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Ghostbusters : l’histoire d’un accident

Du début à la fin de sa conception, le film a tenu sur un fil, en plein numéro d’équilibriste, entre décès de l’acteur principal envisagé, coup de poker menteur avec le producteur et jeu du chat et de la souris avec les autorités publiques.
Ghostbusters : l’histoire d’un accident

C’est une drôle de délégation que la ville de Troyes a accueilli le weekend du 12 mars dernier : une petite dizaine de fans hardcore de Ghostbusters, costumes du film sur les épaules et packs de proton dans le dos. L’objectif ? Tourner un court-métrage en hommage aux deux films, et au troisième à venir. « L’histoire, c’est Perceval qui se retourne dans sa tombe parce qu’il n’a jamais trouvé le Graal », dévoile Eric Robin, quarantenaire à l’initiative du tournage. « Son fantôme et celui de Chrétien [de Troyes] le recherchent et la ville nous appelle à la rescousse, nous, les Ghostbusters. Honnêtement il y a des décors exceptionnels, des costumes de fou, j’ai mon propre matos de tournage… Et puis, bien sûr, il y a la voiture. » La voiture. Une reconstitution grandeur nature de l’élément le plus emblématique des deux films de Reitman : l’Ecto-1. « J’ai d’abord trouvé une Cadillac à Paris, dans un état pitoyable », reprend Eric Robin. « Le mec s’est décidé à la vendre, et ça fait maintenant six ans qu’elle est dans l’Aube, avec moi. Les deux premières années, j’ai fait un très gros boulot de réparations et d’entretien. Depuis, je parade partout avec, en France et en Europe, je suis invité aux conventions, aux salons, et même quand je vais chercher ma fille avec au collège, c’est la folie. Puis je la loue, aussi. Il faut bien rentabiliser ». Car l’Ecto-1 a un coût : plus de 90 000 euros investis par le fan de toujours, qui passe ses nuits à dénicher les bonnes affaires sur eBay. Comme ce fréquencemètre de police à 75 dollars ou cette sirène et ce phare chromés, « comme dans le film », à moins de 60… 


« Le prix de la passion », explique Eric Robin, presque dérisoire comparé aux chiffres du premier film : vingt-trois millions de dollars au bout de sept jours et près de dix fois plus sur la seule année 1984. Ajustés à l’inflation, les revenus générés placent le film dans la liste des quarante plus grands succès de tous les temps. Plutôt pas mal pour un projet qui n’aurait jamais dû voir le jour, du moins pas sous la forme que l’on connaît tous. Plutôt pas mal pour un grand accidenté, qui a dû emprunter une multitude de chemins de traverse et de rafistolages, à toutes les étapes de sa création, pour débouler sur les écrans et devenir le phénomène que personne ne prévoyait. C’est à la fin de l’année 1981, moins de trois ans avant la sortie du film, que Dan Aykroyd s’attaque à la première version du script. L’ancien du Saturday Night Live accouche alors de l’histoire d’un groupe de potes, les Ghostsmashers, qui voyagent à travers le temps et l’espace armés de tiges magiques pour affronter une armée de fantômes, parmi lesquels, déjà, le Bibendum Chamallow. Surtout, il réserve à John Belushi, son meilleur ami et ancien compagnon du SNL, le rôle de Peter Venkman. C’est à sa mort, en mars 1982, qu’Aykroyd contacte Bill Murray – mais aussi Chevy Chase et Michael Keaton –, alors auréolé du succès de Tootsie. Avec à peine plus d’une quarantaine de pages dans les mains, Murray est emballé par le projet et insiste pour le faire lire à Ivan Reitman, avec qui il vient de tourner Les Bleus.

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Au mois de mai 1983, c’est sur les fauteuils du mythique Art’s Delicatessen, restaurant du nord de Los Angeles aujourd’hui QG de Judd Apatow, qu’Aykroyd et le cinéaste se retrouvent. Si Reitman adore le folklore qui entoure le film, soit la voiture, les costumes ou le logo, il est plus réservé quant à l’univers clairement science-fictionnel ; ce qu’il faut, c’est replacer l’intrigue à New York et à l’époque contemporaine, livrer un produit qui parle aux gens, qui les concerne. Trop heureux de déceler une ouverture et d’avoir une opportunité de réaliser son rêve de gosse, Aykroyd accepte sans sourciller et les deux hommes contactent Harold Ramis dans la foulée, lui aussi de l’aventure Les Bleus, pour la co-écriture. En vingt minutes, le scénariste est emballé. Le même jour, Reitman appelle le boss de Columbia Pictures, Frank Price. L’homme adore le concept et demande un budget approximatif au cinéaste : « À peu près vingt-cinq millions de dollars… », se lance Reitman. Jackpot : Price valide le tout, sur-le-champ, et commande le film pour l’été 1984. Sans script finalisé, sans casting ou presque, Ghostbusters est né. Sur un coup de poker probablement mêlé d’une intuition géniale, à une époque où les pontes hollywoodiens ne manquaient pas de panache.


