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Le Paradis de Dante : une interview carrière exclusive de Joe Dante

C’est dans les locaux de sa boite de production Renfield Productions (on appréciera la référence) que Joe Dante nous reçoit pour une interview carrière exclusive.
Le Paradis de Dante : une interview carrière exclusive de Joe Dante

C’est dans les locaux de sa boite de production Renfield Productions (on appréciera la référence) que Joe Dante nous reçoit pour une interview carrière exclusive. Pendant une heure et demie, le papa des Gremlins est revenu pour nous sur sa riche carrière, de ses débuts chez Roger Corman aux grosses productions comme Small Soldiers, en évoquant ses succès et ses échecs sans langue de bois !


Vous avez grandi dans les années 1950, à l’époque des doubles programmes et des Drive-In. Comment avez vous forgé votre cinéphilie à cette époque-là ?


Je suis tombé amoureux du cinéma étant enfant, comme c’est le cas pour la plupart des cinéphiles je pense. Dans les années 50, toute la culture était orientée vers la jeunesse, donc c’était une époque merveilleuse pour les enfants. Vous pouviez aller au cinéma pour 25 cents aux séances du samedi matin et voir un double programme, dix cartoons et un épisode de serial. J'étais assez accro à cela. On a bien fini par avoir un poste de télévision, mais aller au cinéma restait quelque chose de spécial. Les films y étaient plus grandioses, on était dans le noir, il fallait prêter attention et il y avait du monde pour apprécier le spectacle avec vous. À cette époque, les vieux films ressortaient en permanence. J'ai découvert des films comme

Le Magicien d’Oz en salles. Pour moi c'est devenu une obsession. Au début j'y allais surtout pour les dessins animés mais je restais pour les longs-métrages. Et puis j'ai commencé à tomber amoureux des films. Plus grand, je suis allé au lycée à Philadelphie et il y avait là-bas beaucoup de vieux cinémas grindhouse qui passaient tout ce qui trainait dans leurs coffres. J'ai reçu une éducation considérable grâce à cela, c'était bien mieux que de les découvrir à la télévision. Mais quand je suis parti en Californie, tout a changé et les doubles programmes ont disparu. Ayant grandi avec cette proposition, l'idée de n'aller voir qu'un seul film me paraissait étrange, sauf si c’était un film très long comme Les Dix Commandements. Quand j'ai fait Piranhas, le film était diffusé seul dans un cinéma de Hollywood Boulevard et je me sentais coupable. J'avais envie de me planter devant la salle pour rembourser les spectateurs qui n’avaient pas eu le droit à un second film ! 


À quel moment vous êtes vous dit que vous vouliez faire du cinéma ?


En fait, je voulais dessiner, que ce soit des comics ou des films d’animation. Mais quand je suis allé aux Beaux-Arts, on m'a dit que le dessin animé n'était pas de l'art et que je ferais mieux de choisir autre chose. J'ai donc pris un cours de cinéma à petit budget. J’ai été critique aussi. Mes amis sont partis en Californie pour travailler chez Roger Corman et là, je me suis dit que c'était peut-être quelque chose que je pouvais faire. Je m'étais lancé dans le montage, j'avais fait ce film en 16mm intitulé The Movie Orgy, un bout à bout de sept heures d'extraits de films, et cela m’a appris les rudiments du métier. Chez Corman, dont j’étais fan, je me suis découvert une facilité à faire des bandes annonces. J’en avais tellement vu ! Avec mon ami Allan Arkush, qui travaillait au même département que moi, nous sommes allés voir Roger pour lui demander de nous confier la réalisation d’un film. Il a accepté à la condition de faire le film le moins cher possible, et de continuer à travailler sur les bandes annonces pendant la nuit ! Nous avons donc fait Hollywood Boulevard en une dizaine de jours, en travaillant à deux. Pendant que l’un tournait ses prises, l’autre préparait ses scènes et on enchainait rapidement de la sorte, pour avoir plus de matière par jour de tournage. Le film est plutôt idiot, mais il nous a servi d’éducation. Et le fait de prendre pour cadre une société de production nous a permis de piller de nombreux extraits de film d’espionnage, de science-fiction ou de western pour les inclure au montage. Le film n'a pas changé la face du monde mais il a plu à Roger, qui le trouvait plutôt malin. Il a donc proposé Rock’n’Roll High School à Allan, et moi je me suis retrouvé à faire Piranhas.

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Piranhas n’est pas seulement un plagiat du film de Steven Spielberg, Les Dents de la Mer. C’est surtout un pastiche, avec sa propre identité…


À l’époque, la suite des Dents de la Mer s’apprêtait à sortir, et c’était un film plus cher que le nôtre. J’étais gêné à l’idée de faire un plagiat, nous avons immédiatement décidé de faire comprendre au public que nous savions tout comme eux que nous étions en train de piller le film de Spielberg, donc autant l'admettre et profiter du film. C’est la raison pour laquelle nous montrons des gens en train de jouer au jeu vidéo des Dents de la Mer sur le générique. Et ça a marché ! Le film a connu un joli succès, même si Universal a voulu empêcher sa sortie. J’ai appris par la suite que Steven Spielberg était intervenu pour dire qu’il ne voyait pas de problèmes entre notre film et Dents de la Mer 2, qui sont très différents, le notre étant presque parodique. La sortie de Piranhas a été très bénéfique pour moi, car le film a été distribué par United Artists à l’étranger. On m'a donc offert la suite de Orca, des films de tortues géantes, des films qui se passaient dans l’eau. Mais j’avais contracté une otite après avoir passé autant de temps dans l’eau, et les combinaisons de plongée n’étaient pas seulement pénibles à enfiler, mais aussi à retirer. Vous perdez dix kilos d’un coup ! Donc je ne voulais plus faire de films qui se passent sous l’eau.


Comment est arrivé Hurlements ?


