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Poltergeist : réalisateur fantôme

Plus de 30 ans après sa sortie, Poltergeist continue de fasciner et attiser des conversations de cinéphiles pris d'un soudain mysticisme. 
Poltergeist : réalisateur fantôme

Plus de 30 ans après sa sortie, Poltergeist continue de fasciner et attiser des conversations de cinéphiles pris d'un soudain mysticisme. Est-ce que le film était vraiment maudit ? Que s'est-il passé sur le tournage pour que son réalisateur Tobe Hooper et son producteur Steven Spielberg finissent fâchés ? Quel est donc le secret que renferme ce ride vers l'enfer d'une petite famille américaine ? Une curieuse théorie circule depuis la sortie du film sur sa paternité. Il y aurait un fantôme à exorciser dans la maison cinéphile.


L'histoire est connue : Poltergeist serait maudit, pour la simple raison que certains des acteurs de la franchise sont décédés peu après le tournage, dont Heather O'Rourke alias la fameuse Carol Anne et son célèbre « They're here ! », ayant succombé à la maladie de Crohn à l'âge de 12 ans, quelques mois avant la sortie de Poltergeist III. Ceci, ajouté au meurtre de l’une des actrices principales et aux cancers de quelques autres membres de l’équipe achève de bâtir une légende urbaine autour du film. Mais cette malédiction construite sur un rassemblement de faits sans lien cache en réalité un malaise autour de cette histoire de maison hantée, librement inspirée par The Haunting (La Maison du diable) de Robert Wise.


Quelque chose cloche dans Poltergeist. Pas sa qualité, loin de là. Poltergeist est un admirable film d'horreur et tient toujours aussi bien la route aujourd'hui. Non, ce qui cloche, c'est sa réalisation. Sa mise en scène, son style, qui ne collent en rien à la filmographie de son réalisateur attitré, Tobe Hooper.

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Dès 1982, des doutes ont surgi. Plusieurs membres de l'équipe de tournage affirment à la presse que le producteur du film est omniprésent sur le set, décide de la mise en scène des plans et dirige les acteurs, en plus d'avoir déjà signé le scénario et le storyboard. Jerry Goldsmith, le compositeur déclare n'avoir jamais bossé sur le film avec le réalisateur, seulement le producteur. Zelda Rubinstein, interprétant la médium Tangina, affirme que Hooper n'aurait même pas su diriger la circulation s’il l'avait voulu, alors le tournage… Dans la salle de montage, Monsieur Hooper n'est pas le bienvenu. On n’y trouve que le monteur Michael Kahn et le producteur, Steven Spielberg. 


Une controverse éclate alors au sujet de la paternité du film. Qui l'a réalisé ? Spielberg ? Hooper ? Un peu des deux ? Aujourd'hui encore, il n'existe aucune réponse définitive. Mais examinons les faits : est-ce qu'un seul film du réalisateur de Massacre à la tronçonneuse ressemble, en fond ou en forme, à Poltergeist ? Force est de constater que cette commande fait figure d'intrus thématique et stylistique dans sa filmographie. Mais peut-être que Hooper a tout fait pour que le film porte la marque de son scénariste, s'efforçant d'effacer son propre style avec une humilité quasi surnaturelle pour ne remplir qu'une fonction de « faiseur ». Mais les faits sont têtus et indiquent une solution plus complexe. 


Lorsque Spielberg signe son contrat avec le studio Universal pour la réalisation de E.T., une clause stipule que ses droits sur le film sont maintenus à condition qu'il ne réalise aucun autre film pendant sa production. Spielberg venait alors de sortir de l'échec de son projet Night Skies, sorte de suite à Rencontres du troisième type, dont il a tiré des éléments pour les scénarios de Poltergeist et E.T. Il doit donc choisir entre la réalisation de l’un des deux films. Officiellement, il choisit E.T., qui correspond à un projet plus personnel pour lui. Officieusement, la production de Poltergeist chez MGM démarre quelques mois avant celle d'Universal, ce qui lui donne le temps d'assurer un contrôle créatif quasi total sur l'écriture, le tournage et la post-production. Tout ce qu'il doit faire, c'est mentir. Répéter le même discours officiel : « non, je n'ai pas réalisé Poltergeist », « c'est le fruit d'une collaboration extraordinaire », « Tobe Hooper est un excellent réalisateur », etc. 


