue du personnage, d’occulter certains éléments de la scène pour épouser son regard à lui, et c’est très clairement inspiré de la manière dont Shyamalan a filmé certains moments-clés dans Incassable.


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Avant de débarquer sur Netflix, le film devait sortir en salles et il me semble qu’il aurait forcément souffert de la comparaison avec les grosses productions Marvel et DC. J’imagine que vous avez réfléchi à une manière de faire face à cette concurrence déloyale dès la conception du film, non ?


Comme je le disais, la seule contrainte que je me suis vraiment posée par rapport aux autres films du genre, c’est de ne pas faire la même chose. Je voulais me démarquer dans le traitement des effets spéciaux par exemple, de faire en sorte qu’ils soient suggérés, en hors-champ parfois. Je voulais faire un film de super-héros à échelle humaine et je ne me suis pas vraiment demandé si nous allions réussir à passer entre les gouttes des sorties Marvel. J’ai fait le film de super-héros que je voulais voir, en mode un peu kamikaze, voilà. Je me suis dit « ça passe ou ça casse » et si le film ne marchait pas en salles, tant pis ! J’en serais fier quand même.


J’aimerais parler du casting, qui me semble être la porte d’entrée des spectateurs dans l’univers du film. Des comédiens comme Pio Marmaï et Benoît Poelvoorde sont appréciés pour leur travail dans la comédie populaire. Du coup, est-ce qu’il n’y avait pas le risque de les mettre en costumes de super-héros et de faire croire au public que le film est une comédie ?


Effectivement, je voulais à tout prix éviter le côté comédie ou parodie. Je suis un amoureux du genre, donc je ne voulais surtout pas donner du grain à moudre à ceux qui s’attendent à ce qu’un film de super-héros français ressemble forcément à une version de Superdupont, ou un truc qui tape dans la gaudriole. Mais je ne fais pas seulement appel à des comédiens qui viennent de la comédie populaire. Par exemple, Swann Arlaud et Vimala Pons sont plus habitués au cinéma d’auteur. Je voulais créer un casting totalement inédit, et prendre des gens qui ne sont pas forcément de la même famille de cinéma pour en créer une qui soit propre au film. L’idée était d’avoir un casting hétéroclite, sans rien s’interdire pour autant. Effectivement, Benoît Poelvoorde est un acteur comique mais j’avais conscience de sa force émotionnelle, de sa capacité à être mélancolique. Et en lisant le roman de Gérald, c’est le preneur comédien que j’ai imaginé dans ce rôle-là. D’ailleurs le personnage n’est pas très drôle en réalité. Benoît amène certes un peu d’humour mais c’était un personnage beaucoup plus sombre dans le roman. 


En parlant de Benoît Poelvoorde, il a donné un entretien ces derniers mois, dans lequel il raconte de manière assez drôle et truculente une petite altercation que vous avez eue sur le tournage, au sujet de la téléportation. Que s’est-il passé de votre point de vue ? 


Ah oui, je l’ai vu ! Bon, il faut savoir que j’avais vraiment tout le film en tête dans les moindres détails, depuis des années. Donc je voulais aller à l’essentiel, à savoir la direction d’acteurs, ce que les personnages ressentent, comment jouer certains moments-clés. Je voulais vraiment les diriger. Et je me suis rendu compte qu’il fallait que je leur transmette avant tout ce que j’avais en tête, c'est-à-dire les effets spéciaux qui n’étaient pas là sur le moment, pour qu’ils comprennent ce qui se passe autour d’eux. Et donc, ça a pu être un peu laborieux au départ, et je pense que Benoit est un comédien qui n’aime pas trop être contraint à certains éléments techniques. Par exemple, à un moment, son personnage tient des assiettes dans la main, et il devait jouer et en même temps, lâcher les assiettes, se retourner et faire un élan de téléportation, tout en étant drôle comme l’exige la scène. C’est vrai que cela fait beaucoup de paramètres pour un acteur, et Benoit a l’habitude d’être assez libre de ses mouvements, d’occuper l’espace. Ceci dit, il a un énorme instinct d’acteur qui fait que même s’il était perdu, il restait totalement dans le ton. Il était juste. C’est parce qu’il a une telle sincérité qu’il ne peut pas faire les choses à moitié. Il se donne tout le temps à fond et il a besoin d’être stimulé en retour. Et il comprenait les enjeux de ces scènes et la trajectoire de son personnage, et c’est vraiment l’essentiel.


Parlons du climax du film. Vous avez évoqué le fait que le projet était beaucoup plus axé sur les super-héros auparavant mais même avec la nouvelle approche du projet, je m’attendais à un final plus ample de ce point de vue là. Est-ce que c’était une frustration pour vous, de ne pas pouvoir montrer des affrontements homériques ?


C’était un équilibre à trouver, car je ne voulais pas perdre ce que j’avais mis en place auparavant. Disons aussi que la scène de fin a beaucoup changé, que ce soit en écriture comme en préparation. Et même pendant le tournage, suivant certains impératifs. Mais je dois reconnaître aussi que je suis un mec qui se prend bien la tête et qui change un peu tout, tout le temps, au grand détriment de mes équipes. Même quand il y a un story-board, j’ai envie de changer certaines choses parfois. Et par exemple, le fait que la scène commence du point de vue des antagonistes est une idée qui est arrivée très tardivement. Et puis je voulais proposer quelque chose de plus âpre qu’un film de super-héros habituel. Pas de scènes de kung-fu, avec des câbles, mais des bastons qui permettent de sentir la fatigue des personnages, tout en soignant néanmoins la séquence et les effets spéciaux, car c’est évidemment un rendez-vous attendu pour tous les amoureux du cinéma de super-héros. Mais je ne voulais pas que ce soit une déferlante d’action et d’effets spéciaux, au détriment du reste.


Comment s’est déroulée la transition entre la sortie en salles - à l’origine prévue pour décembre 2020 - et la diffusion actuelle sur Netflix ?


Avec la pandémie, nous nous sommes dit que Netflix pouvait nous apporter une énorme visibilité que nous n’aurions pas eue avec une sortie en salles, que ce soit en France comme dans le monde entier. Ça fait dix ans que je travaille sur ce film, et je ne voulais pas être tributaire de cette situation. Je voulais que le film soit vu et comme le public de Netflix est friand de films de super-héros, je me suis dit que nous avions une meilleure visibilité qu’une sortie en salles actuelle, qui nous aurait peut-être permis de rester deux ou trois semaines à l’affiche avant de rentrer à la maison.


Une suite est-elle envisageable dans le cadre d’une diffusion sur Netflix ?


Ce n’est pas encore d’actualité, mais je me pose la question. La fin du film est plutôt ouverte, mais comme c’est le cas de certains films qui ne proposent pas forcément une suite pour autant. Toujours est-il que j’ai passé beaucoup de temps avec ces personnages, et ils font partie de moi d’une certaine manière. J’ai beaucoup de mal à les lâcher. Je réfléchis beaucoup à ce qu’ils peuvent devenir après le film. Après, il faut évidemment que le film marche. Mais pourquoi pas ? J’ai quelques idées, une idée de méchant notamment, et l’envie d’élargir un peu le scope de cet univers. De proposer des enjeux à plus grande échelle, c’est-à-dire sortir de Paris pour se concentrer sur une menace qui concerne plus de gens à travers la France entière. On verra bien si ça se fait.


Remerciements à Charly Destombes et Radia Kerroumi.


Disponible sur Netflix depuis le 9 juillet.

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