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Quarry : une petite production HBO qui a tout d'une grande

Parmi le flot de séries que les grands network ou les chaînes câblées nous envoient chaque année, il est devenu de plus en plus compliqué de faire le tri, d’avoir le temps de s’investir et de chercher entre les gros blockbusters survendus...
Quarry : une petite production HBO qui a tout d'une grande

Parmi le flot de séries que les grands network ou les chaînes câblées nous envoient chaque année, il est devenu de plus en plus compliqué de faire le tri, d’avoir le temps de s’investir et de chercher entre les gros blockbusters survendus la petite étincelle qui nous fera enfin vibrer et passer pour un sérivore curieux et sûr de son bon goût. Quarry est donc arrivée en catimini en septembre sur OCS, produite par la surpuissante HBO mais balancée sur la petite soeur de luxe Cinémax, connue pour ses séries adultes mais qui abritait déjà la remarquée Banshee ou la remarquable The Knick.  Mais sous ses atours de série B, blafarde et musclée, Quarry a presque tout d’une grande.


Inspirée par les romans pulp de Max Allan Collins (l’auteur du roman graphique Les Sentiers de la Perdition…) dont une douzaine de titres seront écrits à partir de 1976, Quarry raconte les déboires de deux soldats envoyés pour une deuxième mission au Vietnam et qui reviennent dans la banlieue de Memphis retrouver leur famille en 1972. Mais l’opinion publique et la presse, relatant quelques exactions de leur commando dans un village vietnamien, ne voit pas leur retour d’un bon œil. Les « héros » vont donc vite se heurter à la méfiance, à l’incompréhension et au chômage, les employeurs locaux ne souhaitant pas vraiment faire de cadeaux à d’anciens tueurs assermentés. C’est dans ce contexte violent du début des années 70 que Mac Conway (le captivant Logan Marshall-Green, aperçu dans 24H Chrono, Le Prix de la loyauté ou Prometheus) va devoir retrouver son épouse, ses esprits et sa dignité après un an d’absence. Mais quand son ami Arthur, vétéran black et père de 2 enfants, accepte un drôle de contrat de la part du mystérieux Broker (toujours impeccable Peter Mullan), Mac va se retrouver plongé au cœur d’un réseau nébuleux de tueurs à gage sans foi ni loi, faisant régner la terreur sur les bords du Mississippi.

Si l’on est frappé dès le départ pas le rythme lancinant de la série, pour mieux se prendre en pleine gueule ses accès de folie et de violence, on comprend mieux en regardant de plus près le pédigrée de ses auteurs, Graham Gordy et Michael D.Fuller, qui se sont fait la main sur la fantastique série Rectify, pépite incontournable de ces dernières années. Ici, on prend également le temps de poser le décor, de s’attarder sur les détails et les discussions de couple, de créer une ambiance poisseuse à la lumière crue pour mieux coller à cette époque compliquée où le chômage galopant détruit le peu d’espoir de ces Boys qui reviennent déjà traumatisés, mutilés (voire les deux) d’une guerre plus qu’inutile. Et de montrer le dur réapprentissage, le retour à la vie civile d’un homme confronté à la sauvagerie de la guerre (la prison et la peine de mort dans Rectify), puis au jugement et au regard des autres, parfois bien plus terrifiants. Le tout sur fond de ségrégation raciale (les Noirs ne sont toujours pas autorisés à prendre le bus avec les blancs, et les écoles vont bientôt devenir mixtes), de réélection de Nixon et de prise d’otages au J.O de Munich…

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La série, minutieusement réalisée par le doué Greg Yaitanes (qui s’est fait la main sur Banshee, Lost, Damages, Dr House, Prison Break ou Heroes) et dont il faut noter le travail de reconstitution incroyable (même si elle fut tournée à La Nouvelle Orléans pour des raisons budgétaires), doit beaucoup à la lumière et aux plans millimétrés, quasi photographiques, de son jeune chef op mexicain, Pepe Avila Del Pino. On pense alors souvent aux photos du grand William Eggleston, enfant du pays et quasi inventeur de la photo couleur dans des années 60 où les puristes ne juraient que par le noir et blanc. On fait alors le lien, évident, avec une autre sommité locale, le groupe Big Star, dont la pochette du deuxième album, Radio City (1974) est un cliché d’Eggleston. Et de musique il en est également fortement question dans cette série où chaque protagoniste possède une platine vinyle, où l’on achète des albums à 7 dollars dans des magasins vintage, où les groupes de rock sudistes jouent dans les pubs, des bluesmen dans quelques fêtes locales et des groupes de soul répètent leurs gammes dans des studios enfumés. Au pays d’Elvis, de Stax et de Sun Records, Quarry fait la part belle à une bande son calibrée (on y entend Van Morrison, Otis Redding, Al Green, Big Star ou du gospel…), mais jamais démonstrative et sans avoir rien à envier aux deux mastodontes arrivés un peu plus tôt dans l’année, Vinyl sur l’explosion du rock et The Get Down sur la création du hip-hop, dans ces années 70 fastueuses.


Moins clinquante que Fargo saison 2 sur la forme, Quarry n’en est pas moins forte, ses tueurs prenant ici l’aspect de marginaux, plus ou moins mis au ban de la société américaine. Ici un tueur homo qui vit avec sa mère et fréquente les boites gay entre deux contrats (très beau personnage de Buddy , joué par Damon Herriman), là un bassiste de soul qui perd sa place au profit d’un gamin blanc et notre anti-héros aux cheveux gras, qui tente de recoller les morceaux avec Joni (Jodi Balfour, quasi inconnue captivante) son épouse journaliste culture (elle écrit sur Big Star !) mais terrifiée par son comportement, de reparler à un père distant et de dompter ses démons et ses accès de violence.


On se met à penser alors au Voyage au bout de l’enfer de Cimino, cet enfer que vivent les soldats dès lors qu’ils reviennent à la vie civile, ainsi qu’aux ambiances d’époque des films de Bob Rafelson, Martin Ritt, Hal Ashby, ainsi qu’au Taxi Driver de Scorsese  ou au Rambo de Ted Kotcheff. Quarry réussit donc doucement mais sûrement sa mission : nous faire partager le quotidien d’un couple lambda, prêt à tout pour sauver son mariage et les apparences dans cette Amérique redneck, violente et raciste, dont les traumas remontent encore à la surface bien des années plus tard. Ces milliers de soldats perdus pour la nation, cherchant juste un but à leur vie, qu’ils reviennent de Saïgon, d’Irak ou d’Afghanistan, alors qu’ils crèvent d’envie de retourner au front. La guerre comme drogue dure, voilà peut-être au fond le message de cette série unique et percutante. Alors quand au détour du dernier épisode on entend cette chanteuse folk susurrer Bird on a Wire du regretté Leonard Cohen, ou quand notre héros dévasté se prend à plonger dans les eaux troubles du Mississippi et que l’on pense très fort à Jeff Buckley, on se dit que l’on n’a pas vu une série frapper aussi juste et aussi fort depuis longtemps. Depuis Rectify sans doute…


Fabrice Bonnet