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Once Upon a Time… in Hollywood : Y a-t-il un film pour sauver Hollywood ?

Si Quentin Tarantino s’affiche clairement comme le cinéaste le plus cinéphile de sa génération, c’est la première fois de sa carrière qu’il aborde l’objet de sa passion de manière aussi frontale.
Once Upon a Time… in Hollywood : Y a-t-il un film pour sauver Hollywood ?

Once Upon a Time… in Hollywood est un film sur le cinéma. Faire ce constat revient à enfoncer une porte ouverte et pourtant, si Quentin Tarantino s’affiche clairement comme le cinéaste le plus cinéphile de sa génération, c’est la première fois de sa carrière qu’il aborde l’objet de sa passion de manière aussi frontale. Laissant libre cours à sa cinéphilie sans pour autant céder à la nostalgie pure, le réalisateur signe une œuvre à la fois libre et définitive qui utilise le langage même du cinéma pour le consacrer. Pour tenter de comprendre et extraire la richesse de son propos, difficile cependant de ne pas spoiler le film… Mais vous l’avez forcément vu, non ?


Par Stéphane Moïssakis, paru en 2019, issu du Rockyrama 25, toujours disponible sur notre shop !

Depuis ses débuts, Quentin Tarantino a régulièrement revendiqué l’importance du cinéma au sein même de ses œuvres. Dans True Romance, c’est dans une salle de quartier que les amoureux Clarence et Alabama se rencontrent pour la première fois. Dans Pulp Fiction, le diner qui sert de rencard à Mia Wallace et Vincent Vega regorge de posters de films d’exploitation et de serveuses au look de Marilyn Monroe et Jayne Mansfield. Dans Boulevard de la mort, le diabolique Stuntman Mike utilise son véhicule de tournage customisé pour commettre ses meurtres en toute impunité. Et dans Inglorious Basterds, Shosanna et le commando des bâtards font brûler une mythique salle de cinéma parisienne pour piéger les nazis et purger le mal absolu. Si ces passages sortent clairement de l’imagination d’un cinéphile averti qui se réclame ouvertement de sa passion pour nourrir son propre travail, ils restent cependant des éléments périphériques au récit, une manière toute particulière d’appuyer la personnalité de l’auteur derrière ces films. Pour son neuvième long métrage, Quentin Tarantino aborde cette fois le sujet de manière frontale. Comme son titre l’indique, Once Upon a Time… in Hollywood est un film sur le cinéma, dans le sens où il s’agit du sujet central du film, mais aussi de sa toile de fond. La construction du récit sur trois jours spécifiques de l’année 1969 permet au réalisateur de suivre trois personnages principaux dans leur quotidien, à savoir Rick Dalton, un acteur de séries télé sur le retour (Leonardo DiCaprio), Cliff Booth, son acolyte cascadeur qui lui sert d’entourage (Brad Pitt) et une véritable star en devenir en la personne de Sharon Tate (interprétée par Margot Robbie). Soit deux personnages totalement fictifs, mais inspirés par différentes figures de l’époque et une starlette qui est devenue une véritable légende hollywoodienne en raison de son destin funeste. Ceci posé, le cadre lui permet aussi de truffer ces différents parcours de véritables anecdotes hollywoodiennes qu’il adapte à sa guise. On le sait, Quentin Tarantino est considéré comme le cinéaste cinéphile par excellence, et celui-ci n’hésite pas à présenter Once Upon a Time… in Hollywood comme l’un de ses films les plus personnels, rappelant ainsi au gré des interviews qu’il avait tout juste cinq ans en 1969. De là à considérer que le film reflète le regard d’un jeune enfant sur cette époque de transition, il n’y a qu’un pas que la plupart des spectateurs n’hésitent pas à franchir, puisque le terme « nostalgique » est sur toutes les lèvres quand il s’agit de résumer Once Upon a Time… in Hollywood. Pourtant, malgré les fastes d’une impressionnante et minutieuse reconstitution du Los Angeles de 1969, malgré une bande originale d’époque qui habille toujours autant les superbes images de Robert Richardson, malgré les chemises hawaïennes de Brad Pitt, les rouflaquettes de Leonardo DiCaprio et les pattes d’eph des hippies qui font du stop sur Sunset Boulevard, le film de Quentin Tarantino reste résolument moderne dans sa manière de renvoyer le spectateur à sa propre époque. Mais nous allons y revenir.

