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Richard Donner : Profession Artisan

Comment résumer un parcours aussi riche, jamais rattaché à un genre en particulier ?
Richard Donner : Profession Artisan

Par quel bout de la lorgnette prendre la filmographie du regretté Richard Donner ? Cinéaste formé à la série télévisée, sa carrière fricote avec tous les genres qu’Hollywood produit depuis sa création : fantastique, western, polar, comédie, horreur, aventure, super- héros... . Comment résumer un parcours aussi riche, jamais rattaché à un genre en particulier ? La réponse serait finalement très simple. Donner est un yes man, un artisan d’un calibre toutefois supérieur, dévoué à son art et au divertissement. Un as du storytelling, capable de nous amener dans des décors d’aventures radicalement opposés, sans jamais nous perdre et sans jamais déprécier l’intelligence du spectateur. Des qualités qui lui permettent aujourd’hui d’être respecté par une large communauté cinéphile au même titre que des hommes de la trempe des Aldrich, Franckenheimer ou Walter Hill.


Article par Guillaume Baron

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Tout dans les films de Richard Donner respire le travail bien fait. Trente années dédiées à la machine à rêve hollywoodienne, trois décennies lors desquelles il aura travaillé avec une sélection plus que respectable de légendes locales. Hormis peut-être le premier Superman (1979), considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs films de super-héros de tous les temps et devenu une base du genre, pas de véritable réalisation à classer au rayon chef-d’œuvre. Superman obtient officieusement ce titre pour l’onde de nostalgie qu’il provoque dès qu’on évoque son existence, Christopher Reeve, Marlon Brando... 


Des classiques du genre, Donner en a réalisé néanmoins pas mal. Les Goonies pour l’aventure, L’Arme Fatale pour le polar/buddy movie, Fantômes en Fête pour la comédie fantastique ; voilà déjà trois films qui marquèrent leur époque. L’Arme Fatale et son scénario magique signé Shane Black est évidemment l’atout numéro 1 dans sa manche. Le script acide et sombre de Black s’est transformé, dans ses mains mais aussi sous l’impulsion du démiurgique Joel Silver, en sitcom policière au long cours. Peut-être que la bonhomie que développent les personnages ou l’attachement à décrire leur vie de famille sont des détails qui révèlent la nature de Donner. L’attachement de Donner à la franchise est réel et sincère. Lors du tournage du premier volet, la scène de la visite chez le trafiquant de drogue nécessitait un décor que la production ne pouvait pas s’offrir. Richard Donner prêta sa luxueuse villa à la production. C’est donc dans sa cuisine que les filles empaquettent la cocaïne et dans sa piscine que la scène se conclut. Le genre d’attention qui tisse des liens, expliquant également le nombre de films que Silver et Donner on fait ensemble. Son boulot était de vendre du fun, et c’est dans ce sens qu’il tira Martin Riggs et Roger Murtaugh. Après la cavalcade suicidaire du premier épisode, Donner s’exécutera et fera ce que lui intima Silver : à savoir ne PAS tuer Martin Riggs comme le souhaitait à l’origine Shane Black lors d’un final crépusculaire. Le fan averti sait à quel moment s’opère la bascule, nous faisant deviner l’irruption sur le plateau d’un Joel Silver flippé de tuer une belle source de revenus. Pourtant Donner ne part pas en guerre. Il ne l’avait pas fait lorsque Warner lui savonna la planche sur Superman 2, il ne le fera pas non plus face à son producteur superstar. L’intérêt du film et de sa production priment sur les caprices. Richard Donner n’est pas un artiste de la trempe de Coppola, il ne saccagera pas sa chambre d’hôtel parce que les exécutifs trouvent son film trop compliqué ou pas assez drôle. Un trait de caractère évident, lui qui a connu quelques tournages compliqués (Superman 2, Assassins par exemple). C’est certainement pour cette raison que la saga ne verra jamais son épisode 5 voir le jour, en plus de toutes les histoires d’égos inhérentes à ces situations.


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Voilà le genre de tempérament qui ravit les studios. Richard Donner a toujours fonctionné dans leurs sens, tout en maintenant sa créativité et ses exigences à un très bon niveau. Son limogeage du tournage de Superman 2 aurait pu lui fermer pas mal de portes. Cette sale histoire, en partie réhabilitée aujourd’hui grâce à une Donner Edition rehaussant le film sans pouvoir finalement le sauver, n’a pas empêché la rencontre évidente avec celui qui était le Golden Boy d’Hollywood, au cœur des années 80. Un partenariat ponctuel évident, tant les deux hommes semblent proches humainement. Développé à partir d’une histoire imaginée par Spielberg lui-même, Chris Columbus rédigea un scénario manifestement taillé pour Donner, qui propulsera Les Goonies dans la catégorie film culte pour 50 générations. Un film qui résume à lui seul l’importance à Hollywood de l’équation « bon producteur bon scénariste bon réalisateur ». Son parcours dans les années 90 amorce une redescente qualitative évidente, évidente devant l’apparent confort qu’offraient les années 80 à un Richard Donner au sommet de sa forme. 


C’est sans aucun doute l’amitié qui le lie à Mel Gibson, avec lequel il a réalisé six films, films avec lesquels, au passage, il a entretenu une partie du culte et de la bankabilité de l’interprète de Riggs, qui aura raison de ce qui aurait pu être son dernier tour de piste. Richard Donner ne partira pas sur un dernier épisode de L’Arme Fatale. En bon gars à l’ancienne, Gibson refuse à Joel Silver l’occasion d’ouvrir les vannes à billets avec un cinquième L’Arme Fatale, opposant au producteur un argument inattaquable : pas de film sans Donner, malgré ses 85 ans et l’ombre du désormais acclamé Shane Black aux commandes du projet. Encore une preuve que la famille n’est pas pour rien dans l’approche qu’à Donner de son métier (il produira également des films avec son épouse). Tant pis pour la valeur symbolique qu’aurait renvoyée le film. Richard Donner signe en 2006 son (pour l’instant) dernier film, petite série B d’action plus que correcte, 16 Blocs. Bruce Willis y joue, encore, un flic rincé qui doit fuir des flics pourris menés par le toujours classe David Morse. La subtilité tient dans l’âge du personnage de Willis, qui pour une fois joue un vieux renard grisonnant, plus fatigué que jamais. Son personnage est infatigablement poussé dans ses retranchements par les salauds, le contraignant encore une fois à explorer les derniers recoins de son éternel Mojo. On peut y lire en creux une manière détournée de déclarer : « de toute façon, je suis trop vieux pour ces conneries ». Quand on est assis sur une telle carrière, inutile de vouloir chercher plus loin. Au point qu’il est très facile de ne garder de sa filmographie que ses films favoris. Ces rares ratés n’entacheront jamais les qualités de ses plus grandes et nombreuses réussites. Dernière façon de se convaincre : qui sont les Richard Donner d’aujourd’hui ? Ce type de metteur en scène, qu’on aime à définir comme des artisans pour les limites évidentes qui les séparent des grands personnages incontournables de la mythologie hollywoodienne, est aujourd’hui une espèce éteinte. En bon artisan, Richard Donner a fait le boulot, et l’a très bien fait.