Après Piranhas, je suis retourné faire des bandes annonces et de façon assez ironique, on m’a proposé la nouvelle suite des Dents de la Mer, qui s’appelait Jaws: 3 – People: 0. C’était une comédie en fait, une association entre les producteurs de la franchise et le National Lampoon, qui cartonnait à l’époque avec American College. Mais personne n’a réussi à se mettre d’accord sur le film à faire. L’expérience a été chaotique, mais c’était une introduction intéressante à l’expérience du travail avec un studio. Par chance, le producteur Mike Finnell m’a proposé Hurlements, un film de loup-garou qui venait de se “débarrasser” de son réalisateur. Le scénario n’était pas très bon, et il m’a demandé si cela m’intéressait de reprendre le projet en main. Je me suis dit que ce serait probablement ma seule chance de faire un film de loup-garou, un genre que j’aime beaucoup donc j’ai accepté. Après avoir tenté d’arranger le scénario avec mon ami Terry Winkless, sans grand succès, j’ai fait appel à John Sayles qui s’était déjà occupé de Piranhas. Il a fait un excellent travail, en tirant le film vers la satire de la mode des groupes de développement personnel très en vogue dans les années 80. Grâce à lui, nous avons pu faire un film de loup-garou fermement ancré dans l’histoire du genre, tout en étant une œuvre consciente d’elle-même. C'est le premier film du genre dans lequel les personnages savent ce qu'est un loup-garou avant même que le film ne commence. Par la suite, c'est devenu un trope dans les films d'horreur mais à l'époque c'était une première. 


Justement, un film comme Hurlements s’inscrit dans un genre bien particulier. Quelle est selon vous l’attitude à adopter vis à vis de sa mythologie ?


Et bien, la mythologie des films d'horreur est assez flexible finalement. Quand la Hammer a produit Le Cauchemar de Dracula, il n'y avait pas un budget suffisant pour filmer la transformation en chauve-souris. Ils ont donc tourné une scène dans laquelle Peter Cushing écoute un enregistrement qui donne des informations sur les vampires. Et l’une d’entre elles est que la capacité des vampires à se changer en chauve-souris ou en loup est un mythe, que ce n'est pas vrai ! (Rires) Voilà comment ils s'en sont sortis. Je crois donc que vous disposez d'une certaine marge de manœuvre même s'il faut aussi donner aux fans ce qu'ils attendent. Vous ne pouvez pas soudainement décider qu’il est possible de se transformer en loup-garou en buvant de l’eau par exemple. Il faut conserver certains tropes comme la pleine lune, sinon le public ne comprendra pas. Nous sommes restés assez fidèles dans notre approche du mythe, dans les limites de notre budget.

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Peu de réalisateurs font des comédies d’horreur à Hollywood… 


Hier comme aujourd’hui. Ce n’est jamais bien vu de mélanger les genres. Je me souviens de la projection des rushes du premier jour de tournage de Hurlements, et le président du studio qui se trouvait dans l'assistance a demandé si c'était un film d'horreur ou une comédie. C'était exactement la réaction que je souhaitais, même si ces gens-là ont besoin que tout rentre dans des cases. Or je trouve qu'il est plus intéressant de ne pas tout à fait savoir où les choses vont aller.


Gremlins va encore plus loin dans cette logique. 


Oui. Un bon exemple de ce dont je parle est le monologue de Phoebe Cates dans Gremlins. Elle raconte que son père est mort, en se retrouvant coincé dans la cheminée, déguisé en Père Noël. Ce passage a été très controversé au sein du studio. Ils voulaient que je le coupe du film, mais je leur ai dit : “Ce passage résume tout ce qui me plait dans le film. Voici un personnage apprécié du public, ce traumatisme lui est arrivé. Vu l’histoire qu’elle raconte, c’est à première vue ridicule mais cela a une signification pour elle, et c’est ce qui rend la situation touchante”. Le public ne savait pas trop s’il devait rire ou avoir de la peine, et ça m’allait très bien. Cette scène est l’âme du film selon moi, et j’ai réussi à la maintenir dans le film. Pour mieux m’en moquer dans la suite ! (Rires)


Pourquoi est-ce que Steven Spielberg a pensé à vous pour tourner Gremlins ? 


Hurlements a connu un certain succès pour un film d’horreur à petit budget, et c’est comme ça que Steven Spielberg a pensé à moi pour Gremlins, qui devait aussi être un petit film tourné dans l’Oregon, loin des syndicats hollywoodiens. Mais nous avons rapidement compris qu’il fallait un budget plus conséquent pour pouvoir faire courir les créatures un peu partout. Le projet est donc devenu un film de studio en passant chez Warner Bros, et ça a d’ailleurs failli être mon premier film de studio. Mais au même moment, Warner était en train de produire une version cinématographique de La Quatrième Dimension et on m’a proposé d’en réaliser un segment pendant que j’étais en train de travailler sur la pré-production de Gremlins. Pour moi, l’expérience était particulièrement amusante, et à cause de la mauvaise presse liée à l’accident sur le tournage du segment de John Landis, on m’a laissé totalement tranquille. Je me suis dit que c'était génial de travailler pour un studio : vous collaborez avec des gens brillants, vous avez des décors gigantesques et on vous fout la paix, c'est le paradis ! George Miller a réalisé un segment du film aussi, et il pensait la même chose. Nous avons découvert tous les deux que ça ne marche évidemment pas comme ça et que notre situation sur ce film était plutôt unique.


Gremlins est votre premier film familial. Le studio vous a mis des bâtons dans les roues ? 


Au départ non, on était tranquilles. Warner Bros voulait surtout faire plaisir à Steven Spielberg, qui faisait sa première production Amblin chez eux, et non chez Universal comme à son habitude. De plus, le film ne coûtait pas si cher que ça, donc ils l’ont laissé faire ce qu’il voulait. Et en retour, Steven a été très généreux avec moi, en me laissant faire ce que je voulais ! Mais en voyant le film, ils sont tombés amoureux de la première partie plus familiale, et ont été écœurés par la seconde partie. C’est là qu’ils ont décidés qu’ils ne comprenaient pas vraiment le film (rires). Ils trouvaient les Gremlins répugnants, ils trouvaient qu’il y en avait trop dans le film. De manière avisée, Steven Spielberg leur a répondu : “Dans ce cas, on retire tous les Gremlins du film, et on appelle ça Quidams ou Gens, mais le public ne viendra pas voir le film”. Nous avons tout de même pu aller jusqu’aux projections-tests avec le film, que nous avons pu terminer pour le montrer au public dans une bonne version, celle que nous aimerions idéalement distribuer en salles. Nous avons fait une projection à San Diego, et à ce stade, personne dans l’audience ne savait de quoi il s’agissait. Nous n’avions pas encore communiqué dessus, il n’y avait encore eu aucune publicité. Et ça a été un véritable miracle : le public était hystérique, c'est comme si c’était le meilleur film qu'ils aient jamais vu. Les gens du studio ont été très surpris, mais ils ont commencé à se dire qu'ils feraient peut-être mieux d'essayer de vendre le film s'il était parti pour être aussi populaire. Ils voulaient toujours couper la scène de Phoebe Cates, mais la sagesse l'a emporté et le film est sorti tel que je l'entendais. Et ça a été un véritable phénomène. Pour un réalisateur, c’est une chance d’avoir au moins un film qui fait un tel carton surprise au box-office.