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Plus encore que dans n’importe quel autre de ses films, le fait de situer Once Upon a Time… in Hollywood au cœur de la Mecque du cinéma permet à Quentin Tarantino de s’adonner à l’un de ses exercices favoris, à savoir jouer du rapport entre la réalité et la fiction. Depuis ses débuts, il s’amuse constamment à confronter son regard de cinéaste avec celui du spectateur, notamment sur l’emploi de certains archétypes cinématographiques. C’est ainsi qu’il se pose la question – par exemple – de ce que des tueurs à gages iconiques comme les personnages de John Travolta et Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction peuvent bien faire entre deux contrats, et qu’il décide de les montrer au quotidien, à digresser sur la portée sensuelle des massages de pieds ou les différentes manières de manger des frites en Europe. Ce retour constant entre réalité et fiction est au centre de ce nouveau film et à travers certaines séquences qui peuvent paraître anodines, au premier abord, il questionne aussi le rapport du spectateur au cinéma dans son ensemble. Cela peut parfois susciter des polémiques qui n’ont pas forcément lieu d’être, étant donné que les différentes pistes abordées par le réalisateur n’aboutissent pas à des réponses précises qui viennent directement nourrir le fil du récit. Prenons la fameuse séquence du combat entre Bruce Lee et Cliff Booth. Le fait d’opposer la légendaire star des arts martiaux au cascadeur fictif interprété par Brad Pitt aura ainsi fait couler beaucoup d’encre. Sur le papier, la scène sert spécifiquement à démontrer que Cliff est suffisamment balaise pour tenir tête à une véritable icône cinématographique, Bruce Lee, considéré comme l’un des plus grands combattants jamais vus sur grand écran. En prenant ainsi en compte le statut mythique de Bruce Lee pour s’en servir à des fins narratives, Quentin Tarantino questionne sa légitimité sans forcément la remettre en question pour autant. Nombreux sont ceux qui ont reproché au cinéaste de le dépeindre comme une personne arrogante, alors qu’il s’agit pourtant d’une de ses caractéristiques à l’écran, comme le démontrent certains passages rageurs de La Fureur du dragon ou Opération dragon. De plus, la question de la pérennité de l’œuvre de Bruce Lee mérite d’être posée, étant donné que la plupart de ses films ne seraient finalement pas si mémorables… sans la présence de Bruce Lee ! En lisant entre les lignes, il semble alors évident que Tarantino pose en réalité la question suivante : est-ce que Bruce Lee aurait vraiment eu cette aura aujourd’hui, sans que sa disparition prématurée l’inscrive comme une éternelle légende du cinéma ? La controverse suscitée par cette séquence de Once Upon a Time… in Hollywood est donc d’autant plus étonnante qu’elle s’inscrit dans les thématiques principales du film. Comme c’est le cas d’ailleurs de plusieurs autres séquences en apparence légères, et pourtant pleines de sens.


