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JFK : retour sur le film culte d'Oliver Stone

Oliver Stone et Kevin Costner en têtes de gondoles, trois heures de montage abrupte, une galerie de personnages labyrinthique, et un bavardage incessant. Croyez-le ou non, ce cocktail magique obtient la sixième position d'un box office mondial 1991 d
JFK : retour sur le film culte d'Oliver Stone

Oliver Stone et Kevin Costner en têtes de gondoles, trois heures de montage abrupte, une galerie de personnages labyrinthique, et un bavardage incessant. Croyez-le ou non, ce cocktail magique obtient la sixième position d'un box office mondial 1991 dominé en 1991 par Terminator 2. En 2016, retour et revisionnage d'un film culte, un peu oublié, un film historique dans son sujet mais aussi dans son statut actuel.


Le film s’écrit et se produit en 1991. Oliver Stone est alors un auteur et un réalisateur important à Hollywood. Scénariste de Midnight Express, Scarface ou L’Année du Dragon, il  passe à la réalisation et sort à la fin des années 80 trois succès qui détonnent dans la féérie de la décennie golden boys et pop corn movies : Platoon (Oscar du meilleur film), Wall Street et Né Un 4 Juillet. Il commence à déclencher les polémiques sur ses libertés prises avec l’histoire avec son biopic à succès The Doors. Quand le batteur John Densmore dit approuver le film, le clavier et gardien du temple Ray Manzarek s’offusque de la peinture faite de la psychologie de Jim Morrison.

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Tant que le succès suit, et c’est le cas pour Val Kilmer a.k.a Jim Morrison, Hollywood reste bienveillant avec lui. Du coup, Stone, le baby boomer, décide de passer à l’icône de sa génération : le président Kennedy et son assassinat. Ça tombe bien puisque les étoiles semblent alignées. Le climat politique tout d’abord. Au début des années 90, les républicains semblent intouchables à Washington. Le règne ultra libéral au story telling parfait du cowboy Reagan a refait du président un personnage positif et puissant dans l’imaginaire populaire après la succession de présidents à l’image désastreuse : Nixon, Ford et Carter dans les années 70. Puis vient l’apothéose :  la chute du mur de Berlin et l’ennemi soviétique qui s’effondre tel un château de cartes au cours des 18 mois qui suivent. Son vice-président, George Bush, s’est fait élire très largement en 1988 et s’apprête à faire la guerre à Saddam Hussein qui vient d’envahir le Koweit. Les studios ont une grande tradition de sensibilité démocrate et comme la plupart des observateurs désabusés, ils ne voient pas le président républicain sortant ne pas être réélu, d’autant qu’aucun cador potentiel ne semble pointer le bout de son nez côté démocrate.


L’aspect générationnel joue aussi. Les cadres des studios sont alors tous des baby boomers de 40-50 ans hantés par le « président-martyr », dernier président à potentiel héroïque jusqu’à Reagan. Mais surtout, les studios pensent que commercialement, il y a à nouveau du potentiel pour les sujets sérieux et spectaculaires d'une grande force polémique. Star Wars avait dans les années 70 révolutionné une production qui investissait auparavant dans les films engagés de Sydney Pollack comme Les Trois Jours du Condor ou évidemment Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula, film sur l’enquète des journalistes du Washington Post dévoilant le Watergate et entraînant la démission de Richard Nixon. Les effets spéciaux, le sens de l’épique, les héros positifs, le box office et le palmarès de Oscars des années 80 en regorgent. Il n’y a plus beaucoup de place pour la remise en cause de l’état et des institutions dans le cinéma des années Reagan. Pas forcément question de parler de censure politique, c’est surtout le public qui n’en veut plus.

Oliver Stone a été élevé dans des convictions républicaines dans les années 50 et 60, puis a fait le Vietnam. Il en a bien sûr parlé dans ses films mais il raconte à longueur d’interviews et fait dire à Kevin Costner dans JFK qu’avec Kennedy vivant et réélu en 1964, il y aurait eu retrait des troupes américaines d’Asie du Sud Est. C’est la clé de l’obsession d’Oliver Stone pour l’assassinat de Kennedy, c’est ce qui le motive à acquérir les droits du livre de Jim Garrison, initiateur du seul procès ayant jamais débattu judiciairement de l’assassinat du président Kennedy en 1969.