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Gremlins est néanmoins un film assez graphique, surtout pour un film familial. Les créatures passent au four à micro-ondes, au mixeur. Pour les gosses, c’est quand même impressionnant…


Gremlins a été classé PG à l’époque et le marketing du film cherchait à garder les créatures secrètes. La première affiche montrait tout juste le bras de Gizmo qui sortait de sa boîte. Les couleurs et le design rappelaient l’affiche de E.T. et avec le nom de Spielberg au générique, les spectateurs ont pensé qu’il s’agissait d’un film mignon, avec des peluches à la façon des Ewoks. Beaucoup de gens ont donc emmené leurs enfants et ont été horrifiés de découvrir qu’il s’agissait d’un film d’horreur dans la seconde moitié ! Il y a eu une levée de boucliers, exacerbée par le fait que Steven Spielberg venait de sortir Indiana Jones et le Temple maudit, qui avait également été classé PG malgré la scène du cœur arraché. La MPAA a donc décidé, à raison selon moi, de créer un classement intermédiaire entre le PG et le R plus violent, et c’est ce qui a conduit à la création du PG-13, soit l’interdiction aux enfants de moins de 13 ans non accompagnés. Ceci dit, je ne crois pas que le classement de Gremlins n’ait jamais été révisé, il est toujours PG à ma connaissance. Mais je comprends que cela ait posé un souci. Quand des gens me disent qu'ils veulent montrer Gremlins à leurs enfants, je leur demande quel âge ils ont, et s’ils croient toujours au Père Noël. S’ils me répondent par l’affirmative, je leur conseille de ne pas leur montrer le film (Rires).


Votre œuvre est très référentielle, souvent méta-textuelle même. Dans Gremlins par exemple, il y a la scène de projection de Blanche-Neige et les Septs Nains en autres choses. Aujourd’hui, c’est plutôt courant mais à vos débuts, c’était assez novateur. Est-ce que vous avez déjà été repris sur ce genre d’éléments ? 


Je crois que la plupart des références passent au dessus de la tête des spectateurs, de manière générale. Celle à Blanche-Neige est évidente puisque c’est un film très populaire et il est diffusé sur grand écran. Le fait que les Gremlins l’apprécient aussi rend la situation encore plus drôle. Mais le film est bourré de références : beaucoup de spectateurs ont pu remarquer que la première moitié du film est calquée sur La Vie est Belle de Frank Capra, par exemple. Je crois avoir appris une leçon quant au fait d’utiliser la référence pour la référence quand j’ai fait Hurlements. Une scène du film fait référence à un passage de Rosemary’s Baby, dans laquelle Rosemary est dans une cabine téléphonique, et elle croit voir le docteur interprété par Ralph Bellamy qui lui tourne le dos. Quand celui-ci se retourne, le spectateur découvre qu’il s’agit en fait de quelqu’un d’autre, interprété par William Castle, le producteur du film. J’ai tourné une variation de cette scène, avec Dee Wallace. Et l’homme qui se tient à l’extérieur n’est autre que Roger Corman. Et quand elle quitte la cabine téléphonique, Roger se met à chercher la petite monnaie dans le monnayeur de l’appareil. Si vous connaissez Roger Corman et les blagues faites autour de sa pingrerie légendaire, cela peut vous faire rire. Mais bien entendu, la plupart des spectateurs n’ont aucune idée de qui est Roger Corman, et le gag leur passe au dessus de la tête. Pire, ils se demandent pourquoi ce type cherche de la monnaie dans une cabine téléphonique. J'ai donc appris qu’il faut insérer les références dans la trame même du film, qu’elles servent la narration en arrière-plan. Cela ne sert à rien de forcer les spectateurs à regarder ce genre de choses s’ils ne connaissent pas la référence et pour le reste de ma carrière, je me suis efforcé de faire en sorte que les scènes référentielles aient également une fonction narrative avant tout.


Après le succès de Gremlins, vous vous êtes lancés directement dans la production d’Explorers. Pourquoi ce projet ?