Aborder Once Upon a Time… in Hollywood sous l’angle de la chronique pour évoquer le quotidien de ses personnages permet en effet à Quentin Tarantino de jouer sur la politique hollywoodienne et de créer des enjeux résolument spécifiques. Celui qui concerne Rick Dalton revient à se demander s’il va parvenir à rebondir, après une poignée d’apparitions en « méchant de la semaine » dans diverses séries télé du dimanche soir. À travers ce parcours, le cinéaste questionne ainsi la longévité dans son propre milieu, une notion qui l’interpelle depuis quelques années, lui qui promet de s’arrêter à dix longs métrages, pour ne pas commettre le film de trop. Mais dans la logique du récit, Tarantino pose un tout autre enjeu, celui de savoir si Rick Dalton est véritablement un acteur de qualité qui mériterait donc une deuxième chance dans sa carrière. C’est à travers sa mise en scène qu’il va progressivement donner la réponse aux spectateurs, notamment dans le long passage qui montre comment Rick évolue sur un plateau de cinéma, en discutant avec ses divers partenaires de jeu, dont une enfant-star très studieuse. Jouant d’abord sur un pur fantasme d’acteur à travers un faux flashback qui troque Steve McQueen pour Rick Dalton dans une séquence de La Grande Évasion, Tarantino déstabilise encore plus son audience à travers de longues scènes de western, régulièrement perturbées par un élément disruptif. Alors qu’il pense avoir affaire à une véritable séquence de cinéma – Cinémascope et mouvements de caméra à l’appui – le spectateur réalise qu’il assiste en réalité au tournage de ladite scène, à travers l’oubli d’une ligne de dialogue ou une remise en place de la caméra. Fort de cette approche métatextuelle qui caractérise son cinéma depuis toujours, Quentin Tarantino décortique le processus cinématographique pour exprimer les affres du métier de comédien, le menant jusqu’à son fameux gros plan, qui prend ici la forme d’un véritable accomplissement lorsque sa très jeune partenaire lui confirme qu’elle n’a jamais assisté à une telle performance auparavant. La scène est à la fois déroutante et particulièrement touchante, car le cinéaste prend le soin de faire ressentir cet enjeu si spécifique au spectateur. C’est d’ailleurs à se demander si la jeune actrice au regard tantôt analytique, tantôt émerveillé, ne serait pas le personnage le plus représentatif de Quentin Tarantino, du moins dans sa façon de percevoir le cinéma avec le regard le plus pur qui soit.

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Quoi qu’il en soit, ce jeu de miroir constant, Quentin Tarantino l’applique à chacun de ses protagonistes, même si le procédé diffère à chaque instance. Par exemple, le personnage de Cliff Booth est au centre d’une rumeur qui prétend qu’il a tué sa femme, et ce même s’il a été innocenté par la loi. De ce fait, plus personne à Hollywood ne souhaite l’employer, mais évidemment, cette information a ceci de perturbant pour le spectateur qu’elle teinte l’aura de ce personnage relativement affable et attachant. Pourtant, et de manière consciente, Quentin Tarantino refuse de donner la réponse quant à la culpabilité de Cliff, laissant au contraire le spectateur juger (ou pas) le personnage selon ses actions dans le film, et notamment sur sa manière de réagir aux avances d’une jeune hippie qu’il prend en stop. Cette approche ne consiste pas seulement en l’idée de renvoyer le public à son propre jugement moral, mais de l’inviter à accepter ce qui se passe à l’écran – la fiction en somme – comme une forme d’absolu, plutôt que de prêter attention aux rumeurs, que l’on pourrait considérer comme la quintessence de la vérité subjective. Le cas de Sharon Tate est encore plus flagrant, car Tarantino utilise un pur procédé de cinéma qui questionne directement le point de vue du spectateur. Lorsque la starlette se rend au cinéma pour voir l’un de ses propres films, le cinéaste prend ainsi le parti d’opposer la véritable vedette à son actrice Margot Robbie dans une très belle scène de cinéma, au sens littéral comme au sens cinématographique du terme. À l’image, Margot Robbie prend place dans une salle de cinéma pour regarder Matt Helm règle son comte de Phil Karlson, et Quentin Tarantino décide de montrer le véritable film de 1968 à l’écran. Dans le cadre du récit, la scène est très touchante car elle offre une véritable incarnation à Sharon Tate, qui savoure les réactions positives des spectateurs à chacune de ses apparitions, entérinant l’idée que dans la réalité de Once Upon a Time… in Hollywood, l’actrice jouit de sa notoriété grandissante. Mais à un niveau inconscient, c’est une réalité alternative qui se dessine pour le spectateur, qui perçoit deux incarnations de Sharon Tate sur grand écran. En jouant de cette dualité spécifiquement cinématographique, Quentin Tarantino est déjà en train de préparer son audience au climax aussi déroutant que controversé du film. On raconte que la mort de Sharon Tate et de ses amis a sonné la fin de l’innocence aux États-Unis, un soir funeste du mois d’août 1969. Mais Quentin Tarantino a été assez clair sur le sujet : Once Upon a Time… in Hollywood n’est pas un film sur l’affaire Charles Manson. Preuve en est, il détourne une fois encore la réalité historique pour proposer une nouvelle uchronie sujette à controverse. Ici, les membres de la famille Manson décident de ne pas frapper à la porte de Sharon Tate mais plutôt à celle de son voisin de palier, à savoir Rick Dalton, le cowboy de leur enfance qu’ils tiennent pour responsable de leur désir de violence. S’ensuit une scène de massacre aussi décomplexée qu’hilarante, dont Quentin Tarantino a le secret. Et chez lui, c’est non seulement la fiction qui prend le dessus, mais c’est surtout elle qui gagne ! En usant de leur droit à la légitime défense, Cliff Booth et Rick Dalton se débarrassent violemment de leurs assaillants, allant même jusqu’à utiliser un accessoire de cinéma, à savoir un lance-flamme récupéré sur le tournage d’un film ! Dans son style comme dans ses thématiques, Once Upon a Time… in Hollywood est de toute évidence une œuvre très personnelle pour Quentin Tarantino. Et s’il est certain que le réalisateur a longtemps été accusé de rendre la violence suffisamment séduisante pour inciter les spectateurs à passer à l’acte, celui-ci rétorque ici que c’est bel et bien son cinéma qui pète la gueule aux véritables criminels !

