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Le générique de la seconde saison de The Leftovers, 90 secondes d’émotion télévisuelle...

Finis les vitraux séraphiques en crédits d’ouverture : le générique de la seconde saison de The Leftovers marque une rupture.
Le générique de la seconde saison de The Leftovers, 90 secondes d’émotion télévisuelle...

Finis les vitraux séraphiques en crédits d’ouverture : le générique de la seconde saison de The Leftovers marque une rupture. Logique, pour une série consacrée au deuil. Pensée par le studio Elastic, comme le suggère l’image évanescente d’un visage masculin (écho aux transparences de True Detective), cette intro d’Angus Wall et Mara Smalley est une succession de clichés hantés par les 2%. Ces mystérieuses compositions égalent l’inquiétante étrangeté des photos popularisées sur le net, du Specter of Newby Church à la Babushka Lady, du Solway Firth Spaceman Mystery au Goddard’s Squadron Photograph. 90 secondes d’émotion télévisuelle...


“Everybody's wonderin' what and where they all came from... ” Iris DeMent est une jolie femme à la voix brisée, une guitare sèche à la main. Issue d'une famille de fervents pentecôtistes, elle traverse l'Amérique des années 1970 en se nourrissant de gospel. La découverte de Patsy Cline et autres âmes égarées de la country sera son épiphanie. Son premier album s'intitule Infamous Angel. Sa chanson la plus connue a pour titre Let the mystery be et fut choisie par Bertolucci pour introduire son Little Buddha (1991), l'histoire d'un petit américain, élu spirituel malgré lui d’une communauté de moines bouddhistes. Il parait qu’Iris vit désormais au fin fond de l’Iowa, bourgade protestante bien loin de l’Himalaya transcendantal. Au vu de ce pluralisme religieux, on comprend pourquoi Lindelof affirma à Vulture que “the lyrics to this song are basically everything I want people to feel about my writing”. Cinq ans après The End, Damon semble adresser ce “je veux laisser le mystère” aux obsédés de l’ours polaire !

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“Some say once gone, you’re gone forever” chante Iris. Sa voix caresse nos oreilles comme du Badalamenti. Des photos défilent, où vivants et disparus cohabitent. Le cadre pourrait être celui de l’american way of life post-11/09, deuil collectif qui dans la bouche des personnages devient “le 14”, jour du Sudden Departure. Mais ces photos confinent à l’universalité. The Leftovers n’est pas une grande œuvre allégorique explorant le deuil, mais une grande œuvre du deuil gorgée d’allégories. D’où le choix d’une tonalité naturaliste, exprimée en un diaporama correspondant tout autant à nos portfolios Facebook et Instagram. Vacances d’été, football, party, bars, “home sweet home”, chacun se reconnait au sein de ce patchwork du quotidien. L’écriture du deuil dans The Leftovers sera aussi simple que ces polaroids. On trempe sa main dans la peinture rouge, on attrape un grillon, on prépare une tarte, on enfile un costard... La mort s’écrit par petites touches. 


On passe d’un cliché à l’autre comme on parcoure une ville dans la caisse de Tony Soprano. Par fragments épars, entre recul pudique et identification, à fleur de peau. En 1999, David Chase recherchait la sensation de l’instantanéité (nous sommes le mec, nous sommes la ville) quand Lindelof capture la vérité des instantanés photographiques. Entre l’absence et la présence (nous voyons ce qui est absent), ce générique annonce le voyage dans l’afterlife de Kevin Finnerty. Scène qui rend d’ailleurs hommage à la “near death experience” de The Sopranos. Dans l’afterlife, nous retrouverons donc la guitare d’Iris. Mais les sonorités seront celles de la folk sixties de Simon & Garfunkel... Accompagnant non pas “ceux qui restent”, mais le “disparu”, lost.


Lindelof avec cette saison détourne Fight Club, via l’usage de “Where is my mind?” et le personnage de Patti. Quoi de plus logique alors que de choisir Angus Wall comme directeur créatif, le monteur de Fincher depuis Panic Room et title designer depuis Seven ! Le choix du studio Elastic tombe sous le sens. Comme The Leftovers, True Detective est une série lostienne. “We have to go back” disait Rust Cole à son collègue après des années de séparation, déterrant des souvenirs (remember), la résolution de l’enquête permettant de “passer à autre chose”. Avec The Leftovers, Wall illustre le concept à l’origine du générique de True Detective : faire “des photos vivantes”. Ces clichés d’anonymes renvoient aux mots du flic de Pizzolatto : “this place is like someone’s memory of a town. And the memory’s fading”. Esthétique obsédante du souvenir car Wall va jusqu’à incruster la photographie... d’une main tenant une photographie ! On pense à son générique pour Carnivàle (2008), déjà hanté par la mémoire collective. A chaque opening credits, Elastic suggère que le générique est une quête de sens, un art adressé à “ceux qui restent” : l’art du souvenir.


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Fascinants, ces clichés vrillent vers la biologie : air, feu, eau et terre sont autant de signes alchimiques qui, caressant ces ombres humaines, les rendent irréelles, telle cette image de l’homme invisible sous un ciel verdâtre. Un réalisme magique à la Shyamalan, cet autre grand amoureux de la nature. Connaissant Lindelof, on pense surtout à la mélancolie de cet haïku Lynchien : “Nothing will die. The stream flows, the wind blows, the cloud fleets, the heart beats. Nothing will die...”. Oui, rien ne meurt car l’enfant (heureux, plein de vie) investit ces 90 secondes. Sa présence annonce l’accouchement de la femme des cavernes qui ouvre la saison, naissance du monde préfigurant a contrario “l’évanouissement” des jeunes filles. “I live, I die, I live again !”. Déjà, dans le générique d'ouverture de la première saison, un bébé angélique virevoltait au milieu des damnés...


Le titre apparaît. Les lettres en relief sont inondées par les étoiles. Typo céleste, mots qui flottent, galaxie mystique, arrière-goût d’au-delà. “Over BLACKNESS, music. Ominous and foreboding. Then, OUT OF DARKNESS, a single word. FLOATING IN SPACE, out of focus, toward camera”... C’est ainsi que Damon décrivait le générique de Lost en septembre 2004. Onze ans plus tard, nous sommes toujours “lost in space” !


Clément ARBRUN


Article paru dans le Rockyrama n°10 spécial Twin Peaks