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La malédiction de la Quatrième Dimension

Lorsque le scénariste Rod Serling crée la série La Quatrième dimension en 1959, il a en tête de critiquer la société américaine sans avoir à se plier aux exigences démesurées des sponsors et des agences.
La malédiction de la Quatrième Dimension

« Nous sommes transportés dans une autre dimension. Une dimension inconnue de l’Homme. Une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d’esprit. Une dimension sans espace, ni temps, mais infinie. C’est un voyage dans une contrée dont la seule frontière est notre imagination. Un voyage dans les ténèbres. Un voyage au bout de la peur, aux tréfonds de nous-même. Un voyage dans la quatrième dimension ! »


Lorsque le scénariste Rod Serling crée la série La Quatrième dimension en 1959, il a en tête de critiquer la société américaine sans avoir à se plier aux exigences démesurées des sponsors et des agences. Il décide alors d'exploiter un genre méconnu des grands pontes de l'industrie ; la science-fiction, que personne ne prend vraiment au sérieux à l'époque, et qui lui permettra d'explorer la noirceur de l'âme humaine dans une anthologie d'histoires étranges où défilent des hordes d'envahisseurs extraterrestres, de créatures hideuses et d'enfants télépathes. Au total, la série s'est étalée sur cinq saisons et a mis en scène des acteurs tels que Dennis Hopper, Robert Redford ou Buster Keaton. La Quatrième dimension a connu un franc succès d'audience et fait l'objet de nombreuses critiques élogieuses, avant d'influencer toute une génération de conteurs d'histoires – Steven Spielberg est de ceux-là. En plus de constituer une de ses sources d'inspiration, Rod Serling lui a permis d'accomplir son tout premier job de réalisateur, lorsqu'il a tourné un épisode de sa série Night Gallery à l'âge de 21 ans. Quand les studios Warner Bros se sont tournés vers lui pour adapter plusieurs épisodes de la série en film, Spielberg n’a pas hésité à endosser à la fois le rôle de producteur et de co-réalisateur.

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À l'origine, tous les éléments étaient réunis pour donner lieu à un excellent film : trois autres réalisateurs d’exception – John Landis, Joe Dante et George Miller – ont été réunis pour le projet. Le tournage a malheureusement tourné au drame le 23 juillet 1982, alors que John Landis tournait une scène de son segment. Un hélicoptère s'est écrasé au sol et a provoqué la mort de trois acteurs : Vic Morrow, le principal protagoniste, ainsi que deux enfants, Myca Dinh Le et Renee Shin-Yi Chen. À la suite de cette tragédie, le réalisateur a été poursuivi en justice pour avoir payé illégalement les deux enfants et contourné plusieurs lois du travail. C’est la toute première fois dans l’histoire d’Hollywood qu’un réalisateur a été accusé d’homicide involontaire sur un lieu de tournage. S'il a par la suite été acquitté et que sa carrière ne semble pas en avoir pâti, John Landis – au même titre que ses co-réalisateurs – ne s'est jamais vraiment remis émotionnellement de l'accident, et a déclaré y penser tous les jours. L'affaire a donné lieu à l'introduction de nouvelles procédures de sécurité sur les lieux de tournage, et semble avoir presque fait couler plus d'encre que le film en lui-même – lequel n'est pas entièrement dépourvu de qualités, bien qu'il soit foncièrement décevant au regard du talent des cinéastes impliqués. 


La Quatrième dimension est composé de cinq segments. John Landis ouvre le film avec un prologue qui met en scène deux hommes – incarnés par Dan Ackroyd et Albert Brooks –, qui entonnent des morceaux de Creedence en roulant vers une destination inconnue, avant d'évoquer les épisodes de La Quatrième dimension qui les ont le plus terrifiés. Le segment qui suit, toujours réalisé par Landis, s'appelle « Time Out » et constitue la seule histoire originale du film. Il raconte l'histoire d'un homme profondément raciste et antisémite qui se retrouve propulsé dans la ville de Paris lors de son occupation par l'Allemagne nazie, un rassemblement du Ku Klux Klan et une jungle humide du Vietnam en proie à la guerre. Si l’accident de tournage n’avait pas eu lieu, l’épisode se serait achevé par la rédemption de son personnage principal, qui était censé sauver deux enfants vietnamiens durant la destruction de leur village.


Le segment de Joe Dante, « It's a Good Life », raconte l'histoire d'un enfant psychopathe qui a le pouvoir de matérialiser tout ce qu'il désire. Après avoir tué ses parents et fait retirer la bouche de sa grande sœur, il enlève de parfaits inconnus afin de se constituer une famille de substitution. Sa famille est condamnée à se plier à ses moindres désirs – qui se limitent globalement à regarder des dessins animés en permanence et à se nourrir exclusivement de burgers au beurre de cacahuète, de crèmes glacées et de chips. L'épisode est sans doute le plus intéressant et imaginatif, même s'il faut avouer qu'il verse parfois dans l'aberration esthétique.

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De son côté, George Miller – qui s’était déjà fait un nom avec Mad Max – s'est vu confier la tâche d'adapter l'un des épisodes les plus cultes de la série, « Nightmare at 20, 000 feet », dont l’original est réalisé par Richard Donner. Dans ce segment, John Lithgow incarne un homme terrifié par l'avion. Alors qu'il voyage en pleine tempête et semble pris d'une crise de panique, des hôtesses de l'air tentent vainement de le rassurer. Il finit par apercevoir un Gremlin sur l'une des ailes de l'avion et commence à semer l'hystérie auprès des autres passagers. 


Quant à Spielberg, il s'est penché sur un remake de l'épisode « Kick the Can », qu'il a achevé en l'espace de six jours, se déclarant trop affecté par la tragédie. Après l'accident, il aurait décidé d'abandonner le projet, avant de céder aux pressions du studio. Ce segment met en scène des personnes âgées qui habitent dans une maison de retraite de Sunnyvale. Un mystérieux vieil homme leur propose de retrouver la joie fugace de l’enfance en s’adonnant à une partie de Kick the Can – un jeu particulièrement populaire pendant la Grande dépression puisqu’il ne requérait aucun matériel coûteux. Durant la partie, tous redeviennent des enfants et se voient offrir le choix de poursuivre leur seconde vie. Dans un grand moment d’introspection, la majorité d’entre eux décide de rester âgée afin de ne pas avoir à souffrir une nouvelle fois de voir leurs proches mourir les uns après les autres. La conclusion de son segment peut se résumer au fait que parfois, une vie suffit. On pourrait presque dire la même chose de la série La Quatrième dimension, dont les adaptations multiples n'ont finalement pas toujours égalé la splendeur du matériau d'origine.


Julie LE BARON

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