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On sait que Quentin Tarantino pense chacun de ses films comme des manifestes cinéphiliques qui sonnent comme autant de déclarations d’amour au cinéma qu’il affectionne par-dessus tout. Mais pour la première fois de sa carrière, Once Upon a Time… in Hollywood se présente avant tout comme un manifeste de son propre cinéma. Tout y est : l’usage de la radio comme élément narratif à la manière de Reservoir Dogs, l’uchronie controversée à la façon du final dans Inglorious Basterds ou encore la réhabilitation des has-been typiques de sa carrière (comme en attestent les come-backs de John Travolta, Robert Forster ou encore Pam Grier) qui sert ici de thématique principale. En surface, cette lettre d’amour à Los Angeles – et plus spécifiquement à Hollywood – résonne en effet comme un chant du cygne, ce qui ne serait pas étonnant puisque Quentin Tarantino a récemment déclaré que Once Upon a Time… in Hollywood pouvait bel et bien être son dernier long métrage. Une chose est certaine : derrière le vernis de la nostalgie d’une époque et d’un lieu que la plupart des spectateurs n’ont pas connu, ce nouveau film fait écho à l’impasse cinématographique actuelle. Quentin Tarantino songe-t-il à l’hégémonie présente d’un grand studio hollywoodien lorsqu’il évoque le génie absolu de Walt Disney au détour d’une scène marquante ? Pense-t-il à #MeToo en évoquant la rumeur qui concerne le personnage de Brad Pitt ? Est-il en train de mettre en place la possibilité d’un Hollywood alternatif, quand Rick Dalton traverse le portail de Sharon Tate pour lui rendre une visite de courtoisie dans la très poignante et toute dernière scène du film ? Suggère-t-il la possibilité d’une nouvelle ère d’innocence cinématographique ? De toute évidence, Once Upon a Time… in Hollywood pose toutes ces questions aux cinéphiles d’aujourd’hui, et bien d’autres encore. Et les réponses sont là, entre les lignes, pour quiconque s’amuse à décoder ce fameux langage cinématographique, celui qui fait désormais tant défaut à Hollywood – mais que Quentin Tarantino a su faire sien.


Par Stéphane Moïssakis, paru en 2019, issu du Rockyrama 25, toujours disponible sur notre shop !