En fait, juste après le succès de Gremlins, on m’a proposé d’adapter Batman. C’était quelques années avant le film de Tim Burton, et un projet était déjà sur les rails. Le studio avait un scénario qui n’est pas celui qui a finalement été tourné, Ivan Reitman était censé le faire mais il avait quitté le projet. C’était une adaptation très classique : les parents de Bruce Wayne sont tués, il devient Batman. Robin était là, Alfred aussi. C'était plutôt cool de se voir proposer ça, j'étais vraiment impressionné qu'on me confie un projet aussi important. Mais un soir, je me suis réveillé au beau milieu de la nuit en me disant que je ne pouvais pas tourner ce film. Je ne crois pas en Batman en fait. Je n’ai jamais acheté l’idée du manoir dans la colline, du gamin traumatisé, de ce type riche qui se fabrique un alter-ego, j’ai toujours eu un problème avec tout ça. Si je voulais faire ce film, c’est parce que j’aime le personnage du Joker en fait. Donc j’ai refusé le projet, et tout le monde m’a pris pour un cinglé, ce qui était peut-être vrai, remarquez. Dans l'intervalle, on me propose le script d'Explorers. C'était un de ces projets top secret pour lesquels vous devez lire le script dans une pièce en présence d'un représentant du studio qui repart avec dès que vous avez fini, pour éviter le piratage. Wolfgang Petersen était censé tourner le film en Allemagne, mais je suppose que les producteurs ont vu L’Histoire sans fin et se sont dit qu'ils ne voulaient pas que le film ressemble à ça. Wolfgang a donc quitté le projet et ils m'ont demandé si ça m'intéresserait. Le problème, c'est que le script n'était pas fini. Les gamins partaient dans l'espace, rencontraient ces extraterrestres et découvrent que ce sont des ados comme eux, si ce n’est qu’ils jouaient au base-ball. Je leur ai dit que c'était plutôt décevant. Ils m'ont répondu “On veut vraiment faire ce film, on a déjà la date de sortie, est-ce que ça vous intéresse ?”. Je leur ai rétorqué que la date de sortie était quand même affreusement proche, qu'il allait falloir faire beaucoup de construction et de design et tout et tout. “Oui mais ça serait vraiment bien que le film sorte à cette date, pas vrai ?”. J'ai répondu “C'est vrai, ça serait bien mais...”. Et pour eux, cela signifiait que j'allais livrer le film à la date prévue. On s'est donc lancé dans le film de façon précipitée. Il y a eu beaucoup de réécritures, nous réécrivions encore pendant le tournage. Le film a été amusant à tourner parce que les gamins étaient formidables. Après Gremlins, qui avait été très difficile à faire, j'ai abordé celui-ci en me disant que ce serait quand même plus simple. Trois gamins qui construisent un vaisseau spatial, c'est comme une histoire de Riri, Fifi et Loulou par Carl Barks non ? Je comprends ça, ça me parle et ce sera marrant. Mais en fait, on a quand même eu beaucoup de soucis. Nous n'avions pas encore terminé le film, nous essayions encore de le trouver au montage et le studio a changé de direction. Les nouveaux patrons sont venus nous voir et ont exigés qu'on leur livre le film de suite. À l’époque, le film devait sortir deux mois plus tard et je leur ai répondu qu’il n’était pas encore terminé, mais ils nous ont intimé l’ordre de le finir, pour le sortir au plus vite. De fait, Explorers n’a jamais vraiment été terminé. Ce que vous avez vu, c’est un premier montage, mais ce n’est pas le film que j’aurais fait si j’avais eu le temps de le terminer. Il y a des bonnes choses dedans et c’est très agréable de savoir que des gens ont adoré le film étant enfant. Mais je ne peux pas l’assumer totalement et il m’est difficile de le regarder encore aujourd’hui.

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Le climax est dingue, cette rencontre entre les enfants et les extra-terrestres. On ne voit plus ce genre de choses de nos jours… 


À l’époque non plus, je vous rassure ! J'étais à la seule projection-test que nous ayons faite pour le film et je me souviens que le public était complètement pris par le film, jusqu'à ce que l'extraterrestre arrive et dise “Quoi d'neuf Doc ?”. À partir de là, c'était l'incompréhension la plus totale. Le film met en place l'idée, très spielbergienne, que les enfants regardent vers les étoiles, une lumière venue du ciel les illumine et ils apprennent les secrets de l'univers. C’est la raison pour laquelle ils partent à l’aventure et forcément, ils sont déçus parce qu’ils tombent sur des gamins comme eux à l’autre bout de l’univers ! Ce n’est pas un film spirituel, c’est plutôt humaniste et je crois que ce sentiment n’était pas très populaire à l’époque. La sortie a été désastreuse. Non seulement le film a été reçu de façon très mitigée par les critiques, mais personne n’est allé le voir non plus !


Vous avez envisagé de travailler dans le dessin animé. Il faut dire que certains de vos films font penser à un cartoon de Chuck Jones. Je pense notamment à votre segment de La Quatrième Dimension, comme à la fin d’Explorers justement. 


Oui, il y a beaucoup d'influences du cartoon. L’un de mes réalisateurs préférés est Frank Tashlin, qui a fait des comédies comme La Blonde et moi ou encore Le Kid en kimono mais qui a commencé en faisant des cartoons. À une époque, je voulais me débarrasser de ce type d’influences, et ça m’est passé. Après Explorers, je me suis lancé dans L’Aventure Intérieure en me disant que je tenais enfin une idée plus commerciale. Je voulais faire un film “normal”, sans aucun truc bizarre destiné à mes fans, qui aurait du succès et me remettrait au sommet. Mais une fois terminé, L’Aventure Intérieure était aussi fou et bizarre que mes précédents films, et il a connu le même genre de succès au box-office. C'était un bon film, et ceux qui l'ont vu l'ont aimé, mais personne n'est allé le voir. En revanche, il est devenu incroyablement populaire des années plus tard, grâce à sa sortie en vidéo et à sa diffusion à la télévision. Aujourd’hui, beaucoup de gens pensent que le film a été un énorme carton en salles, du fait de cette popularité.


Pourquoi est-ce que le film n'a pas rencontré le succès espéré selon vous ? 


Le titre n'était pas très bon, pour les gens c'était confus. Innerspace – qui est le titre original de L’Aventure Intérieure – était aussi le nom d'une attraction présentée par Monsanto à Disneyland. Qui plus est, ni l'affiche ni la campagne de pub ne montraient que le film est une comédie. Les acteurs n’étaient pas dessus, c'était juste un gros pouce avec le petit vaisseau posé dessus. Le film a mieux fonctionné en Europe, mais l'affiche était bien meilleure. On y voit les personnages et elle donne l'impression que le film peut être amusant. La campagne de pub américaine était vraiment affreuse. Elle donnait l'impression d'un film purement basé sur la technologie, le genre de projets que les femmes n’ont généralement pas envie de voir. Le film a fait un mauvais démarrage et à cette époque, si un film ne marchait pas dès le départ, le studio avait tendance à le laisser tomber. Dans ce cas précis cependant, Warner Bros aimait le film et ils l'ont ressorti avec une nouvelle affiche, un gros plan sur le visage de Martin Short qui ouvrait la bouche et la petite capsule de Dennis Quaid qui était éjectée dans l’air. Ça n'a pas marché non plus. Le titre était vraiment problématique et nous le savions, mais nous n'avons pas réussi à en trouver un meilleur.


Les Banlieusards est aussi un film très satirique, puisque vous vous moquez de la culture des banlieues américaines des classes moyennes. Le film est là encore hors-normes, et les spectateurs n’avaient peut-être pas envie de voir leur mode de vie moqué sur grand écran, non ? 