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Pendant le tournage, le L.A. Times vient faire une visite pour un article. Ils découvrent que Spielberg est en train de diriger des acteurs et la mise en scène. Hooper, lui, semble puni de caméra. L'article, titré « Poltergeist : Whose film is it ? » aura un effet boule de neige dévastateur et provoquera une enquête de la DGA, la Directors Guild of America, chargée entre autre de réguler qui réalise quoi. Spielberg réagit sur la défensive avec un message d'excuse publié dans Variety, adressé officiellement à Tobe Hooper, mais en fait destiné à se débarrasser de l'enquête qui pèse sur lui et à garder ses droits sur E.T., qui va devenir le quatrième film le plus vu en salles de toute l'histoire aux États-Unis. Il explique alors publiquement à Hooper que « la presse n'a pas compris la nature unique, créatrice de notre relation dans la fabrication de Poltergeist ». Ironiquement, ces drôles d'excuses officialisent la polémique chez le public, en plus d'humilier à mots couverts le travail de Tobe Hooper.


L'histoire s'arrête pourtant officiellement là. Le petit monde du cinéma convient de s'accorder sur le mensonge : Tobe Hooper est le seul et unique réalisateur de Poltergeist. Rien à signaler, rentrez chez vous. On tente même de démontrer le faux par des raisonnements absurdes : Hooper serait un réalisateur de film d'horreur, pas Spielberg (oublions-nous donc Les Dents de la mer ?) et il signerait des scènes dans ce film que le-trop-gentil Spielberg n'aurait osé tourner, comme la séquence culte du visage qui part en lambeaux ou celle de la piscine aux squelettes. Mauvaise pioche : les mains qui retirent des morceaux de chair du visage plein cadre ne sont autres que celles de Spielberg. Les risques d’électrocution de la scène des squelettes faisaient si peur à l'actrice JoBeth Williams qu'elle n'accepta de la tourner qu'à condition que Spielberg reste avec elle dans la piscine, ce qu'il fit. Spielberg semble avoir presque tout fait sur le film, à part dire « action » et « couper ». Le travail de Hooper est si impersonnel, qu'il semble s'apparenter au travail d'un assistant-réalisateur, ou tout au plus d'un réalisateur de seconde équipe. 

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Plus intéressant encore, si on compte Poltergeist comme un chaînon manquant dans la filmo de Spielberg, il devient évident que ce film est le double fantomatique d'E.T., avec lequel il partage un nombre considérable de points communs, à commencer par la présence d'une petite fille blonde, qui devait être jouée dans Poltergeist à l'origine par Drew Barrymore, qui finira par interpréter Gertie dans E.T. ! Ajoutons à cela le lieu de l'action, une banlieue anonyme de la middle class, l'utilisation de la télévision comme un traducteur universel, pour un alien dans l'un, avec le monde de l'au-delà dans l'autre, la période de l'année qui paraît être la même, la place centrale du lien métaphysique entre un enfant et le concept imaginaire de l'histoire. Et enfin, personne ne meurt dans E.T. et personne ne meurt dans Poltergeist. Plutôt étonnant de la part d'un film d'horreur aussi éprouvant, non ? 


Au fond, la paternité du film a moins d'importance que sa place dans la carrière de ses deux réalisateurs supposés. Chez l'un, il serait un rollercoaster admirable mais un film forcément mineur en comparaison de ce qui l'a suivi et de ce qui l'a précédé : Les Aventuriers de l'Arche perdue et E.T. Chez l'autre, il s'agirait de son film le plus populaire, et sans doute le plus marquant après Massacre à la tronçonneuse, après quoi il enchaînera deux expériences douloureuses, Lifeforce et L'Invasion de Mars avant d'alterner entre des épisodes de séries télé et de petits films d'horreur, aucun n'évoquant d'une manière ou d'une autre Poltergeist. On peut le comprendre, il doit être difficile et étrange d'être hanté par son propre film. 


Maxime SOLITO


Texte tiré du livre Rockyrama - Steven Spielberg Part. 1