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Mission Impossible : vingt ans sur grand écran

A l’occasion des 20 ans de la sortie du premier film Mission Impossible, tiré de la série télévisée du même nom, nous revenons sur son importance dans la carrière de ses différents contributeurs. Aujourd’hui, son réalisateur, Brian De Palma.
Mission Impossible : vingt ans sur grand écran

A l’occasion des 20 ans de la sortie du premier film Mission Impossible, tiré de la série télévisée du même nom, nous revenons sur son importance dans la carrière de ses différents contributeurs. Aujourd’hui, son réalisateur, Brian De Palma.


Dans les années 1990, Brian De Palma est déjà sur le déclin. Le bûcher des vanités et l’esprit de Caïn ont entamé son crédit. Certes, cela n’atteint pas le niveau médiocre de ses derniers longs-métrages, mais quand on compare à la faste décennie précédente, inégalable - Pulsions, Blow Out, Scarface, Body Double, Les Incorruptibles, Outrages, excusez du peu-, le constat est implacable, malgré tout l’amour qu’on a pour L’Impasse. La vraie catastrophe arrivera en 2000 avec Mission to Mars. Il le dit lui-même, un réalisateur n’est jamais aussi bon que pendant sa quarantaine, assez vieux pour atteindre une certaine maîtrise, encore assez jeune pour ne pas sombrer dans des gimmicks. Les années 90, sa cinquantaine donc, marque pour lui une crise profonde. De Palma se sent incapable de concilier son travail et sa famille, lui qui vient de divorcer moins de deux ans après s’être marié puis avoir eu un enfant.

Le chant du cygne, après l’Impasse donc, c’est l’adaptation d’une franchise déjà forte, à l’initiative d’un acteur au sommet de sa popularité et qui commence à vouloir écrire sa propre légende, Tom Cruise. A noter que ce dernier peut déjà se permettre le luxe de n’avoir De Palma qu’en second choix : originellement sa préférence se portait sur Sidney Pollack, qui finit par se désintéresser du projet. Au bénéfice du réalisateur de Phantom of the Paradise, rencontré au détour d’un repas chez Steven Spielberg –oui, ce genre de dîner-.


De Palma n’avait jamais regardé un épisode de la série originale. D’ailleurs il ne veut pas vraiment réaliser une adaptation stricte, ou un long épisode d’un vieux show. Non, ce qu’il veut, c’est peu de fusillades, un thriller dans une Europe post-guerre froide, avec pour thème principal la déception. Il s’inspire en grande partie des films de braquage – ce qui sera répété dans les suites – comme Topkaki de Jules Dassin. Chose quasiment impensable aujourd’hui, la vision d’un auteur est plaquée sur un blockbuster. Il dira lui-même que le studio, persuadé de la réussite du projet, lui laisse une liberté totale. Les reshoots sont possibles, mais seulement si le réalisateur les réclame et qu’il les réalise. Le film symbolise la fin d’une époque et le début d’une nouvelle : la postproduction dure un an, avec des effets spéciaux réalisé dans le Skywalker Ranch de George Lucas, ami de De Palma, annonçant le recours massif aux effets par ordinateur du 21ème siècle.

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Mission Impossible reste de bout en bout l’œuvre de son auteur, et ses talents de réalisateur lui permettent de nouer une intrigue dramatique avec une maîtrise absolue du rythme. Blockbuster assumé, le film coche toutes les cases du film d’action réussi, portant dans le même temps la marque de De Palma avant tout. C’est une nouvelle réflexion sur la place de l’image –leitmotiv de sa filmographie -, sa manipulation que le virtuel rend à la fois plus facile et plus crédible. L’ère du numérique est d’internet en est à ses balbutiements, mais déjà, plus rien ne peut être comme avant –comprendre comme lors de la série originale, justifiant d’autant plus les différences de cette « adaptation »-. Tout est histoire de faux-semblants, d’apparence, de trahison : comme Ethan Hunt, le spectateur est trompé sur ce qu’il croit savoir. L’image n’est pas une preuve, ni une certification de vérité, contribuant à créer un univers où on ne peut effectivement faire confiance à personne, surtout pas au réalisateur. Hunt devra à son tour la manipuler pour reprendre le contrôle, à commencer par la sienne, via des masques, des postiches, du maquillage.


Encore une fois obsédé par Hitchcock, De Palma rejoue ici l’une de ses séquences les plus connues, à savoir la poursuite par un avion dans La mort aux trousses, dans la scène finale de poursuite dans l’Eurotunnel entre un Tom Cruise sur un TGV et Jean Reno dans un hélicoptère. Si la scène, spectaculaire, a sans doute mal vieilli, elle témoigne de l’envie du metteur en scène de créer un final explosif ; connaissant son importance pour un blockbuster, il insiste auprès du scénariste Robert Towne pour la conserver. Ce dernier ayant des relations compliquées avec l’autre scénariste, David Koepp –responsable du script de L’Impasse-, c’est Brian de Palma qui doit assurer la liaison entre les deux, parachevant son rôle de chef d’orchestre du projet, particulièrement attaché à chacune des étapes de sa production, alors même que c’est un film de commande.


Il met en scène ce scénario, qui sera le squelette de toute la série, une variation autour de la même structure : les agents d’IMF se font trahir, Ethan Hunt est contraint d’agir en hors-la-loi pour prouver son innocence et obtenir sa réhabilitation. Au programme, des masques plus vrais que nature, des trahisons en pagaille, un money-shot marquant en milieu de film –ici une séquence de cambriolage du siège de la CIA à Langley, dans un silence total -.


C’est cette scène qui porte plus encore que les autres la patte du réalisateur. Il souhaite marquer la différence du film en ne se reposant pas sur des artifices sonores, effets comme musique, pour au contraire souligner leur absence. Son autre désir c’est d’avoir une architecture marquante : il travaille donc sur un logiciel d’architecture puis se fait aider par Norman Reynolds, chef décorateur de Lucas (encore lui) sur Star Wars et oscarisé pour les Aventuriers de l’Arche perdue, afin d’obtenir un décor digne d’un film de science-fiction, symbole d’un monde aseptisé où la chair n’a plus sa place. Situé au cœur de la CIA, représentation absolue de la surveillance, le décor est blanc comme un œil. Ethan rentre par son centre, sa pupille, le seul angle mort du système de sécurité le plus sophistiqué au monde. Dans cet univers, il flotte, sans que l’on sache de quel sens il se trouve, étant sans arrêt trompé par les plongées et les contre-plongées.  Un corps qui redevient maître d’un espace déshumanisé en trompant ses machines les plus élaborées. Brisé par le système, il recrée le sien, en en tirant littéralement les ficelles. La science du découpage de Brian De Palma souligne chacun de ses gestes, leur pesanteur, faisant de cette scène de vingt minutes centrales le cœur du film en termes d’enjeux, son sommet en matière de réalisation. L’un des plus marquants du metteur en scène, qui hante encore le cinéma d’aujourd’hui, mais aussi l’un de ses derniers, et son plus gros succès au box-office. La preuve qu’une adaptation peut être originale et ambitieuse, et que le film d’action n’est pas un cinéma au rabais.


Boris Biron