Si, au milieu de l’année 1983, l’histoire originelle n’a plus rien à voir avec celle envisagée par Aykroyd, le casting connaît lui aussi quelques secousses. Certes, Murray accepte de faire le film à la seule condition que la Columbia mette un coup de boost à un autre de ses projets, plus personnel (Le Fil du rasoir). Mais John Candy, qui devait jouer le rôle du voisin Louis Tully, finit par se retirer ; Eddie Murphy refuse lui aussi à la dernière minute d’endosser le costume de Winston Zeddemore pour privilégier Le Flic de Beverly Hills, entraînant le cast du beaucoup moins bankable Ernie Hudson et donc la réduction du rôle à peau de chagrin, en urgence. Enfin, pour ce qui est d’Egon Spengler, Christopher Walken, John Lithgow, Jeff Goldblum et Christopher Lloyd sont tous envisagés avant qu’Harold Ramis ne se résolve à jouer le rôle lui-même. Sur les quatre membres de la team des Ghostbusters, seul Dan Aykroyd, et pour cause, procède du premier choix. On fait avec des bouts de ficelle, on tricote, on improvise ; mais toujours avec candeur et énergie. N’est-ce pas ça finalement, l’identité Ghostbusters ? Au mois d’octobre 1983, cinq mois après ce rendez-vous inaugural au Art’s Delicatessen, le tournage débute à New York. Et comme d’habitude, ça ressemble à du jazz : l’équipe n’a aucun permis pour tourner à Chinatown, aux Nations Unies, au Rockefeller Center, sur la 42e rue ou la 5e avenue. Alors qu’ils créent des embouteillages monstres, sans autorisation ni préavis, le créateur du logo Ghostbusters, Michael C. Gross, cache le badge du film épinglé à sa veste pour ne pas éveiller les soupçons ; quant à Joe Medjuck, un des producteurs, il évacue la fatigue pour asséner à un flic, le plus sérieusement du monde, qu’ils sont en fait en train de tourner Cotton Club sorti la même année. Un peu plus tard, au Radio City Music Hall, le même Medjuck baratine un employé aussi longtemps qu’il le peut pendant que Reitman s’active pour boucler une scène en toute illégalité.

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En réalité, l’équipe est épuisée : ils tournent de nuit, jusqu’à six heures du matin, et repartent au charbon quatre heures plus tard. Cet état de stase généralisé, qui peut aviver les tensions, a aussi du bon : Bill Murray, notamment, galvanise les équipes, ne suit même plus le scénario et improvise en permanence. La scène où il envoie des décharges électriques à un homme pour draguer une étudiante reste l’une de ses préférées. Jennifer Runyon – mariée au frère de Roger Corman, Todd – qui incarne la jeune femme en question, se souvient : « On a tourné à l’université de Columbia, on était la ‘rain cover’, ça veut dire que dès qu’il pleuvait, ils abandonnaient les scènes en extérieur on se précipitait pour ne pas perdre de temps et tourner notre scène en intérieur. On a énormément ri car Bill a mis tout le monde à l’aise. Il sortait du script tout le temps, c’était complètement bordélique, on se laissait un peu aller en fonction de l’instant présent. La vérité, c’est qu’il n’y avait pas vraiment de chef sur mon plateau ». Tout le tournage, à New York du moins, semble être au diapason. Fin novembre, l’équipe remballe et s’envole pour Los Angeles, pour neuf autre semaines, en studios cette fois et donc de manière plus encadrée. 


En février 1984, après près de cinq mois de boulot, l’affaire est pliée. « It’s a wrap », comme disent les Américains, et ce ne fut pas de tout repos. Du début à la fin de sa conception, le film a tenu sur un fil, en plein numéro d’équilibriste, entre décès de l’acteur principal envisagé, coup de poker menteur avec le producteur et jeu du chat et de la souris avec les autorités publiques. Entre autres. En décembre 1984, quelques semaines après la sortie américaine, Ghostbusters arrive dans les salles françaises. L’une d’elles accueille le tout jeune Eric Robin, onze ans, qui ne se doute probablement pas qu’il reverra l’opus tous les mois, comme un rituel immuable, encore trente ans plus tard. Quitte à s’inspirer du tournage anarchique de son film préféré, une fois lui-même derrière la caméra ? « Pas vraiment, notre tournage à nous n’a duré que deux jours, assure le quadragénaire. En revanche, on prépare une suite qui sera plus longue : Chrétien de Troyes et Perceval ont été capturés, mais on doit maintenant partir à la recherche du Graal. Et cette fois, je vais faire intervenir les autres voitures de ma collection : la Gran Torino de Starsky et Hutch, la Batmobile du film de Tim Burton et la Camaro 77, jaune avec les bandes noires, qui est Bumblebee dans Transformers. Ça va envoyer du lourd. ». On n’en doute pas.


Axel CADIEUX


Texte tiré du numéro Rockyrama n°11 - Ghostbusters