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Mary Poppins, l'Évangile de Walt

Walt Disney a clamé à plusieurs reprises que le film constituait l'une des plus grandes fiertés de sa carrière entière.
Mary Poppins, l'Évangile de Walt

Alan Moore a créé une série de comics intitulé La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Le concept est de partir du principe que toute histoire de fiction majeure existe réellement au sein d'un même univers et se croise en permanence dans des versions réinterprétées par Moore. Dans un des volumes, les héros sont confrontés à Harry Potter, transformé en Antéchrist de l'apocalypse. Le seul personnage a pouvoir l'arrêter ? Mary Poppins. Au cours de leur violent combat, Potter interpelle Poppins en lui disant : « Tu sais que je suis l'Antéchrist ? Je suis super connu, je suis même dans un livre de la Bible ! ». Et Poppins lui répond : « Tss. Juste un livre ? Je suis sur chaque page. A qui croyais-tu parler ? ». « Je suis sur chaque page » : avec ces quelques mots, Alan Moore a donné son analyse et sa vision de Poppins : il ne peut s'agir que de Dieu.



Cette théorie, loin d'être fumeuse, s'appuie sur plusieurs éléments concrets. Et si l’exégèse de Moore se révèle un minimum pertinente, alors dans l'attente de la future et inévitable suite prévue pour 2018, le premier film Mary Poppins constitue la seule représentation divine cinématographique produite par Disney. Il ne s'agit donc pas que d'une simple comédie musicale de 1964. Il ne s'agit pas que d'un succès phénoménal dont les entrées dépassaient à l'époque celle de n'importe quel Avengers actuel. Et il ne s'agit pas non plus que d'un des très rares films a avoir récolté treize nominations aux oscars (dont cinq remportés). Il s'agit d'un testament, d'un Evangile chanté et dansé, c'est-à-dire littéralement ce qu'on appelle en anglais un Gospel, portant la bonne parole de Walt. Ceci est le verbe, et le verbe est Supercalifragilisticexpialidocious.

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Mary Poppins part donc de l'oeuvre de P.L. Travers (dont le biopic Dans l’ombre de Mary est une réécriture odieuse, mensongère et manipulatrice à oublier pour appréhender son œuvre), publiée en huit volumes entre les années 1930 et 1980. Mary est une nounou aux pouvoirs magiques qui intervient pour s'occuper des enfants qui ont besoin d'elle, en leur faisant vivre des aventures excentriques dignes d'un Londres victorien rêvé proche de celui de Peter Pan. Des aventures qui les font grandir ou qui sont des métaphores, autrement dit des paraboles pour assurer la transmission de la doctrine et de ses dogmes. Attention, quand on parle de pouvoirs magiques, il ne s'agit pas de quelques tours de passe-passe : Mary Poppins a le pouvoir de modifier la réalité à sa guise à tout moment. Le temps et l'espace tiennent dans sa poche... Ou son sac. Elle communique avec les animaux, peut voler et passer d'une dimension à une autre. Elle peut donner vie à tout ce qui l'entoure : même son parapluie avec une canne à tête de perroquet est un véritable perroquet. Toutes les autres créatures magiques la connaissent et parfois même la redoutent. 


Elle apparaît physiquement en étant apportée par le vent d'Est, qui dans les religions orientales porte la signification de destruction et de jugement divin. Bert, le ramoneur de cheminées et amoureux transi de Mary (interprété par Dick Van Dyke), dit clairement dans la chanson Supercalifragilisticexpialidocious que ce mot lui est apparu lorsqu'il était enfant, or ce mot vient de Poppins. Autrement dit lui aussi a eu comme nounou Mary lorsqu'il n'était encore que bambin, ce qui est un indice formel de l'immortalité de Mary. Elle est la femme sans âge, a toujours été là et rien ne s'oppose à sa volonté. Ses mots trahissent un égo assurément divin quand elle parle à M. Banks, le père des enfants dont elle a la garde après avoir provoqué du grabuge : « Avant tout, je voudrais être très claire sur une chose. Je n'explique jamais rien. ». C'est la rhétorique exacte de tout Dieu monothéiste aux malheurs du monde et aux prières de ses croyants. Mary Poppins n'a pas d'origine, pas de justification à ses pouvoirs sans limites, simplement, elle EST.


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Pourquoi cette interprétation d'un simple conte enfantin n'est pas si tirée par les cheveux ? Parce que Walt Disney a été extrêmement impliqué dans la production de Mary Poppins, dont il a chassé les droits d'adaptation sans relâche pendant 20 ans. Parce qu'il a sciemment détourné l'œuvre d'origine de Travers pour se la réapproprier et la coller à sa vision du monde tel qu'il le fantasmait : un Londres éternellement féérique des années 1910, prospérant dans l'insouciance et l'innocence, avant la douleur des deux guerres mondiales. Et si Poppins est Dieu, alors le film Mary Poppins montre ce qu'est Dieu selon Walt Disney. Qui est Mary Poppins ? Une figure féminine, maternelle, très narcissique, dont le propre reflet n'est que vanité, véhiculant quatre valeurs cardinales : la discipline (c'est une nounou anglaise au sens victorien du terme), la gentillesse, l'amour de soi et l'imaginaire. Voilà qui pourrait parfaitement résumer en quelques mots la philosophie de Walt Disney et la pensée qu'il a voulu transmettre à ses contemporains. 


Le film Mary Poppins semble contenir à lui seul toute la doctrine du studio, d'un point de vue moral, esthétique et même artistique puisque la séquence des pingouins (qui mêle animation et prise de vue réelles) fut si à la pointe de la technologie de l'époque qu'elle a valu au film son oscar des effets spéciaux. Walt Disney a clamé à plusieurs reprises que le film constituait l'une des plus grandes fiertés de sa carrière entière. Et à n'en pas douter, s'il ne fallait garder qu'un seul film live comme testament de l'histoire entière du studio, c'est vers celui-ci qu'il faudrait se tourner. Pas parce que l'univers est merveilleux, pas parce que les chansons fonctionnent toujours autant, pas parce que Julie Andrews livre une interprétation iconique qui restera gravée à jamais dans les mémoires, mais parce que ce film, sous ses atours innocents de simple conte moral, reste ce qu'on aura toujours de plus proche d'une plongée au cœur de l'esprit de Walt Disney. 


Maxime SOLITO

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