Le communisme, un thème qui a toujours fasciné les séries TV
The Americans est un petit plaisir coupable, l’un des meilleurs de ces dernières années. Espionnage, sexe, vie de famille et communisme. Le tout ficelé dans l'Amérique des années 80 qui découvre, en pleine seconde Guerre Froide, l'informatique et l'éThe Americans est un petit plaisir coupable, l’un des meilleurs de ces dernières années. Espionnage, sexe, vie de famille et communisme. Le tout ficelé dans l'Amérique des années 80 qui découvre, en pleine seconde Guerre Froide, l'informatique et l'épilation intégrale. Nous revenons cependant de loin. En effet, le rouge a failli disparaître de nos écrans. Heureusement, nous aimons toujours plus les méchants que les gentils.
L'écroulement des statues de Lénine et autres transitions vers l'économie de marché sont passées à deux doigts de nous priver de cette sublime figure, des plus atypiques, du paysage des séries télés : le communiste. Qu'il soit espion infiltré, traître sans moral, ou tueur maléfique du KGB, son visage figé, ses mimiques constipées et la froideur toute mécanique de sa logique marxiste détonnaient au milieu des costards à quatre épingles pré-coïtal ou autres sourires carnassiers du capitalisme consumériste.
Néanmoins, pourquoi continuer à parler d'une menace quand désormais le pire danger avec l'accent russe s'incarne dans ces mafieux tatoués (par exemple le tueur cosaque à lunette de Little Odessa dans Oz) et autres fantasmes exotiques pour Desperate Houswiwes ? Le péril islamiste s'avère bien plus crédible, et au passage possède certains traits fort similaires à ceux de son prédécesseurs athée: une internationale qui étend progressivement son ombre avec une cinquième colonne invisible au coeur du Monde Libre.
Mais la nostalgie n'avait pas dit son dernier mot. S'il est possible de rendre passionnante et porno chic (saloperie de lingerie vintage) une agence de pub dans les sixties, rien n'interdit donc de se pencher sur nos anciens ennemis venus du froid. Même NCIS avec son éternelle menace Nord-Coréenne l'a compris, une faucille et un marteau restent des valeurs sûres. Syndrome Mad Men oblige, le communiste est dorénavant un souvenir, et il y gagne forcément en humanité ce qu'il perd en dangerosité, car, il faut l'admettre, nous savons tous de quelle manière s'est déroulé le happy end. Nous voilà confrontés à une lente maturation ideologico-culturelle qui a rendu le marxiste-léniniste si proche de nous et de la Californie. Dans une Amérique ou l'on tourne des séries sur Lucifer et ses doutes existentiels, il est désormais possible de se demander si ces odieux collectivistes n'avaient finalement pas si tort de ne pas combattre les vilains yankees… A se demander si Philip et Elizabeth Jennings n'ont pas préparé le terrain pour Bernie Sanders.
Durant la guerre froide, la vraie, celle de la crise des missiles et des échanges sur un pont brumeux, la télé fut aussi un soldat. Parmi toutes les explications qui ont été avancées pour comprendre l'effondrement du bloc socialiste, bien davantage que la supériorité de la CIA ou le triomphe de la liberté, la victoire au point d'audimat et au marché noir polonais d'une pop culture mainstream, y compris avec la religion grâce à Jean-Paul II, représente sans doute la plus absurde, et inévitablement la plus probable. Quand le Pentagone parlait d'endiguer l'empire du mal, Rambo se contentait de les transformer en cible pour FPS, après que Bond ait dégagé le terrain de la domination virile en ayant amené toutes les Anya Amasova (aka Agent XXX) dans son lit.
Les séries télé américaines, bien davantage que le cinéma, qui parfois su jouer la carte de l'autocritique (de Dr. Folamour à Sens Unique), ont sorti l'artillerie lourde de la réification de l'adversaire, muté en robot joueur d'échec au service d'une cause inhumaine. Le communiste est le méchant sans faille. Froid, calculateur, sans moral. Intelligent, dangereux, rarement voire jamais fascinant ou complexe. En outre, il se révèle caméléon. Dans Hawaii Police d'état ou Magnum, le rouge vire au jaune dans ces petites îles paradisiaques, mur de Berlin en plein pacifique face à une Asie bolchévisée. Pas de débat de fond. Ni de valeur comparée. C'est eux ou nous. Même quand il s'agit de rêver de paix, à l'instar de la première version de Star Trek, le russe s'appelle Tchekov, figure rassurante de la mère-patrie des écrivains romantiques et du thé au citron, et l'asiatique adopte le sourire zen, millénaire et réconfortants de Lao Tseu.