En fait, Les Banlieusards a plutôt bien marché grâce à la présence au générique de Tom Hanks, qui venait juste de faire Big. Bon, les critiques ont été affreuses mais le film a très bien fonctionné au box-office, suffisamment pour qu'il me soit arrivé qu'on m'aborde pendant que j'étais chez le dentiste pour me dire “C'est vous qui avez fait Les Banlieusards ? J'adore ce film !”. Curieusement, Les Banlieusards est tellement populaire aujourd’hui qu’on m'interroge aussi souvent dessus que sur Gremlins. Il possède une véritable fanbase, qui a donné lieu à des bouquins, des sites internets lui sont consacrés, et il y a même un livre de quizz, avec 200 questions sur le film, c’est dingue ! C'est un film très populaire, les gens l'adorent parce que les personnages sont très drôles, c’est une étude de caractère en fait. Nous l'avons tourné dans l'ordre à cause de la grève des scénaristes de 1988, et nous avons beaucoup improvisé. Nous avions des acteurs très intelligents, du coup une bonne moitié des dialogues qui provoquent le rire dans le film viennent d'improvisations sur le plateau.

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Parlons de Gremlins 2, qui me semble être un film charnière dans votre carrière. Vous avez eu le final cut non ? 


Ce qui s'est passé c'est que le studio a longtemps essayé de faire une suite à Gremlins, mais ils ne savaient pas comment faire, étant donné qu’ils ne comprenaient pas vraiment le premier film. Ils sont donc revenus nous chercher avec Mike Finnell, pour nous dire en substance : “De toute évidence, vous avez quelque chose à voir avec le succès du premier film. Si vous nous donnez une suite, vous avez carte blanche”. Ça nous paraissait bien, même si j'avais des réserves car le premier film avait été très dur à faire. Mais la technologie avait évolué dans l'intervalle et nous étions désormais en mesure de faire beaucoup plus de choses avec les Gremlins, des choses impossibles à faire auparavant. On a pu les faire voler, on a pu faire marcher et danser Gizmo, on a même pu les faire parler ! La grosse différence entre Gremlins 2 et le premier film – en dehors du changement de décor puisqu’on débarque ici à New York – c’est le fait que nous voulions que Rick Baker s’occupe des Gremlins. Mais lui ne souhaitait pas refaire ce qui avait été fait par Chris Walas. Il disait que Chris avait déjà trouvé le design des Gremlins et par conséquent, il ne lui restait plus rien à faire. Nous lui avons donc proposé de créer de nouveaux Gremlins dont il pourrait prendre en charge le design. Rick a été très impliqué dans l’intrigue liée au laboratoire dirigé par le personnage de Christopher Lee, qui tente toutes sortes d’expérimentations sur les Gremlins en faisant des mélanges d’ADN. Toutes les idées pour les nouveaux Gremlins sont venues de nos séances de discussions, y compris le Gremlins électrique conçu en animation. Malgré tout, c'était un tournage très complexe, nous avons construit un décor gigantesque pour le centre commercial dans le Studio 16 de Warner Bros. Il était tellement impressionnant que Paul Mazurksy a songé à le faire envoyer à New-York et le reconstruire pour le film Scène de ménage dans un centre commercial avec Bette Midler et Woody Allen, mais ça n'était pas faisable. Gremlins 2 est un film assez dingue, mais j’ai quand même essayé d’y raconter une histoire. Le méchant est un croisement entre Donald Trump et Ted Turner. Bon, il ne se présente pas à la présidentielle. Je crois que le côté Ted Turner prend le dessus, il reste plutôt sympathique au final. Nous avons engagé John Glover pour interpréter le rôle et il en a fait un méchant si sympathique qu'il n'est plus vraiment méchant au final, ce qui n’est pas très grave puisque ce sont les Gremlins qui servent de méchants.


C’est aussi votre film le plus référentiel, ce qui n’est pas peu dire ! 


Il y a un peu de tout, oui. C'est un film incontrôlable et c'est ce qui fait en partie son charme. L’un de mes films préférés est Helzapoppin’, dont l'affiche se trouve derrière vous. C'est un film dans lequel tout peut arriver, tiré d'une pièce dans laquelle tout peut arriver, et qui brise notamment le quatrième mur. J'ai découvert par la suite, au cours de mes pérégrinations, que casser le quatrième mur n'était plus en vogue. Quand j'ai voulu le faire sur Les Looney Tunes passent à l’action, on me demandait pourquoi les personnages s'adressaient aux spectateurs et on me disait que ça le ferait sortir du film. Incroyable ! Ces gens-là n'ont de toute évidence jamais vu les road movies avec Bob Hope et Bing Crosby. Ces films étaient entièrement basés sur l'idée que le public était conscient de regarder les acteurs tourner un film pour la Paramount et on les voyait en permanence évoquer des évènements de leur vraie vie, se tourner vers le public et s'adresser à lui. Et bien entendu, ceci est un principe de base des cartoons. Je crois que cela ne repousse pas les spectateurs, bien au contraire, ça les fait rentrer dans le film ! Cela fait partie intégrante du plaisir ! Sur Gremlins 2, la seule chose que le studio a vivement contestée, c’est le passage où la pellicule se casse. Ils m'ont dit que je ne pouvais pas faire ça, que les gens allaient quitter la salle. Je leur ai répondu “Bien sûr que non, ils ont payé leur place ! Et puis ça ne dure que quelques secondes, une fois que l'ombre du Gremlins apparait sur l’écran, ils comprendront qu'ils se sont fait avoir et ça les fera rire”. Mais ils ne voulaient pas en démordre alors je leur ai dit de montrer le film en projection-test. Bien sur, tout s'est bien passé à cette projection, le public a compris la blague et a trouvé ça hilarant. Ce que je voulais faire, mais cela n’a pas été possible, c’est d’avoir des silhouettes de Gremlins en carton et montées sur ressort dans la cabine de projection. Comme ça, si les spectateurs se retournaient vers la cabine à ce moment-là, ils auraient pu croire qu’il y avait vraiment des Gremlins dans leur cinéma ! L’idée n’a vraiment pas soulevé l’enthousiasme du studio, donc ça ne s’est pas fait. Mais en dehors de ça, j’ai pu faire quasiment tout ce que je voulais !


Est-ce qu’on peut dire que Gremlins 2 est votre film le plus personnel ? 