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Elément important : le procès fut perdu par Garrison à l’époque et de l’aveu même de Stone, si l’enquête s’illustre par des thèses intéressantes, elle a aussi pâti d’une grande naïveté. Toujours est-il que dans cette idéologie américaine de winners face à l’adversité, Stone a le mérite de proposer un film débouchant sur un procès perdu par le héros et rabâchant un des moments les plus douloureux de la conscience collective nationale d’alors. La très bonne idée est de s’inspirer en grande largeur du chef-d’œuvre du genre enquête politique : Z de Costa-Gavras. Moins bonne idée mais logique commercialement : réunir un casting digne des fresques historiques d’antan avec le gotha du cinéma américain toutes générations, soit l’âge d’or 50’s avec Jack Lemon et Walter Matthau, les années 70 libérales avec Donald Sutherland et Sissy Spacek, Joe Pesci prié de venir se croire chez Scorsese, Kevin Bacon tout jeune et les deux que Oliver Stone semble privilégier, Gary Oldman dans le rôle d’Oswald et Tommy Lee Jones pour l’accusé énigmatique Clay Shaw.


La polémique autour de JFK a commencé six mois avant la sortie du film. La presse la plus politique vilipende le parti pris des thèses de Garrison. Elle réagit comme l'incarnation d’un establishment coulé dans le moule républicain depuis dix ans. C’est surtout une polémique qui ne supporte pas la répétition du terme « coup d’état » tout au long du film. C’est la thèse de Stone : assassiner Kennedy est un coup d’état d’une association d’intérêts convergents entre militaires et industriels manipulant toute une faune d’exécutants d’horizons divers pour garantir la poursuite de la croissance de l’industrie d’armement américaine. Kennedy et son frère Bobby (assassiné à son tour en 1968) font figure d’idéalistes peu conciliants avec les impératifs de profit des marchands d’armes qui prospèrent grâce à la guerre froide. Du coup, publiquement, on en fait des tonnes sur les approximations du film et sur les raccourcis opérés autour des personnages fictifs mêlant les différents protagonistes de l’affaire. L’Establishment qui n’est plus ébranlé tous les matins comme dans les années 70 peine surtout à reconnaître la faiblesse de l’enquête offerte au peuple américain pour l’assassinat de son président. Si les thèses de Stone sont à débattre, JFK a le mérite de réintégrer la parole populaire sur ce sujet sensible.

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Avec le recul et le vent de polémique en moins, le film est encore très fort. Alors il faut digérer beaucoup d’informations et maîtriser un minimum pas mal d’éléments de contexte comme les détails du fiasco de la Baie des Cochons. Aujourd’hui sur un format de série ou de mini série, toute la peinture du contexte pourrait être couverte et on aimerait notamment voir dans le détail le personnage de Joe Pesci diriger ses para militaires cubains, Tommy Lee Jones dévoiler davantage la personnalité centrale de Clay Show et surtout avoir une immersion plus concrète dans la psychologie d'Oswald, génialement incarné par Gary Oldman. Le film fonctionne comme un tableau trop chargé de personnages bien incarnés mais à l’étroit. Oliver Stone nous balance tous les éléments de l’enquête, la théorie du complot bien chevillée au corps. On encaisse tant bien que mal et on remercie Kevin Costner qui fait office de pompier de service via ses monologues pénétrés et les scènes d’engueulades de couple avec Sissy Spacek pendant lesquels on cherche à comprendre les liens entre la mafia, les cubains, les militaires, le tailleur rose de Jackie Kennedy… Soulignons aussi la magnifique scène de dialogue entre Costner et Donald Sutherland, fantastique Mr X donnant les clés du puzzle au procureur Garrison. Louons enfin le film pour l’exposition qu’il propose du mythique film amateur d’Abraham Zapruder captant ce qui apparait comme l’exécution d’un président américain.


Au final, bien boosté par Kevin Costner sortant de Danse Avec Les Loups et Robin des Bois, le film est un immense succès mondial. Mission accomplie dans un premier temps pour Oliver Stone, le président Bush décidant même de légiférer avec le John F. Kennedy Records Collection Act de1992. Cette mesure crée un fond de collection de tous les documents liés à l’assassinat pouvant aider l’établissement de ses circonstances. On n’en sait pourtant pas plus. Cette sympathique initiative serait sûrement encore plus intéressante si la CIA voulait bien lâcher ses cartons à archives des années 60 mais cela ne semble pas prévu pour tout de suite, donc les Américains se contentent de la bonne volonté. Il y a tellement de bonne volonté chez Bush Senior justement qu’il en perd les élections face à un inconnu de l’Arkansas, Bill Clinton, qui ramène les démocrates au pouvoir de manière inespérée (cela reste la dernière défaite électorale d’un président américain briguant un second mandat). Peut être JFK a-t-il donné un souffle supplémentaire à la campagne Clinton, en tous cas plus qu’au reste de la carrière de Kevin Costner.


Benjamin Durand