Le reste du temps, l'oncle Sam réclamait un croquemitaine. Il était là, si proche, y compris planqué à quelques miles de Miami (« quand je tue un communiste j'ai le fou rire », notre Scarface latino laissera cet incroyable gimmick dans la culture hip-hop). Inaccessible, inconnu, mystérieux, presque sans vie ni autre désir que de détruire le mode de vie américain. Il ne coûte pas très cher en acteur syndiqué et aucun ne fera carrière en le campant. Et puis ce con s'est rendu. Enfin, il a déclaré forfait. Amerika, sorti en 1987, sorte de transposition télévisuelle de l'Aube Rouge, malgré le beau soutien commercial des protestations véhémentes d'une Moscovie en plein Glasnost, avait tout du chant du cygne. L'homme au couteau entre les dents n'a alors laissé derrière lui qu'une traînée de poudre. D'ailleurs la Corée du nord continua à fournir quelques stéréotypes qui de JAG à NCIS permirent de prolonger le jeu de rôle. C'était davantage un exercice de style , un cliché, comme de faire se rencontrer cowboys et aliens. Dans un épisode de 21 Jump Street, le jeune Johnny Depp s'invite dans un groupe gauchiste pour en surveiller les activités subversives - belle scène ou il lève le poing tout en baillant d'ennui -, avant de partir - soulagement, tout cela n'était qu'une peine de coeur - avec le Líder Máximo étudiant, chercher une belle sur une plage. Lénine aura cependant eu droit à son moment de gloire dans les émois de quelques adolescentes ricaines à cette occasion fugace.
L'histoire n'était certes pas fini et d'autres vilains ont pris la place. Le terroriste nord-irlandais dans Les Experts Manhattan ou évidemment Al-Quaïda puis Daesh. Cependant le bolcho cachait une caractéristique rarement explorée :il vient souvent de l'intérieur, il est de la famille. Son univers renvoyait finalement à notre imaginaire occidental. Il parlait plus de “nous” que les USA ne voulaient le reconnaître. Petit à petit, il a gagné en profondeur, en filiation même, jusqu'à rentrer dans le patrimoine commun. Dans X-Files, le mystérieux Homme à la cigarette s'avère être le fils d'un communiste américain condamné à mort pour trahison, mais dont ceux qui recrutent le futur ange noir de Mulder soulignent à quel point ils admirent les qualités d'engagement et de sacrifice, bien sûr erronées, de ce type de personne.
Il demeure parfois un repoussoir de circonstance. Dans The West Wing, Matt Santos, candidat latino (prequel d'Obama) à la présidence, fuit comme la peste un défenseur des saisonniers mexicains en Californie, qualifié de l'infâme sceau de communiste. Toutefois, le regard n'est plus seulement négatif, il sait, comme nous l'avons vu, céder la place à une certaine admiration teintée de regrets élégiaques. Lors d'une des fameuses confrontations entre Toby Ziegler et Sam Seaborn, ce dernier, réclamant une révolution permanente (slogan improprement attribué à Mao au lieu de Troski), se défendit de ce emprunt surprenant en des termes sans ambiguïté : « Vous pensez qu'un communiste n'a jamais écrit une phrase élégante ? Comment pensez-vous qu'ils ont convaincu autant de monde ? ». La propagande prolétarienne en service de pièce détachée pour le storytelling 2.0 !
The Americans sont venus couronner ce long processus. Comment mieux contempler le passé qu'au travers des yeux de son ennemi, comme de lire l'histoire des croisades avec le point de vue des Sarrazins, ou revisiter Rocky à travers le spectre de Creed ? De la sorte, tout autant que la séduction opérée par le mode de vie US, c'est aussi les faces peu reluisantes qui en sont explorées.
Ainsi, lorsque la mère espionne essaie de retourner sa fille évangéliste contre son “pays” et ses valeurs, elle lui parle des droits civiques. De ce point de vue, si une parentée existe, il faut probablement creuser du coté des comics, avec l'uchronique Red Son, évolution d'un Superman ayant atterri en URSS, pas si mauvais finalement, ou encore l'héroïne de Redskin, agente plantureuse qui combat l'impérialisme par le sexe et son QI (ou l'inverse). Même en Allemagne, Deutschland 83 ose prendre le parti (à tous les sens du terme) de la RDA pour revisiter ces années ou tant disaient outre-rhin « plutôt rouge que mort ». Alors, à quand Baron Rouge en France ?
Nicolas Kssis-Martov
The Americans - Saison 4 en cours de diffusion sur FX (et prochainement en France sur Canal Séries)