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L'esprit de Noël, part 3 : Shane Black

Posons les grandes questions, les vraies questions. Pourquoi. Pourquoi presque tous les films écrits ou réalisés par Shane Black se passent pendant les fêtes de Noël ?
L'esprit de Noël, part 3 : Shane Black

Posons les grandes questions, les vraies questions. Pourquoi. Pourquoi presque tous les films écrits ou réalisés par Shane Black se passent pendant les fêtes de Noël ?


En effet, à quelques exceptions près qui confirme la règle la filmographie quasi-entière de Black repose sur le même cadre temporel ou l'évoque au moins partiellement, au point d'en devenir une signature artistique. Si un buddy movie old school au complot alambiqué se déroule pendant Noël, il y a de fortes chances pour que ce soit un Shane Black. Penchons nous de plus près sur ce qu'on peut appeler les Black Christmas.

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Tout commence en 1987 avec L'Arme Fatale.


Shane Black et Richard Donner revisitent le film de duo de flics avec une tournure pop, larger-than-life aux émotions exacerbées et aux situations surréalistes, à l'image de Riggs, joué par Mel Gibson, dont la folie fait des étincelles avec le sérieux de Murtaugh (Danny Glover), aka Monsieur « Je suis trop vieux pour ces conneries ». Noël est là, mais toujours en arrière-plan. Riggs coince des malfrats devant un marché de sapins, le commissariat est redécoré avec des guirlandes et la baston finale entre le bad guy joué par Gary Busey et Mel Gibson se passe sur le jardin de la maison de Murtaugh, évidemment orné de lumières chatoyantes. D'entrée de jeu, il est évident que pour Black, Noël n'est pas un thème en soi ou un moteur narratif. C'est un décor, une scène, un endroit mental précis, universellement reconnaissable qui ancre les personnages et l'univers du film. Cela n'a aucune incidence sur les trajectoires des héros, sur leur arc, ni sur le fond du film. C'est simplement « là » où ça se passe.


Le producteur du film, Joel Silver trouvera l'idée tellement bonne qu'il l'empruntera pour Die Hard de John McTiernan, et qui se répétera dans Die Hard 2.

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L'aventure se poursuit en 1989 avec L'Arme Fatale 2. Si le film ne se déroule pas précisément pendant Noël, le film multiplie pourtant les signes de fêtes de fin d'année. Le titre du film est annoncé par des cloches de Noël, avant même le premier plan du film, comme pour mettre dans une ambiance festive. Plus tard, un autre signe crève les yeux. La fille de Murtaugh joue dans une pub pour préservatifs. Il subit donc raillerie sur raillerie au poste de la part de ses collègues, la meilleure étant un sapin fait de capotes posé sur le bureau de Murtaugh, provoquant l'hilarité générale. Ce gag marque une référence gratuite de plus à Noël en même temps qu'il symbolise la rupture entre Black et Joel Silver, les deux hommes voulant faire partir la suite de la franchise dans des directions totalement opposées. Black claquera la porte, persuadé d'avoir signé son meilleur script, orienté plus sombre et bourrin que le premier volet, tandis que Donner et Silver feront glisser la saga vers l'humour potache qui tombera dans le ridicule avec les 2 films suivants. Dans le scénario d'origine de Black résidait une autre image symbolique : un avion rempli de cocaïne explosant dans le ciel, et dispersant la poudre magique sur la Californie comme de la neige.


Deux ans plus tard, Tony Scott adapte Le Dernier Samaritain (The Last Boy Scout), qui est la première entrée assumée de Black dans le film noir, en même temps qu'une ré-appropriation, remplie d'humour et avec encore une fois au centre de l'intrigue un duo pour mener l'action, en la personne de Bruce Willis et Marlon Wayans. Noël est cette fois largement plus discret que dans les films précédents et il faut guetter certains détails pour réaliser que le film se passe pendant cette période. Cela peut aussi s'expliquer par la volonté de Tony Scott à ne pas se préoccuper du cadre qui entoure le film. Ce sera aussi le cas de Last Action Hero de John McTiernan, qui aurait pu profiter de son contexte méta pour placer le film à la période de Noël, devenu déjà un code en soi du film d'action à l'époque de la sortie du film.

