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John Rambo, premier et ultime

La saga Rambo court du puissant First Blood, réalisé par Ted Kotcheff en 1982, à l'efficace quatrième (et ultime ?) volet pris en charge par Stallone lui-même en 2008.
John Rambo, premier et ultime

La saga Rambo court du puissant First Blood, réalisé par Ted Kotcheff en 1982, à l'efficace quatrième (et ultime ?) volet pris en charge par Stallone lui-même en 2008. Chez Sly, qui aura construit ses franchises en parallèle pour en faire un ensemble sur le devenir has been, tout tiendrait justement là, dans la confusion entre victoire et défaite, retraite et reprise, premier et dernier.


Revenu de l'enfer vietnamien pour rendre visite au seul frère d'armes qu'il lui reste, John Rambo voit le jour en 1972 dans le roman First Blood. Son auteur, David Morrell, signera également les novélisations des suites Rambo 2 : La Mission et Rambo 3. Cette fois, le roman naît du film et non l'inverse et il est dicté par Hollywood qui fabrique de plus en plus en série, certainement pour rivaliser avec la fiction feuilletonnante de la télévision. Cela donnera Star Wars, Rocky, Karaté Kid, Indiana Jones, Retour vers le futur, Delta Force, L'Arme fatale, Die Hard...


On a coutume de dire que les suites de Rambo étaient dispensables, que Sylvester Stallone aurait dû s'en tenir au « premier sang » versé dans la petite ville de Hope au début des années quatre-vingt. Le premier volet réalisé par Ted Kotcheff était en quelque sorte l'ultime, il incorporait le Viêt Nam dans l'Amérique (la forêt dans laquelle se réfugie le soldat), il confrontait – et confondait –- la proie et le prédateur avant l'arrivée d'un John McTiernan (les carnages et camouflages post-Nam du Predator doivent beaucoup à l'art guerrier de Rambo). Le premier volet était l'ultime parce qu'il n'y avait pas besoin d'aller ailleurs pour trouver l'Autre. L'Autre c'était John : l'incarnation de la défaite, le vétéran détesté aussi bien des conservateurs que des progressistes, le vagabond à la chevelure d'Indien refoulé de la Cité ou encore, quand la guerre fait rage, l'épouvantail qui se dresse en pleine wilderness devant une bande de flics à la matraque et à la gâchette faciles. La traque de Rambo convoque l'Ailleurs vietnamien mais aussi la mémoire des guerres passées. Les soldats de la Garde nationale, qui croient être venus à bout de lui en le faisant exploser avec un lance-roquette, rejouent la mythique scène du Raising the flag on Iwo Jima. Rambo est la victime expiatoire du fascisme américain. 

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Le premier sang de Jésus Rambo

« They drew first blood, not me » explique John à celui qui l'a formé, « créé à son image », le colonel Sam Trautman. Un personnage qui a marqué la culture populaire avec ses punchlines légendaires (« Dans ton cul » étant peut-être la plus mémorable). John lui est d'autant plus cher qu'il est sa dernière recrue encore en vie, son seul fils sur Terre. Les Inconnus, ces génies du pastiche et de la parodie cinéphile, avaient vu juste avec leur sketch « Jésus 2 : le retour ». Rambo, c'est le Christ. Sa chevelure n'est pas seulement celle de l'Autre, d'un homme « d'origine indienne et allemande », comme on l'apprend dans Rambo 2 : La mission (on appréciera la connotation religieuse du titre français). Elle évoque aussi celle de la seule personne au monde capable de « donner autant de pains à la fois », en bref de joindre l'acte à la parole : « Vous allez vous aimer les uns les autres, bordel de merde ! ». 


