POP POSTER : L'affiche de Scanners
C'est une image-choc, comme un crash de voiture. Elle vous sidère, vous révulse et vous fascine. L'affiche de Scanners synthétise notre rapport au cinéma de David Cronenberg.C'est une image-choc, comme un crash de voiture. Elle vous sidère, vous révulse et vous fascine. L'affiche de Scanners synthétise notre rapport au cinéma de David Cronenberg.
Article par Clément Arbrun paru dans le Rockyrama n°30, toujours disponible sur notre shop !
Cronenberg, ce sont des intrigues morbides, une atmosphère poisseuse, un doux sentiment de transgression... Et un visuel, évidemment. Des images qui marquent. Notre relation au cinéma du maître canadien ne serait pas vraiment la même sans ses affiches. Car avant la séance, il y a toujours la curiosité interdite de l'adolescent·e happé·e par une jaquette qui claque. Une perplexité sourde face à l'univers que l'on nous propose. Quelques mots d’une tagline pour nous tenter d'autant plus. La certitude que l'on s'aventure tout doucement vers d'étranges territoires. Tout cela à la fois.
Une étrange machine à téléportation d'où émane une menaçante fumée blanchâtre – et des membres indistincts – dans un curieux mix de ténèbres étouffantes et d'éclairage verdâtre surréaliste. Un homme au visage hurlant, littéralement happé par un écran géant où apparaît la face iconique de Deborah Harry. Ou encore ces trois visages, fusionnés pour ne constituer qu'un tout difforme et monstrueux, auréolés d’un titre tout aussi cryptique en amont – Faux semblants… Les affiches des films de David Cronenberg sont toujours des œuvres à part entière, qui, à l'instar des peintures de Francis Bacon, obsèdent et angoissent.
Celle de Scanners donne le ton. Une face hurlante – encore – se déforme jusqu'à l'aberration. Plus encore, c'est tout le corps du personnage représenté (on reconnaît la trogne de Michael Ironside) qui semble bouleversé, comme soumis à une intense décharge électrique. Sur certaines versions de l'affiche, ce courant barre même le titre du film comme le signal d’un électrocardiogramme.
En guise d'explications, une baseline longue comme le bras, à lire avec la voix caverneuse propre aux bandes-annonces américaines d’antan : « Il y a quatre milliards d'êtres humains sur Terre. 337 sont des Scanners. Ils ont le plus terrifiant des pouvoirs... Et ils sont en train de gagner. » Puis, plus bas, cet avertissement qui nous interpelle : « Au bout de dix secondes, la douleur commence. Au bout de 15, vous ne pouvez plus respirer. À 20 secondes, vous explosez ». Si ça, ce n'est pas vendre son film, alors on ne sait pas ce que c'est. Concernant cette douleur habilement teasée, un Scanner nous en dira plus durant le film : « Cette expérience entraîne généralement des saignements de nez, des maux d'oreilles, des crampes d'estomac, des nausées et parfois, d'autres symptômes de nature similaire. » Nous voilà fixés.
Le but de ce visuel ? Imprégner notre rétine et pénétrer notre cerveau. Quoi de plus logique pour une série B qui ne parle que de télépathie ? Certaines variations de ce poster préféreront d’ailleurs mettre l'accent sur LA scène culte de l’œuvre : l'explosion de la boîte crânienne du Scanner terrassé dans l'amphithéâtre (Louis Del Grande), spectaculaire séquence supervisée par Gary Zeller – ingénieux artisan qui a fait ses preuves sur le non moins gorasse Zombie de Romero. Une scène réalisée à l'aide de sirop de maïs, de plâtre, de gélatine, de latex et... d'un bon gros coup de fusil de chasse ! Un effet sidérant qui en dit long sur l'art de David Cronenberg, chez qui tout est affaire de cerveau(x) et de flux de pensées, mais aussi de nouvelle chair, de boyaux, de tripes, bref, d'un corps condamné d'avance, à lui seul protagoniste, paysage et cœur palpitant de l'histoire. Cœur qui ne demande qu'à gicler en effusions sanglantes, bien sûr.
Cette éternelle tension entre l'ultra-concret (nous ne sommes pas simplement mortels, nous sommes de la chair en mouvement, nous souffle le cinéaste) et l'abstraction pure (symbolisme, psychisme, télépathie) est le centre névralgique de cette affiche traumatisante. De l’œuvre du cinéaste, aussi. Et de son leitmotiv obsédant, enfin : le corps humain. Il l'expliquait dès 2001, à l'occasion de la sortie du livre de Serge Grünberg (David Cronenberg: entretiens avec Serge Grünberg), lors d'une conférence publique organisée à La Femis : « L'essence de la littérature est la métaphore. Mais c'est un travail dur à faire au cinéma, car cet art entretient avec le réel un rapport fort. Or ce qui est très physique a toujours un point de départ abstrait, conceptuel. J'ai donc tendance à créer de nouveaux objets, organiques, chercher l'équivalent d'une métaphore, mais tout en tentant de garder un côté documentaire. Pour moi, le premier élément de l'existence humaine est la sensation du corps humain, et elle représente le moyen le plus proche pour atteindre la réalité. Or plus on va loin dans son corps, plus la réalité devient virtuelle. C'est un concept qui peut paraître abstrait... mais il est surtout viscéral. »
Impression de « documentaire viscéral » joliment illustrée par cette affiche. Elle semble nous décrire une réalité alternative, étrangement proche de la nôtre. Une quatrième dimension insoupçonnée mais loin d'être incongrue, sur laquelle plane un mal très palpable : la contamination. Cette viralité n'est pas nouvelle. Elle était présente dans l'univers malade de David Cronenberg dès son premier grand film, Frissons. L'histoire d'un parasite (trop) contagieux qui transforme chacune de ses victimes en agresseur sexuel. Qu'on se le dise, le mal insidieux qui envahit Scanners est tout aussi communicatif. Mais la pulsion de mort y est si puissante qu'elle détruit carrément le système neurologique. Le corps n'a jamais été aussi cérébral.
Et la contamination, si organique. Comme l'énonce encore le personnage de Daryl Revok, incarné par Michael Ironside, au jeune médium Cameron Vale (Stephen Lack) : « Nous allons le faire à la manière du Scanner. Je vais te sucer le cerveau ! Et tout ce que tu es... va devenir moi ». Entre film de morts-vivants, revisite du mythe vampirique et concepts philosophiques vertigineux s'esquisse la réalité virtuelle de David Cronenberg.
Article par Clément Arbrun paru dans le Rockyrama n°30, toujours disponible sur notre shop !