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Le générique de Get Out

Difficile de mettre à nu la recette secrète d’un artiste propulsé « cinéaste majeur » en un seul film – et dont le second ne dément guère cette idée. Mais le générique d’ouverture de ce giga succès en dévoile quelques ingrédients.
Le générique de Get Out

Difficile de mettre à nu la recette secrète d’un artiste propulsé « cinéaste majeur » en un seul film – et dont le second ne dément guère cette idée. Mais le générique d’ouverture de ce giga succès du cinéma d'épouvante qu'est Get Out en dévoile quelques ingrédients.


Par Clément Arbrun. Article issu du Rockyrama 25, toujours disponible sur notre shop !

Sous nos yeux, défilent les arbres d'une forêt. Cela pourrait être le cadre d'un conte de fées ou le royaume d'une sorcière, tendance Blair Witch. Ou encore, pourquoi pas, le décor d'un énième survival. En vérité, les premières minutes de Get Out font immédiatement sens, sans que l'on sache où Jordan Peele compte nous embarquer. C'est là le premier ingrédient de sa recette : déplier un imaginaire familier. Le laisser parler de lui-même. Puis, se jouer de nos attentes, de nos fantasmes et angoisses. Une angoisse diffuse et indéfinissable, irrationnelle par définition. La preuve ? Le thème musical de Michael Abels aidant, on s'inquiète de ces bois alors qu'une minute plus tôt, c'est au sein d'une banlieue huppé qu'un afro-américain anonyme s'est fait zigouiller. C'est cela qu'il faudrait redouter : la sauvagerie bien plus mortelle qui émane des zones « civilisées ». À juste titre, le designer Aaron Becker, à qui l'on doit également les génériques d'Insidious et de Split, appuie cette évidence en conférant aux crédits d'ouverture une très élégante typographie. Aussi classieuse, fine et chic que ce « beau monde » blanc vers lequel se dirige dangereusement notre protagoniste...

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Derrière cette typo riche de sens, un autre ingrédient estampillé Jordan Peele : gorger son film d'indices. Telle cette chanson d'intro, « Run, rabbit, run », comptine pour enfants qui laisse présumer la tournure morbide de cette histoire où les afro-américains se font, effectivement, courser comme des lapins. Autre teasing ? Aux plans de forêt succède la visite de l'appartement cosy de Chris, notre héros. Puisqu'il est photographe, ses murs sont tapissés de ses créations. Mais pas n'importe lesquelles. L'une représente, sur fond de quartiers défavorisés, le ventre d'une mère afro-américaine, enceinte. Une autre, un chien en laisse désireux de se faire la malle. Et une troisième, un aigle, symbole de liberté (à l'américaine) et cruel rapace. Le focus sensible que Chris porte sur la condition de ces populations victimes d'un racisme dont le film creusera les multiples couches (du contrôle au faciès à la folie suprémaciste) est évidemment celui de Jordan Peele. Et les métaphores animales, le fond du film : des minorités opprimées, domestiquées comme des chiens, soumises à la main de leurs maîtres, enfermées tels des oiseaux en cage. Enfin, demeure ce beau grain noir et blanc. Les contrastes qui imprègnent ces clichés sont les mêmes qui envahissent la piaule (des murs diaphanes où évolue notre protagoniste noir). Une façon graphique d'appuyer le malaise de ce dernier, « étranger » au sein d'un monde « so white ». Un écho subtil aux premières images, puisque c'est à bord d'une Porsche blanche qu'est déposé le corps du « nobody » André.

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Si le cinéaste insiste sur ces portraits intimistes, c'est parce que la photographie est un personnage majeur de Get Out. Son appareil, Chris s'en sert comme d'un repère rassurant. Un gadget idéal pour épier les convives de la réception « d'oies blanches » organisée dans le jardin de la famille Armitage. Puis, enfin, comme une arme. Il suffit effectivement d'un flash pour « délaver » le cerveau des « brothers » agressifs. En gros, la photographie est ce qui (r)éveille les consciences ! D'ailleurs, c'est par le biais de polaroids que Chris découvre l'affreuse vérité au sujet de Rose. Totem d'un film politique, l'appareil photo est également un superbe objet psychanalytique. Il symbolise la relation tragique qui lie Chris aux images : enfant, pendant que sa mère mourrait, lui, se contentait de regarder la télévision, tétanisé. D'ailleurs, lorsque maman Missy l'hypnotise et le renvoie à ces traumatismes (« mes souvenirs de cette époque sont un peu flous » dira-t-il avant cette « mise au point »), Chris, prisonnier du gouffre de l'oubli, n'a plus de son environnement qu'une vision réduite. Comme s'il l'observait avec un appareil photo jetable vintage. Pour appuyer cette conception de l’appareil photo comme allégorie de l'esprit, manipulé et (littéralement) réduit à néant, Peele place dans la bouche de Jim Hudson, l'un des oppresseurs (aveugle) de Chris, la métaphore de la chambre noire. «Un jour tu développes tes épreuves dans une chambre noire, le lendemain tu te réveilles et c’est toi qui est dans le noir ». Chambre noire, gouffre de l'oubli...Brrr.

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S'insinue en conséquence dans cet appart' « Ikea-style » une inquiétante étrangeté. Le groove de Childish Gambino a beau caresser nos esgourdes, difficile d'oublier la musique qui l'a précédé : celle, envoûtante et mystique, de Michael Abels, et les brusques virgules de violons qui l'introduisent, évoquant le main theme hermannien de Psycho. Placez-donc, pour vous en assurer, ces violons sur la courte scène où, pendant que Chris prend sa douche, Rose observe avec envie des pâtisseries à la boulangerie. Ses yeux sont plein d'appétit. À quoi pense-t-elle ? Ce que l'on prend pour de la gourmandise se révélera être du sadisme. On meurt déjà d'envie de crier à Chris : « GET OUT ! ». Mais à la revoyure, c'est ce générique-là qui regorge de perversité. En teasant tout ce qui va suivre sans jamais en avoir l'air, le cinéaste révèle son ingrédient final : cette équation entre la trouille primale et l'ironie sourde. Si bien que l'on ne sait jamais lequel, du décalage sardonique ou du climax horrifique, est le plus cruel. Équation périlleuse, puisqu'elle risque à tout moment de faire sombrer le film dans le cynisme, au détriment des personnages et de leur épaisseur. Heureusement, l'humour « méta » du réalisateur, sorte de sourire sanguinaire, ne délaisse jamais, à l'instar du Chris-photographe, son sujet principal : l'humain. Sans filtre. Comme l'énonce le salaud Jim Hudson à notre protagoniste : « Les images que tu captes sont si brutales, si mélancoliques, elles sont puissantes. » Pas mieux.


Par Clément Arbrun. Article issu du Rockyrama 25, toujours disponible sur notre shop !