Je dirais que Gremlins 2 est une pure expression de mon “Ça”. C’était vraiment amusant à faire, dès que quelqu’un avait une idée brillante, elle terminait dans le film. C’est vrai, je ne pourrais pas vous citer un autre film qui exprime mieux ma personne que Gremlins 2, à part peut-être Panic sur Florida Beach. Mais je dirais que Gremlins 2 est le film qui me ressemble le plus.


On raconte que Steven Spielberg a découvert le film et s’est pris la tête dans les mains en s’exclamant : “C’est donc à ça que vont ressembler les années 90 ?”. Est-ce que l’anecdote est authentique ? 


Oui, c'est vrai. Pour être exact, il s'est pris la tête entre les mains en découvrant le premier Gremlins, mais c’était parce que le film était vraiment différent de ce à quoi il s’attendait. À la base, le scénario de Chris Columbus était écrit comme un film d’horreur, plutôt gore même. Et en le découvrant, il se tapait le front comme pour dire “Je n'arrive pas à y croire”. Mais il nous a soutenu. Je ne suis pas certain qu'il ait été aussi enthousiaste au sujet du second film. Et en effet, il a bien demandé si c'était à ça qu'allait ressembler les années 90. Et vous savez quoi ? C’était bel et bien le cas ! (Rires)


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Ceci dit, Gremlins 2 est arrivé en avance sur le feeling général des années 90, vu qu’il n’a pas aussi bien fonctionné au box-office que le film original. 


Le film est sorti six ans après Gremlins, et il a coûté trois fois plus cher. Vous ne pouvez pas laisser passer autant de temps. SOS Fantômes II avait eu le même souci l’année précédente, il n'a pas très bien marché non plus. En ce qui concerne Gremlins 2, je crois que l'idée même des Gremlins était devenue quelque peu dépassée. Il y a aussi le fait que la date de sortie a été changée. Le film devait sortir pour fin mai, durant le weekend férié du Memorial Day. Les spots TV avaient été diffusés et annonçaient cette date, mais le studio a changé d’avis et a décidé de repousser le film de trois semaines. Quand les spots TV se sont remis à passer, les gens ont du se dire que c’était déjà un film qui n’était plus à l’affiche, puisqu’ils ont déjà vu ces pubs à la télévision il y a trois mois de ça. Donc oui, le film a moins bien fonctionné au box-office. Mais c'était un film coûteux, vous savez.


Pour autant, a-t-il été facile de faire Panic sur Florida Beach à cette époque-là ? 


D'une certaine façon, Panic sur Florida Beach a été un extraordinaire coup de chance. Le film était financé en indépendant et nous avions un accord de distribution avec Universal. Mais l'argent n'arrivait jamais. Nous tournions le film en Floride et Universal devait assurer les paies hebdomadaires, en assumant qu'ils seraient remboursés une fois le financement reçu. Sauf que ledit financement n'est jamais arrivé. Il a donc fallu que j'aille voir Universal pour leur suggérer de payer pour l’intégralité de la production, étant donné qu’ils avaient déjà avancé une bonne partie du budget. Ce n'était pas un film très coûteux et ils ont accepté. Panic sur Florida Beach est ainsi devenu un film de studio. Même si j’ai pu terminer le film de la sorte, je pense qu’il en a pâti car il a été distribué comme un film de studio classique. Il a été distribué sur mille écrans au moment de sa sortie, alors qu’il aurait fallu construire le bouche-à-oreille en le sortant d’abord dans quelques salles d’art et essai pour ensuite agrandir le circuit de distribution. Il a donc fait un passage éclair dans les salles et a été peu remarqué à sa sortie. Le film est très apprécié par les spectateurs qui l’ont découvert en vidéo, comme certains autres de mes films.


Vous n’avez pas écrit le scénario et pourtant, c’est un film qui semble très personnel. 


Je n’ai écrit aucun scénario de mes films, mais cela fait partie du challenge. Vous devez toujours essayer de prendre en charge le film d'une façon ou d'une autre. Parfois ça consiste à travailler directement avec les scénaristes, d'autres fois, ça se fait uniquement au moment du tournage. Dès que c'est possible j'essaie d'avoir les scénaristes sur le plateau afin de pouvoir changer les choses et laisser les acteurs avoir des idées. Par exemple, sur Les Banlieusards, nous avons tourné le film dans l'ordre parce que nous n'avions pas le droit à la présence de scénaristes sur le plateau et nous savions que de la sorte, nous serions tout de même capable d'avancer en improvisant. Quand vous improvisez sur un tournage classique, ce que vous rajoutez se retrouve bien souvent hors sujet, sans aucun lien avec ce qui précède. Mais il y a beaucoup de liberté au tournage, donc tout est possible. Il est toujours difficile de faire l'effort de marquer le film de votre personnalité mais ça l'est devenu encore un peu plus maintenant que les budgets sont si élevés. Les studios préfèrent avoir un yes-man aux commandes, c’est toujours plus facile à gérer qu’un réalisateur qui va discuter leurs choix. 


Panic sur Florida Beach est une œuvre nostalgique mais elle ne décrète pas pour autant que “c’était mieux avant”. Quel était votre message aux spectateurs, à l’époque du film que vous avez tourné en 1993 ? 


Ce n'est pas tant que les choses étaient mieux avant, c'est simplement qu'elles étaient différentes. J'avais l'âge du jeune héros quand la crise des missiles de Cuba a eu lieu. Je ne vivais pas à Key West mais dans le New Jersey et hélas, aucun réalisateur de film d'horreur n'est venu présenter un film dans mon quartier. Pour le reste, tout ce qu'on voit de cette société, les exercices, les raids aériens, la crainte des avions porteurs de bombes est authentique. Et je n'avais jamais vu à l'écran ces sentiments que j'avais étant enfant. Nous étions complètement paranoïaques, toute la société des années 50 l'était. Le film se passe en 1962 mais c'était encore les années 50 d’une certaine façon car les 60s n'ont vraiment commencé qu'avec l'assassinat du président Kennedy. Les enfants et le genre de films qu'ils allaient voir y sont représentés avec exactitude. Et ça m'a fait chaud au cœur de voir des spectateurs emmener leurs propres enfants voir le film pour leur montrer comment papa et maman allaient au cinéma au même âge, les films qu'ils voyaient, à quoi ressemblaient les cinémas avec leur unique écran. Le film parle de la peur, de notre façon de la gérer et en quoi les films peuvent nous aider en cela. Au final, c'est une illusion qui sauve la situation. Même s'il n'a pas une grande renommée, je trouve que c’est un chouette film et je suis très content d'avoir pu le faire. Mais comme je disais, son existence même est un gros coup de chance.


