Julia Roberts : une grande actrice aux petits films
Aux Yeux De Tous sort demain dans les salles obscures françaises avec en tête d’affiche Julia Roberts et Nicole Kidman. Mouais…Il se traîne la réputation d’être un ersatz pâlichon du film argentin oscarisé Dans Ses Yeux de Juan José Campanella.Aux Yeux De Tous sort demain dans les salles françaises avec en tête d’affiche Julia Roberts. Le film se traîne la réputation d’être un ersatz pâlichon du film argentin oscarisé Dans Ses Yeux de Juan José Campanella. Mauvaise publicité mise à part, force est de constater que voir "le dernier Julia Roberts" ne nous exalte plus des masses, et ce depuis plusieurs années déjà.
Julia Roberts est une star. Mieux: une icône. Par habitude, nous ne remettons pas ce statut en cause. Mais lorsqu’on s’arrête plus longuement sur son cas, on s’entend penser "Oui, mais pourquoi déjà ?". Julia Roberts nous a habitué à alterner les bons films et les productions passables. Pour un Affaire Pélican ou un Erin Brokovich, combien de navets ? Notre mémoire sélective joue en sa faveur. Qui se souvient encore de Prêt à porter, Mary Reilly ou Just Married (ou presque) ? Il fut un temps où elle parsemait tout de même sa filmographie de quelques bonnes productions, d’œuvres plutôt attachantes, et même de très grands films. De quoi faire passer la pilule. Mais depuis l’an 2000, plus rien.
Autopsie d’une carrière flinguée par le nouveau millénaire.
Si vous cherchez le qualificatif le plus souvent attribué à Julia Roberts, c’est "pétillante" qui tombe en tête de liste. Attention à ne pas se méprendre: derrière la légèreté de ses rôles, elle ne tombait jamais dans la superficialité. Bien au contraire, Julia Roberts était une force tellurique à qui personne ne pouvait résister. C’est par sa vivacité, son énergie, sa puissance qu’elle transcendait ses rôles. Par facilité, on a beaucoup glosé sur son sourire. Mais Julia Roberts, ce n’est pas seulement le plus beau capital dentaire d’Hollywood. Son jeu était basé sur sa fraîcheur et une fausse innocence pleine d’humour. Avec sa démarche dégingandé, Roberts mélangeait charme, gaucherie et un poil de vulgarité. C’est ce côté bimbo naturelle qui la rend tout aussi improbable que touchante. Bimbo naturelle. Elle seule pouvait rendre cet oxymore envisageable.
Sa carrière commence véritablement avec Pretty Woman. Pas un chef d’œuvre, ok. mais un classique. Elle porte le film avec un enthousiasme sans égal. Le chewing-gum à la bouche, elle y parle fort et chante faux. Toute l’Amérique tombe en pamoison devant tant de culot. Julia Roberts a construit sa gloire sur l’image d’une femme simple en incarnant des héroïnes populaires : serveuse qui attend l’homme qui la sortira de son boui-boui dans Mystic Pizza, escort girl dans Pretty Woman ou une femme de la classe moyenne qui refuse de se laisser écraser par une grande corporation dans Erin Brokovich. Ce qui lui confère une proximité avec les spectateurs. C’est d’ailleurs le film sur la lanceuse d’alerte qui marque le climax de ses apparitions à l’écran. Sa présence puissante donne corps à la volonté de justice de cette femme et sa quête du respect. Elle apporte même une touche d’humour, ridiculement attifée de drôles de parures sexy. Elle rafle l’Oscar de la meilleure actrice pour le rôle. Plus jamais elle ne retrouvera un tel équilibre parfait entre gravité et désinvolture.
Mais après son décollage dans les années 90 et sa consécration à la fin de cette décennie et au début de la suivante, elle commence à lasser. Pas de traversée du désert puisqu’on la voit encore régulièrement. Mais une bonne balade en barque tant elle semble ramer à contre-courant. En 2004-2005, c’est carrément la disette. Elle cachetonne en faisant les voix d’une fourmi (Lucas, Fourmi Malgré Lui) puis d’une araignée (Le Petit Monde de Charlotte). On a peur qu’elle disparaisse dans l’infiniment petit. Elle avait pourtant joué la fée clochette dans le Hook de Spielberg.