Cette dimension christique n'avait pas échappé à Serge Daney qui écrivait en 1988 dans Libé : « Mémoire récente du trauma vietnamien, mémoire ancienne du génocide indien, mémoire toute simple du peuple américain en tant qu'il ne doit pas oublier qu'il est un peuple guerrier. Au contact (un rien rude) de Rambo, à la faveur de la guerre qu'il leur déclare à lui tout seul, les « forces de l'ordre » d'une petite ville américaine réapprennent à se battre. C'est là le sacrifice de Rambo, c'est là sa dimension christique. A lui le calvaire, aux autres la prise de conscience. En ce sens, Rambo est un vrai Christ et sa « dernière tentation » (celle de n'être qu'un homme comme les autres) coïncide avec le « premier sang » (celui que, par pure méchanceté, on lui fait d'emblée verser). »

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« We Get to Win This Time »

Le « deuxième sang » d'une suite revancharde et révisionniste forcera le trait christique, avec un Rambo quasi-nu résistant au calvaire d'une prison d'eau croupie, les bras attachés à un joug de bœuf, à la merci des Viets. Comme personnages, ces derniers n'ont aucune psychologie ni aucune consistance. C'est l'Autre dans son versant le plus raciste, ce sont des cibles muettes à éliminer comme dans un FPS.


Rambo 2 : La mission s'ouvre sur une explosion. On croirait se trouver en pleine bataille, puis la caméra descend sur des taulards cassant de la roche. Depuis son arrestation à la fin de Rambo 1, John expie ses fautes dans des travaux forcés. Mais la guerre, invasive, perpétuelle, n'est jamais loin. Sam Trautman lui offre une chance d'être réhabilité et de redevenir un citoyen ordinaire (sa « dernière tentation » comme l'écrit Daney). De même que les chrétiens les plus fervents espèrent le deuxième avènement du Christ, son second coming, les derniers américains restés au Viêt Nam peuvent attendre John comme le messie : il les sauvera et les ramènera au pays. Nous sommes en 1985, dix ans après la défaite américaine, et Rambo 2 nous ramène sur le théâtre originel pour réécrire l'Histoire à l'aune du célèbre diction biblique : « les derniers seront les premiers ». Nous avons perdu mais cette fois nous allons gagner. We Get to Win This Time est d'ailleurs le titre d'un court documentaire de 20 minutes consacré au making of de Rambo 2.


Dans cette suite réglée à l'heure reaganienne, on trouve pourtant bien un conflit intra-américain, bien qu'il n'ait pas la puissance critique du premier volet. Sly y tenait. Pour cette raison, il remaniera le script de son co-scénariste James Cameron, plus porté vers le rapport à la technologie, pour insister sur la division entre Rambo et le chef des opérations Murdock (Charles Napier) : « James Cameron est un talent exceptionnel. Mais je pensais que la dimension politique était importante, ainsi qu'on la trouve dans la position de droite de Trautman et de sa némésis Murdock, et qui est contrastée par la neutralité évidente de Rambo, qui s'exprime dans son discours final. J'ai conscience que ce discours a peut-être fait exploser les veines des globes oculaires de millions de spectateurs à force de trop les rouler, mais ce sentiment m'a été exprimé par de nombreux vétérans. Aussi, dans la première version du scénario, il fallait attendre 30-40 pages avant que l'action ne commence, et Rambo avait pour équipier un acolyte fondu d'informatique. Le script allait au-delà de la politique et l'histoire était plus simple. »


Esclave des nouvelles machines et de la bureaucratie, Murdock n'entend pas secourir les prisonniers mais plutôt clore le dossier de leur présence, afin de contenter Washington qui ne veut pas d’une nouvelle guerre du Viêt Nam. Mais tout de même, il faut se donner bonne conscience et donner au peuple l'illusion que tout a été fait pour retrouver les derniers survivants. Alors même que Rambo excelle dans cette mission, Murdock l'abandonne à son sort. À lui le calvaire christique, aux autres la prise de conscience, encore une fois. Stallone utilisera un mot pour désigner cette condition, ce paradoxe d'être le premier à se donner et le dernier à recevoir : « expendable ». 