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Mais Noël reviendra de plus belle dans Au revoir à Jamais (The Long Kiss Goodnight) réalisé par Renny Harlin en 1996. Ici, Noël est clairement utilisé comme une atmosphère entière, avec la neige omniprésente, la famille, le costume de Mère Noël de Geena Davis et ainsi de suite. Le film, même si mineur et inégal, rappelle la qualité de conte qu'ont les récits de Noël, avec ses deus ex machina, sa part de pardon et de rédemption à travers le personnage de l'héroïne qui recouvre sa mémoire d'ex agent secret et avec les pêchés du passé. C'est un Black plus romantique, bien plus enclin aux happy ends et à la catharsis de ses héros.


C'est de ce sentiment que viendra en partie sa première réalisation, Kiss Kiss Bang Bang, en 2005 après une longue traversée du désert, qui se pose à la fois comme une relecture de sa filmographie entière de scénariste et en même temps une nouvelle approche de son propre style. Débarrassé des basses velléités des studios et de l’ego des acteurs et des réalisateurs, Black se lâche enfin : ses héros sont aussi cyniques et désabusés que possible, les intrigues sont plus tordues et complexes qu'elles ne l'ont jamais été et l'humour côtoie la mort à chaque séquence. Et Noël est toujours là, plus présent que jamais. Des images sortent même de l'arrière-plan, comme Michelle Monaghan en tenue de Mère Noël évoquant Davis dans Au revoir à Jamais, ou des danseuses déguisées en rennes dans une fête mondaine près de Mulholland Drive.

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Le succès n'étant pas au rendez-vous de ce qui reste peut-être à ce jour son meilleur film, Black rejoindra les abîmes pendant quelques années avant de devenir script-doctor sur les deux premiers Iron Man de Jon Favreau. Le boulot paie et Robert Downey Jr rend la monnaie de sa pièce à Black en lui octroyant la place de réalisateur pour l'un des plus gros budgets de 2013 à Hollywood : Iron Man 3, sorti en 2013.


Black se fera un malin plaisir à pervertir cette commande pour yes-man en hommage à sa propre filmographie. Iron Man se crashe dans la neige et provoque un accident de voiture qui ressemble trait pour trait à celui de Geena Davis dans Au Revoir à Jamais. Le climax se passe exactement au même endroit que celui de l'Arme Fatale 2. Un gamin vient en aide au héros comme dans Last Action Hero. Et, évidemment… le film se passe pendant les fêtes de Noël. Si les références peuvent faire sourire, elles ne servent pas de véritable propos en soi, elles sont le témoin d'un auteur qui vit avec son temps en recyclant ses succès passés sans vraiment chercher ou avoir besoin de les chambouler.


Il prendra le contrepied total de l'aventure Marvel avec sa réalisation suivante, The Nice Guys, sorti en 2016. Et si la majorité du film semble tirer un trait sur les artifices habituels de Black pour mieux en retrouver la substance comme Kiss Kiss Bang Bang, il reste encore quelque chose de ses anciens films, in extremis, à la conclusion du film, qui se passe fin décembre.

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Alors pourquoi Noël ? Black l'explique en ses propres termes : « Noël, c'est fun. C'est rassembleur et tous vos personnages sont impliqués dans cet événement qui reste intrinsèque à l'histoire, qui l'enracine. ». Noël a une fonction de talisman, un guide dans la nuit, un totem omniprésent pour les personnages et leur rappeler ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent devenir. Mel Gibson arrêtera d'être suicidaire. Bruce Willis et Ryan Gosling deviendront des pères responsables. Geena Davis acceptera sa force, et Robert Downey Jr ne retournera plus en cure désintoxication pour devenir l'acteur le mieux payé d'Hollywood. Comme dans un Capra, les miracles arrivent, la vie est belle et la joie submerge les coeurs. 


Black, au fond, n'a pas l'âme si noire que ça. 


Joyeux Noël à tous.


Maxime Solito