Elle a épuisé le filon de la comédie romantique jusqu’à la corde. Just Married (Ou presque) avec Richard Gere est un Pretty woman 2 déguisé. Déjà, la magie s’épuise. Avec Le Mariage de Mon Meilleur Ami, elle signe un nouveau succès en salle. Néanmoins, le film est anecdotique, son seul intérêt étant de faire perdre son héroïne à la fin. La saturation commence à poindre avec Love, Wedding, Mariage. Elle signe là son troisième film de mariage. Un record. Ce qui lui vaudra un clin d’œil dans Ocean’s Twelve où le personnage de Linus est persuadé que Julia Roberts joue dans Quatre Mariage et Un Enterrement. Comme Hugh Grant, son partenaire à l’écran dans Coup de Foudre à Notting Hill, elle est devenue synonyme de films vaguement sympathiques parfumés à l’eau de rose. Pire, elle est associée à l’abominable expression "feel good movies". Elle souffre de la ringardise de ces films sentimentaux qui se fait manifeste depuis que des gens comme Judd Apatow ont contribué à dépoussiérer la rom-com en la reconnectant avec les véritables préoccupations des couples modernes.
Julia Roberts aime travailler avec les amis. Côté réalisateurs, elle reste loyale à Garry Marshall, celui par qui tout arriva, en collaborant avec lui cinq fois en tout. Idem pour Steven Soderbergh, celui qui l’amena au plus haut. Côté acteurs, c’est Georges Clooney qui a ses faveurs avec quatre projets ensemble en comptant Money Monster qui sortira en mai. Elle n’hésite pas à renouveler les duos qui ont marché: elle a remis le couvert avec Richard Gere et avec Tom Hanks. On peut saluer sa fidélité mais on a souvent une impression de déjà-vu. Et si ses affinités sélectives tournaient aux recettes périmées ?
L’actrice a du mal à se réinventer. L’histoire de Julia Roberts, c’est l’histoire d’une star qui a raté sa révolution adulte. Lorsqu’elle essaie de revenir aux rôles de ses débuts, l’illusion ne prend plus. Lorsqu’elle veut casser son image, le résultat n’est pas là. Les rôles plus sombres ne lui conviennent pas, elle y étouffe à petits feux. Quand elle tente le thriller, elle ne brille guère. Elle s’y ennuie. C’est flagrant dans Duplicity de Tony Gilroy. Elle paraît molle, usée jusqu’à la moelle. Fait révélateur, Soderbergh, bien qu’ami de l'actrice, refuse sa participation à Traffic malgré ses appels du pied. Le réalisateur déclarait à l'époque: "Il est inimaginable pour moi de la caster pour un rôle sombre, quand son don est sa force vitale qui vous donne vraiment envie de regarder". Roberts cherche encore sa place. Dans Mange, Prie, Aime, elle incarne une divorcée paumée qui trouve dans une idéologie new age à deux euros un sens à son existence. Comme son personnage, l’actrice cherche un nouveau souffle sans y parvenir.
Julia Roberts est prisonnière de l’image créée au début de sa carrière. Faute d’inspiration, elle devient son propre fantôme. Tout un symbole: elle a joué son propre rôle plus que n’importe quel autre comédien(ne). Quitte à tomber dans la caricature. Dans The Player de Robert Altman, l’histoire d’un producteur qui assassine un scénariste, elle fait partie des soixante personnalités (dont Bruce Willis, Malcom Macdowell ou Nick Nolte) qui apparaissent furtivement. Jusque là, on était plutôt dans le clin d’œil. Dans Coup de foudre à Notting Hill, la frontière entre le personnage et la star s’étiole. Son rôle dans Ocean’s Twelve est un sommet d’autoparodie. Son personnage utilise sa ressemblance avec Julia Roberts pour aider Danny Ocean à mener à bien son arnaque. Une prestation qui sera même raillée par Seth MacFarlane dans son American Dad. Et si finalement Julia Roberts ne savait jouer que Julia Roberts ?