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En 1997, vous tournez La Seconde Guerre de Sécession pour HBO et c’est probablement votre travail le plus satirique, avec également l’épisode Vote ou Crève de la série Masters of Horror. J’ai le sentiment que vous êtes plus politisé quand vous tournez pour la télévision, non ? 


Faire passer des messages politiques n’intéresse pas vraiment les dirigeants des studios. Faire des films coûte cher et quand vous faites un film ouvertement politique comme Lions et Agneaux par exemple, personne ne va le voir. Ils ont donc appris à ne pas trop investir dans les déclarations politiques. De toute façon si vous essayez de faire passer un message politique aux États-Unis, vous vous mettez à dos la moitié du public qui ne sera pas d’accord avec votre point de vue, donc c’est assez risqué. À la télévision c'est un peu différent. Au moment où j'ai tourné La Seconde Guerre de Sécession, il y avait eu une série de films politisés sur HBO. Ils ont fini par arrêter d'en faire mais ils en ont produit un certain nombre et le mien en faisait partie. Ce qui me semble intéressant avec ce film, c'est qu'il est encore d'actualité aujourd'hui. À vrai dire, si l'on excepte le fait que plusieurs membres du casting sont décédés et que le format est carré et non large, il aurait pu être tourné l’an dernier. Le film évoque des sujets brulants dont on pourrait penser qu’ils ne sont plus vraiment controversés alors que le débat va en s’empirant. L'immigration en est un exemple, le film débute sur ça et c’est encore aujourd’hui un gigantesque point de discorde dans le monde entier. Et le film se termine sur l'Amérique qui part en guerre contre elle-même, chose qui me parait très probable dans un avenir plus ou moins proche. C'est probablement l’un de mes films les plus obscurs mais je préfèrerai qu'on se souvienne de moi pour La Seconde Guerre de Sécession plus que pour n'importe quel autre long-métrage, pour la simple raison que je le trouve particulièrement pertinent. Au final, j'ai du faire des compromis avec HBO mais je pense néanmoins que dans l'ensemble, c'est l’une des meilleures choses que j'ai jamais faite.


Quel genre de compromis ? 


Le film était trop sombre pour eux. Ils voulaient plus d'humour et ils ont coupé pas mal de choses que je trouvais personnellement très drôles, mais qui n'étaient pas de leur goût. Mais dans l'ensemble j'assume le film et je le trouve plutôt réussi.


Saviez-vous que le film est sorti en salles en France ? 


Je suis au courant, oui. Ainsi qu'en Italie et dans un certain nombre d'autres pays. En conséquence, il est plus connu dans le reste du monde qu’aux Etats-Unis car les productions HBO ne sont jamais rediffusées, que ce soit sur HBO ou ailleurs. Il n’y a d’ailleurs aucune trace du film sur le site de HBO, comme sur aucune autre production de cette époque. Il devient donc très difficile de conseiller le film, il est trouvable sur le site Amazon, qui dit toujours qu'il ne reste que deux exemplaires disponibles. Le film est destiné à rester dans l'obscurité. 


En 1998, vous tournez Small Soldiers. Quelles étaient les attentes autour du projet ? 


Small Soldiers a trainé pendant un moment chez Amblin, puis était passé chez DreamWorks quand Steven Spielberg a créé le studio. À mon avis, le film ne s'était toujours pas fait parce que la technologie requise n'était pas au point. Je suis arrivé et j'ai apprécié l’idée même au cœur du film, à savoir que les soldats ne sont pas forcément les gentils et que les monstres aux allures bizarres ne sont pas les méchants quant à eux. J’ai pensé que c'était un bon message à envoyer aux enfants. Stan Winston travaillait dessus et il devait y avoir beaucoup de marionnettes. Nous avons commencé dans cette voie mais au final, nous nous sommes rendu compte qu'il était beaucoup plus économe et efficace d'employer des images de synthèse. Du coup, les marionnettes ont moins servies. Le souci, c’est que nous avions affaire à plusieurs intermédiaires du studio, qui mettaient leur grain de sel dans le scénario sans vraiment savoir ce qu’ils voulaient. Pendant le tournage, il m’est arrivé de recevoir des nouvelles pages de scénario, alors que je les avais tournées la veille ! Personne ne se tenait vraiment au courant, et il y a eu beaucoup de compromis à faire sur ce film. Je le trouve encore correct, mais le dernier acte est problématique selon moi, car il fallait impérativement retourner à la maison selon eux, malgré le fait qu’il s’agisse d’un des décors principaux du film. Pour ma part, je voulais que Small Soldiers se termine dans l'usine de jouets, par l’attaque de centaines de figurines de Chip Hazard. Je me disais qu'il fallait que ce soit plus spectaculaire. Mais les producteurs nous ont dit non de façon catégorique. Mais cela reste un film correct selon moi.


Small Soldiers est un film très tendre, mais le marketing était un peu étrange et mensonger. Ce n’est qu’en découvrant le film que les spectateurs pouvaient comprendre que les monstres sont les véritables héros du film par exemple, ce qui est plutôt logique d’ailleurs si on suit votre carrière ! 


Je n'ai pas eu mon mot à dire sur le marketing. Le film a été monté de façon à contourner le marketing. Il y avait des partenariats avec plusieurs sociétés différentes qui voulaient un certain type de film. On m'a d’abord demandé de faire un film “tendance” pour les ados. Mais quand ils ont commencé à créer le matériel marketing, le ton était orienté vers les jeunes enfants et ils m'ont demandé de faire le film pour ce public-là. C'était déjà trop tard, la moitié du film était dans la boîte. Alors ils ont taillés dans les scènes jugées violentes, dans les explosions, ce genre de choses, le prétexte étant que les parents allaient se plaindre. Si vous commencez à faire un certain type de film et que les décideurs changent soudain d'avis à la moitié du tournage, ce qui arrive plus fréquemment qu'on ne veut bien le croire, ce n'est jamais bon pour le projet. C'est ce qui explique pourquoi Small Soldiers est un film un peu inconsistant.


