Avec The Good Doctor l'autiste n'est pas juste un geek rigolo
Le succès de la série The Good Doctor a pour une fois brisé un tabou. Celui de mettre en scène un autiste qui ose dire le mot. De fait, le monde des séries télés n'aborde que très rarement le sujet frontalement.Le succès de la série The Good Doctor a pour une fois brisé un tabou. Celui de mettre en scène un autiste qui ose dire le mot. De ce fait, le monde des séries télés n'aborde que très rarement le sujet frontalement, surtout en dégainant un mot qui suscite autant de compassion - à distance - que de peur intime (personne n'est à l'abri).
Il faut commencer par une confidence. Lorsque l'on est directement concerné, il est parfois très difficile d'en regarder la transposition fictionnelle. On n'a jamais pu dépasser le troisième épisode de Mindhunter dès lors que le fils de Bill, clairement autiste (sans jamais prononcer le mot, grand classique) est apparu, quand les histoires de dépeçage de femmes pour mieux déféquer dans leur cerveau nous laissaient froids devant la tablette.
Les séries ont besoin de personnages, une grosse faim de caractères le plus typés possibles. Et donc inévitablement, elles doivent venir se repaître dans le vivier des pathologies comportementales. Certes l'autisme ou les TSA (troubles du spectre de l'autisme) couvrent un horizon très vaste de cas, cependant un profil va se détacher du lot : l'Asperger et l'autiste dit « savant » (figé au cinéma par Rain Man, et repris, plus proche de nous, dans les Power Rangers version 2017, on dépoussière comme on peut chez Saban). Pour les séries télés, il offrait un grand nombre davantage : il est verbal (il parle, disons que c'est plus présentable et plus « humain »), il possède des qualités parfois hors-normes qui lui octroient un quasi statut de super-héros (ce qu'il peut être avec le personnage de Gary Bell comme dans « Alphas », tentative frustrante dans une série ratée) et il peut être interprété par n'importe quel jeune acteur qui veut prouver son talent en rêvant de rejoindre Hollywood. De House aux Experts (Las Vegas), les autistes fourniront ainsi régulièrement de précieux featuring. Parfois la « question » servait de toile de fond, ainsi dans la saison 2 de The West Wing lorsqu'un sénateur provoque un blocage parlementaire pour obliger la Maison Blanche a financer la recherche dans ce domaine. Le héros récurrent restait plus rare. C'était d'autant plus dommage et incompréhensible que la série semblait être le support narratif idéal pour transposer le trait essentiel de l'autisme : il faut apprendre à vivre avec, au quotidien, pour la vie. D'où la passion des blogs spécialisés pour pister ou révéler les traits autistiques de certains d'entre eux, de Grissom à Holden Ford (toujours dans Mindhunter).
The Good Doctor, adaptation d'une série sud-coréenne (la Péninsule asiatique est la nouvelle Norvège), brise donc, presque, un tabou, surtout pour un programme qui cherche clairement à charmer le grand public. Malgré parfois les insupportables travers de toutes les séries médicales, y existe clairement la volonté de sortir des clichés, y compris pour souligner le rôle de l'entourage qui doit parfois supporter douloureusement les conséquences du TSA. Les imperfections sont nombreuses, néanmoins les grandes thématiques sont bien là : l'intégration dans la vie « normale », la violence du rejet, le stress protecteur des proches... et même parfois la cruauté involontaire de leur aphasie affective.
Le plus terrible reste que le personnage de Shaun Murphy donne finalement la réplique à ce qui reste aujourd'hui la principale et la plus fameuse incarnation de l'autiste dans le petit écran, j'ai nommé Sheldon Cooper. Naturellement, vendre une comédie exige un peu plus de légèreté. Les auteurs ont toujours refusé de laisser le terme pénétrer la zone burlesque du show, laissant l'image du geek extrême protéger le succès de la série. Pourtant Sheldon en a tous les traits, voire certains que seuls les spécialistes et les familles peuvent soupçonner, comme sa passion pour les trains, au point de traverser tous les États-Unis sans jamais sortir des gares. Dans un épisode presque transgressif, Sheldon oblige Leonard à porter un pull particulièrement irritant à longueur de temps pour lui faire comprendre pourquoi certaines petites choses, anodines pour le commun des mortels, le font souffrir atrocement de l'intérieur. Il restera à jamais regrettable que cette merveilleuse pédagogie pour tenter d'expliquer le TSA ne confesse jamais son nom. Il n'en reste pas moins, et c'est peut-être le plus terrible, que par bien des aspects, l'allusive Big Bang Therory s'avère presque une plus grande série sur l'autisme que par exemple la louable mais trop « je veux mon Grammy » « Atypical », dont par contre il faut reconnaître le souci de mettre en relief les sacrifices et le poids qui retombent sur les frères et soeurs. La dernières venue, l’israélienne « On The spectrum » emprunte encore davantage le chemin de l'hyperréalisme, au risque parfois d'être davantage un long documentaire qu'une fiction. Or justement, l'autisme a besoin des séries pour devenir une part de notre imaginaire, de notre pop culture. Ce sera peut-être en retour l'un des biais de l'acceptation...
Comme le confiait finalement, pour résumer ou classer l'affaire, ce brave Sheldon : « Je ne suis pas fou. Ma mère m’a fait passer des tests. ».
Nicolas KSSIS-MARTOV