Dans Larry Crowne, de et avec Tom Hanks, elle campe le rôle d’une professeur cynique qui va redécouvrir l’optimisme grâce à la naïveté et la motivation de l’un de ses élèves. Peut-être que Hanks voulait lui montrer au travers de ce film qu’elle ne retrouverait sa superbe qu’en retrouvant de l’innocence… Mais le long-métrage, plombé par une niaiserie sidérante, tourne au pathétique. Elle nous y demande de manière peu subtile une seconde chance. Ce n’est pas avec ce navet que nous passerons l’éponge.
L’enchaînement des mauvais films nous amène à reconsidérer l’ensemble de son œuvre. Quand on regarde sa filmographie de plus près, on se rend compte que Julia Roberts s’est maintes fois cachée dans des films choraux. Preuve en est, entre Le Sourire de Mona Lisa en 2004 et Mange, Prie, Aime en 2010, elle n’a porté aucune oeuvre sur ses seules épaules! Habile, elle profite régulièrement du "cheerleader effect", qui veut que nous soyons plus attrayants en groupe qu’individuellement. Dans Mystic Pizza, c’est grâce au trio qu’elle forme avec Annabeth Gish et Lili Taylor qu’elle est remarquée. Dans Potins de Femmes, elle remporte le Golden Globe du meilleur second rôle féminin en passant les plats à Shirley MacLaine, Sally Field et l’épouvantail Dolly Parton.
Dans certains cas, sa participation est plus anecdotique. Au sein de la bande de Danny Ocean, elle a un rôle de potiche. Elle est le trophée que se disputent les deux machos George Clooney et Andy Garcia. Avec Garry Marshall, sa partition s’est rapprochée dangereusement du caméo. Dans Valentine’s Day, ce sont les jeunes premiers qui sont à l’honneur: Jessica Alba, Jessica Biel, Bradley Cooper, Ashton Kutcher, etc… Elle y fait surtout acte de présence. Elle n’a que 252 mots à dire. La légende veut qu’elle les aurait facturé à 12.000 $ l’unité… Autant dire que personne n’attend Mother’s Day qui sortira cette année. On frémi en pensant à la prochaine date du calendrier qui sera prétexte à mièvrerie. A quand St Patrick’s Day avec Julia en gérante de pub cherchant l’amour ?
Parfois, à jouer en équipe on risque de sombrer avec tout le groupe. C’est tout particulièrement le cas dans le récent Un été à Osage County. Dans ce règlement de compte familial hystérique, le casting fait envie: Meryl Streep, Juliette Lewis, Ewan McGregor, Benedict Cumberbatch. Pourtant, c’est un naufrage. Roberts essaie tant bien que mal de tenir la baraque. Mais comment sauver les meubles quand Streep elle-même en fait des tonnes en mère odieuse, gesticulant pour se faire remarquer par l’Académie des Oscars ?
Bref, à se fondre dans la masse, Julia perd son aura de star. Elle est presque devenue un objet pop que l’on pose là pour profiter de la nostalgie des spectateurs. Ou alors elle est utilisée en second rôle de luxe pour assurer le boulot. Depuis le début des années 2000, sa carrière ressemble à une perpétuelle tentative de retour ratée. A l’heure où même le grand Bob De Niro doit prendre un stage pour gagner sa croûte (Le Nouveau Stagiaire, 2015), on pourrait se demander si Julia Roberts n’est pas la victime du jeunisme ambiant à Hollywood. Mais le véritable problème, c’est qu’elle n’a pas su changer, se condamnant à être une pâle copie d’elle-même.
Si pour l’instant l’encéphalogramme de sa carrière est plat comme un paysage belge, on peut espérer que Julia Roberts fasse une troisième partie de carrière plus décalée qui lui permettra de sortir de sa cage où sa notoriété des années 90 l’a enfermée. Si Travolta a pu faire oublier Grease, Julia Roberts peut faire oublier Pretty Woman. Encore faudrait-il qu’un Quentin Tarantino ait envie de la sublimer.
Félix Lemaître
Aux Yeux de Tous – Demain dans les salles