Sean Connery, l'homme qui fut roi.
C’est un sourire ravageur, de ceux qui cassent l’écran du cinéma ; de ceux qui éclairent aussi ces salles obscures du coin des lèvres.C’est un sourire ravageur, de ceux qui cassent l’écran du cinéma ; de ceux qui éclairent aussi ces salles obscures du coin des lèvres. C’est un sourire qui, aujourd’hui, a un goût amer. Sean Connery ne fut pas un simple acteur de son époque, il fut l’époque.
Son histoire personnelle devient secondaire, tant sa chair s’est fondue dans ses rôles phares, tant sa voix grave et ses amples gestes ont parcouru l’échine transie des spectateurs de plusieurs générations. Une filmographie à tomber à la renverse, littéralement, où il a multiplié les personnages que l’on aimerait incarner : du soldat Flanagan dans Le Jour le plus long (1962) à Guillaume de Baskerville, frère franciscain, dans Le Nom de la rose (1986), il est par ailleurs le riche Mark Rutland dans Pas de printemps pour Marnie (1964), le Colonel Arbuthnott pendant Le Crime de l’Orient-Express (1974), le braqueur Edward Pierce lors de La Grande Attaque du train d’or (1979) ou encore Jimmy Malone armé de son pistolet-mitrailleur Thompson dans Les Incorruptibles (1987), une prestation pour laquelle il obtient un Oscar.
Cette volée de rôles pour les plus grands réalisateurs de son temps - Sidney Lumet, Alfred Hitchcock, Brian de Palma, John McTiernan etc. - ne l’empêche pas d’obtenir l’immortalité par quatre autres interprétations magistrales : l’aventurier sans foi ni loi Daniel Dravot dans L’Homme qui voulut être roi (1975), le professeur Henry Jones dans Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989), le commandant Marko Ramius dans À la poursuite d’Octobre rouge (1990) et, bien sûr, le premier et irremplaçable « James Bond » lors de six films officiels, et pendant l’officieux et drolatique Jamais plus jamais (1983), où il traverse le générique sur une tyrolienne de fortune, sans perdre son postiche. Autre exploit.
Au travers de ces héros et anti-héros, Sean Connery a forgé à plein la mémoire collective. Ses scènes marquantes fusent dans le feu d’un souvenir vivace, indélébile. Comment oublier la démarche fière d’un Daniel Dravot, tête haute et surplombée d’une couronne, lorsqu’il s’avance sur ce maudit pont suspendu, puis croise une ultime fois le regard de son acolyte Peachy Carnehan (Michael Caine), pour entamer une chanson de frères d’armes avant l’inéluctable chute ? Peut-on mettre derrière soi les longs murmures, aussi bien suppliques, d’Henry Jones au moment où Indiana, son fils, doit suivre la voie du pénitent, première étape pour atteindre le Graal ? Est-il quelqu’un n’ayant pas vibré lors des échanges si tendus, si humains entre Marko Ramius et Jack Ryan (Alec Baldwin), deux destins qui se jouent en une fraction de seconde ?
Quant à James Bond, il s’avère encore plus difficile de choisir, tant les moments cultes sont légions. Peut-être le combat contre Grant (Robert Shaw) dans un Orient-Express nocturne pendant Bons Baisers de Russie (1963), cette partie de cartes au bord de la piscine d’un hôtel, observée d’une chambre, où Goldfinger (Gert Fröbe) se ridiculise, ou simplement son clin d’oeil final à la caméra dans Jamais plus jamais ? Peu importe ceux que l’on choisit, tous ces instants partagés vibrent de la même force intacte. Comme un symbole, le personnage de James Bond est né en Jamaïque de la plume de Ian Fleming, quand son interprète s’éteint non loin dans la chaleur des Bahamas.
Le 31 octobre 2020, un Trilby Lock & Co Hatters vient d’être lancé d’une main habile sur le bras d’un porte-manteau, près du bureau en vrac de Lois Maxwell, déjà atrocement vide depuis des années. Le chapeau de Sean Connery tournoie, et cette fois ne s’arrête pas.
Texte par Pierre-William Fregonese