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« I'm expendable »

Mis au ban de la société américaine, John Rambo est l'« expendable » primitif. Il est la première occurrence de l'homme « invisible » et « superflu » incarné par Stallone, celui dont la vie compte pour rien et qui, en retour, confère une valeur inestimable à celle des autres : « Live for nothing or die for something » formule-t-il dans John Rambo, quatrième et à ce jour ultime volet sorti en 2008. Avant cela, il y a le « I'm expendable » historique que John lâche à Co-Boa, sa partenaire sensible à son sort et à ses charmes dans Rambo 2. L'espionne vietnamienne meurt des balles de l'ennemi juste après lui être tombée dans les bras. Leur relation extrêmement fugace sera le seul et unique love interest de la saga. Ici, la romance aussi est sacrifiée. Pour des raisons virilistes évidentes (on préfère s'entretuer entre mecs) mais peut-être aussi à cause de la philosophie du consommable à l'œuvre chez Sly.


À la fin des années 2000, cette philosophie donnera naissance à une célèbre franchise taillée dans le roc stallonien. Expendables reprend les motifs de tous les Rambo movies cumulés : petit groupe vs armée, camp imprenable et sauvetage de prisonniers, peuple opprimé et demoiselle en détresse. Expendables, c'est donc une sorte de franchise de franchise, une franchise au carré. Car à mesure que la saga Rambo s'est étoffée, elle est devenue un produit exportable. John est devenu lui-même un guerrier franchisé, pouvant exercer son savoir-faire sur d'autres territoires. L'expérience vietnamienne est passée à l'arrière-plan, le domaine de la lutte s'est étendu tandis que l'anticommunisme aura pris du muscle avec le troisième volet afghan et ses moudjahidines se libérant de l'oppresseur soviétique. Les Viets auront finalement été des figurants à côté des abominables colonels Podovsky et Zaysen (respectivement les méchants de Rambo 2 et Rambo 3). Adapté à un nouveau contexte géopolitique, John Rambo leur substituera une une armée birmane génocidaire par laquelle une poignée de missionnaires ne se laissera pas intimider.


Dans la filmographie de Sly comme acteur principal et réalisateur, Expendables lui fait justement suite, il hérite de son réalisme post-11 septembre, de ses scènes d'action véloces, de ses saillies gore et de ses corps déchiquetés jusqu'alors inédits dans la saga. À cette différence près que Sly, consommable assumé et décompléxé, injectera une dose de méta et de second degré en conviant les has been magnifiques des années 1980-90 (Schwarzy, Bruce Willis, Chuck Norris, Dolph Lundgren, Jean-Claude Van Damme, Wesley Snipes) autant que les jeunes dans le coup (Jason Statham en tête), les premiers actionners autant que les derniers. 


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Fermer le dernier sur le premier

Revenu des enfers vietnamien, afghan et birman, John taille la route, son baluchon sur le dos mais, depuis 1982, il lui aura poussé des rides, des muscles et un cou de taureau. C'est comme si Stallone jouait son moi jeune mais avec trente ans de plus, comme la Peggy Sue de Francis Ford Coppola ou sa variation française Camille redouble.On a coutume de dire que les suites de Rambo étaient dispensables, que Sly aurait dû s'en tenir au « premier sang ». Mais alors nous n'aurions pas connu le vertige des derniers plans du dernier volet. Nous n'aurions pas été bouleversés par la façon dont Sly referme l'ultime sur le premier. Une fin parfaite si ce quatrième volet devait être le tout dernier. 


De Rocky à Expendables en passant par Rambo, toutes les franchises stalloniennes auront été construites sur le même principe : une hantise du « hasbeenisme », une vie où se confondent la reprise et la retraite, le winner et le loser, le premier et le dernier. Si l'on est has been depuis toujours, alors on ne l'est jamais vraiment. Sly, ou la possibilité d'être et d'avoir été.


Nathan RENAUD

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