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On vous propose Les Looney Tunes passent à l’action en 2003. Vous avez judicieusement conçu le film comme l’anti-Space Jam ! 


Chuck Jones était un ami et il avait détesté Space Jam. Quand on m’a proposé le projet, je ne trouvais pas le scénario particulièrement bon. Mais Chuck venait de décéder et je me suis dit que je lui devais de représenter les personnages tels qu’ils ont été conçus, et non pas comme des pantins qui font du hip-hop et autres foutaises qui ne leur correspondent pas. Le problème sur Les Looney Tunes passent à l’action, c'est que les responsables du marketing voulaient faire le film car ils souhaitaient remettre les personnages en avant aux yeux du public. Sauf que le studio n’était pas intéressé par le projet. Ils n'aimaient pas son idée même, ils n'aimaient pas les cartoons et ça ne les a pourtant pas empêchés de ressentir le besoin de me dire comment faire le film. Pendant et après le tournage, je devais me rendre aux divers bureaux de la production pour débattre du contenu du film. Sur un film en animation comme celui-ci, la moitié des personnages ne sont pas présents physiquement donc vous devez d’abord le tourner, faire un premier montage et ensuite coller des esquisses ou des images fixes des personnages dessus pour donner une idée de la direction que vous voulez prendre. Aucun film n’a l'air bon sous cette forme, ce n’était pas drôle, et nous n'aurions jamais du le montrer au studio avant d'y avoir intégré l'animation. Mais dans ce cas, ils nous auraient bien évidemment dit qu'ils ne paieraient pas pour l'animation avant d'être certains d'apprécier le film. Le problème dans ce genre de situation est que la première impression qu'ils auront du film est celle qu'ils auront toujours par la suite. Peu importe que vous fassiez un tabac ou que vous gagniez des Oscars, ils penseront toujours que c’est une merde si cela a été leur première impression ! Et c'est exactement ce qui s'est passé dans ce cas. Ils ont détesté le film durant tout le tournage et la post-production. Nous avons tourné pendant six mois et nous avons passé un an en post-production à débattre en permanence du contenu du film. On nous disait que les personnages ne pouvaient pas faire des regards caméras ou s’adresser au public, des choses pour lesquelles les héros de cartoons sont connus mais qu'ils n'avaient pas le droit de faire sur ce film ! C'est devenu très conflictuel et ça n'était pas franchement amusant à faire. Et au final, ça n'a donné qu'un gros film bruyant.


Vous étiez pourtant fait pour ce projet, plus encore que Robert Zemeckis sur Qui veut la peau de Roger Rabbit ?!


Sur le coup ça me semblait être une bonne idée oui. Et au final, je pense qu'il y a de bonnes choses dans le film. Mais c'est tout de même un peu le foutoir et si c'était à refaire, je ne le ferais pas. 


Comment s’est déroulée votre collaboration avec Steve Martin sur ce film ? 


Steve Martin est un génie. Il s’est accaparé son rôle, qui n’était pas vraiment un modèle d’écriture comique, et il a décidé d’en faire un véritable personnage de cartoon, au même titre que les personnages animés. Cela a été un privilège de l’observer au travail. Ron Perlman a un petit rôle dans le film, et sur le tournage, il me disait que c’est lui qui aurait du me payer pour lui avoir donné la chance de pouvoir observer le processus de comédien de Steve Martin. Certaines personnes n'ont pas apprécié sa performance, qu'ils ont jugée assez peu subtile. Mais selon moi, c’est précisément ce qu’il fallait pour ce film-là. En tout cas, travailler avec lui constitue l’un des moments forts de ma carrière.


Est-il devenu plus dur pour vous de trouver des projets après le bide du film ? 


J'ai fait The Hole qui a été produit de manière indépendante. J’ai convaincu les producteurs de le tourner en 3D, ce qui était une énorme erreur. J'étais ravi de le faire car j'aime beaucoup la 3D et j'ai pu expérimenter avec le format comme jamais je n'aurais cru pouvoir le faire. Je pensais que cela aiderait le film qui se déroulait dans un lieu unique, avec peu de personnages. Mais au moment où le film a été finalisé, les écrans étaient squattés par de la fausse 3D, des films tournés de façon traditionnelle et post-convertis en relief. Tous ces films étaient des gros films de studios avec des stars et le nombre de salles susceptibles de diffuser en 3D était encore limité. Nous n'avons donc tout bonnement pas pu sortir notre film dans ce format. Résultat, The Hole n'est même pas sorti en salles aux USA, excepté dans un cinéma du centre ville de Los Angeles, alors qu'il était fait pour être vu au cinéma en 3D ! Il est sorti dans quelques pays d'Europe et a bien fonctionné en Angleterre ou en Italie par exemple, mais c'est un de ces films qui sera principalement vu à la télévision. Et ça me désole. Désormais, tous les films fait dans cette gamme de budget atterrissent directement en vidéo et les gens les voient sur leur ordinateur. C’est le cas de mon nouveau film Burying the Ex. Mais les comédies et les films d'horreur ne fonctionnent pas aussi bien quand on les voit sur un ordinateur, il faut les découvrir sur grand écran avec un public, les vivre comme une expérience communale. En conséquence, le futur dans le cinéma pour les gens qui ne font pas des gros blockbusters coûteux est très limité car il n'y a plus de public de masse pour eux. Il y a un public “individuel”, qui va regarder un film d'horreur à la maison entre amis et ricaner devant. Sauf que ce ricanement deviendrait un rire franc quand le même film est vu avec une salle pleine. J'ai fait la tournée des festivals avec Burying the Ex, j'étais à Strasbourg pour présenter le film par exemple, et il a très bien fonctionné auprès du public. Les gens passaient un bon moment, ils se marraient et le rire entrainant le rire, ils en sortent en ayant apprécié le film. Je ne suis pas persuadé qu'ils diraient la même chose s'ils avaient vu le même film, seuls dans leur chambre ou à la télévision.


Propos recueillis par Stéphane MOÏSSAKIS et traduits par Matthieu GALLEY

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